À son retour de la Conférence des Nations Unies sur la biodiversité qui se tenait à Nagoya, Douglas Tompkins a fait une escale à Paris pour assister aux championnats du monde d’escrime au Grand Palais. Ce milliardaire, écologiste et philanthrope vit aujourd’hui au Chili et a profité de cet arrêt pour rendre visite à Yann Arthus-Bertrand et à sa fondation GoodPlanet. L’occasion, au cours d’un dîner, de faire un peu plus connaissance avec cet “éco-baron“, un homme qui consacre sa fortune à la préservation de l’environnement.
« Il ne peut pas y avoir de justice sociale sur une planète morte » ! Pour Douglas Tompkins, 67 ans, la protection de l’environnement et la sauvegarde de la biodiversité sont des priorités qui passent avant la résolution des problèmes économiques et sociaux du monde actuel. C’est donc pour permettre à la nature de reprendre ses droits que ce milliardaire, ancien skieur olympique et créateur des marques Esprit et The North Face, rachète des milliers d’hectares au Chili et en Argentine pour en faire des réserves naturelles et des parcs nationaux. Il possède aujourd’hui plus de 8 000 km2 de terres, l’équivalent d’un territoire comme la Corse.
Tout a commencé en 1989, lorsqu’avec sa femme Kristine, elle-même alors à la tête de Patagonia, ils décident de tout quitter et de vendre les parts qu’ils détiennent dans leurs sociétés. « Je vendais des articles de mode dont personne n’avait en réalité besoin, explique-t-il. La société actuelle est enfermée dans un modèle de consommation de masse. C’est un véritable problème et j’ai réalisé que j’étais moi-même une partie du problème ».
Trois ans plus tard, ils achètent un ranch à l’abandon dans la province chilienne de Palena, au sud du pays. À partir de ces quelques hectares, ils feront l’acquisition d’autres terres et créeront le Parc Pumalin, une réserve naturelle privée de 3 250 km2 (plus que le parc national de Yosemite aux Etats-Unis), classée « sanctuaire pour la nature » en janvier 2005 par le gouvernement chilien et que le milliardaire s’est engagé à la léguer au Chili après sa mort. Car Douglas Tompkins ne veut rien garder pour lui, « ni pour ses enfants », précise-t-il. C’est ainsi qu’en 2002, il a offert à l’Etat chilien, via son organisation The Conservation Land Trust, 85 000 hectares pour la création du Parc national du Corcovado, qui s’étend aujourd’hui sur 2 940 km2. « C’était un cadeau que le président ne pouvait pas refuser », glisse-t-il avec un sourire et le regard pétillant.
Tout n’est cependant pas simple pour les Tompkins. Au Chili comme en Argentine, nombreux sont ceux qui souhaitent les voir quitter les lieux car les habitants voient d’un mauvais œil cet Américain qui rachète leurs terres. Il est vrai qu’en Amérique latine, les sentiments anti-états-uniens sont tenaces. Il nous raconte même que lorsqu’il a créé le Parc Pumalin, l’armée était inquiete car son parc coupait le Chili en deux et menaçait ainsi la sécurité nationale ! « Mais explique-t-il, même les grands parcs nationaux américains ont suscité l’opposition lors de leur création, et aujourd’hui, personne ne voudrait qu’ils disparaissent. Au Chili c’est pareil, l’attitude des Chiliens évolue peu à peu ».
On le présente souvent comme le père de la philanthropie écologique, ce mouvement qui consiste à acquérir des espaces naturels pour en assurer ensuite la conservation. Il rappelle pourtant souvent à ses interlocuteurs que ce phénomène n’a rien de nouveau et qu’il est ancré depuis plusieurs générations dans l’esprit des Américains. « Aux Etats-Unis, la plupart des parcs nationaux ont été créés grâce à des bienfaiteurs comme John D. Rockfeller ». Dans ses valises, il a d’ailleurs apporté un beau livre illustré sur cette « tradition américaine » qu’il a offert à Yann.
Douglas Tompkins serait-il donc un éco-baron ordinaire ? Pas sûr. Contrairement à d’autres, il a par exemple choisi de quitter son pays natal pour s’installer là où il achète des terres. Il passe ainsi la moitié de l’année dans son ranch du Parc Pumalin, et l’autre dans la province de Corrientes, au nord de l’Argentine, où il a fait l’acquisition d’une partie des marécages d’Esteros del Iberà. Mais surtout, Douglas Tompkins est un partisan de l’écologie profonde, un mouvement philosophique né dans les années 70. « Nous pensons aujourd’hui que l’homme est au-dessus de tout, comme si nous vivions dans une bulle. En réalité, l’être humain est simplement une espèce parmi d’autres au sein d’un écosystème global. Nous devons nous développer certes, mais nous devons aussi partager la planète avec d’autres espèces », explique-t-il après le dîner. Dans les années 90, il a d’ailleurs fondé la Foundation for Deep Ecology afin de promouvoir les idées du Norvégien Arne Naess, le père de ce mouvement, qui s’opposait à toutes les méga-technologies (de la télévision aux centrales nucléaires) et appelait au démantèlement de la société industrielle. Tompkins est cependant moins extrême. À la fin du repas, il nous montre sur son macbook des photos de son ranch niché au fond d’un fjord chilien et de son parc, et nous raconte que pour se rendre chez lui, il faut d’abord prendre l’avion, puis la voiture, et enfin le bateau.
Doug, comme l’appellent ses amis, poursuit l’explication de sa vision du monde. « Le système actuel est en train de détruire la nature, c’est inacceptable. La préservation de la biodiversité doit être au centre des préoccupations ». A ses yeux, tous les autres efforts, tous les autres combats, de la lutte contre les maladies à l’éradication de la pauvreté sont admirables, mais secondaires. « Vous pouvez utiliser votre argent afin d’améliorer l’accès à l’éducation ou les conditions de santé comme le fait Bill Gates en Afrique, mais cela ne sert à rien s’il n’y a plus de planète ».
Pour en savoir plus, visitez le site de la Fondation pour l’écologie profonde, et celui du Conservation Land Trust.
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