Pour combler l’absence de gouvernance mondiale, les multinationales cherchent aujourd’hui à développer leurs propres outils de régulation. Élaborés de manière volontaire, les accords cadres internationaux constituent potentiellement un moyen de crédibiliser les politiques RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) et d’élargir le dialogue social dans les pays où il est habituellement plus restreint.
Négociés entre les entreprises et les fédérations syndicales internationales, les Accord Cadres Internationaux (ACI) ont été développés ces dernières années par les entreprises qui souhaitent donner un cadre à la globalisation de leurs activités.
Encore peu nombreux, 55 accords cadres existent, émanant quasi exclusivement d’entreprises européennes. Selon l’étude de l’ORSE [Observatoire sur les Responsabilités Sociétales des Entreprises] consacrée au sujet, certaines entreprises négocient des accords avant tout par nécessité. (…) Pour d’autres, il s’agit essentiellement de prolonger une démarche antérieure et de mettre également en avant la dimension humaine de l’entreprise.
Bertrand Collomb, P.-D.G. de Lafarge, explique ainsi que l’accord du groupe s’inscrit dans un contexte général d’évolution de sa politique RSE: « Le groupe a connu une période de mutation depuis 5 ans et accepté comme légitime le fait de se laisser interpeller par ses partie prenantes. La signature d’un accord cadre a permis de formaliser notre politique sociétale, à l’image de notre partenariat avec le WWF [World Wide Fund for nature]. Pour ma part, je préfère parler de partenariat, plutôt que de contractualisation. Trop de formalisation juridique tue le dialogue social. Il faut laisser en outre le dialogue se faire selon les contextes locaux. Les situations sont très différentes entre les États-Unis, où certaines centrales syndicales pratiquent une forme de hold-up sur les entreprises, et la Chine, où elles sont absents. »
Crédibilité
L’appropriation de ces accords internationaux par les filiales locales a également constitué une motivation centrale chez PSA [Peugeot Société Anonyme], qui a mis en œuvre ce dispositif en mars 2006, après 7 mois de négociation. Les quatre grands engagements de l’entreprise (respect des droits humains, développement des bonnes pratiques en matière de conditions de travail, implication des sous-traitants et contribution au développement économique et social des pays) ont ainsi été approuvés par 50 organisations syndicales à travers le monde sous l’égide de la FIOM (Fédération Internationale des Organisations de travailleurs de la Métallurgie), qui compte 25 millions d’adhérents dans le monde. « Nous avons fait ratifier l’accord dans tous les pays où nous employons plus de 500 salariés.
Cette légitimité était indispensable pour le succès de la démarche » précise Jean-Luc Vergnes, directeur des ressources humaines chez PSA.
« Dans certains pays, cette ratification a d’ailleurs permis de réunir pour la première fois directions et syndicats ». Pour le DRH [Directeur des Ressources Humaines] de PSA, les accords mondiaux constituent en outre un facteur d’amélioration des politiques RSE: « Les accords mondiaux apportent une crédibilité, parce qu’ils vont bien plus loin que les chartes et les codes de conduite. Ils obligent les entreprises à appliquer leurs engagements et, si ce n’est pas le cas, les syndicats ne manquent pas de le signaler », souligne-t-il.
De fait, la multiplication des codes et des chartes volontaires, souvent purement déclaratifs, a amené les organisations syndicales comme les institutions internationales à « s’interroger sur leur pertinence », comme le souligne l’ORSE. À cet égard, les accords mondiaux apparaissent plus crédibles, même si un suivi reste nécessaire.
Combler les lacunes de la mondialisation
Si les entreprises qui ont conclu de tels accords y voient une avancée positive de leurs démarches sociétales, qu’en est-il des syndicats? Il semble que l’aspect contractuel, avant tout, les séduise. « La contractualisation donne une crédibilité à la RSE, qui a tendance aujourd’hui à se perdre dans une chaîne de production toujours plus longue », confirme Walter Cerfada, de la Confédération européenne des syndicats. « Nous militons pour un processus de traçabilité des produits sur toute la chaîne et, pour assurer la transparence, ce type d’accords est indispensable », ajoute-t-il. Les accords mondiaux peuvent-ils réellement combler les lacunes de la mondialisation? Pour Guy Rider, président de la Confédération internationale des syndicats, c’est une hypothèse qui reste à démontrer. « L’absence de cadre législatif sur le plan mondial peut être en partie comblée par ces accords collectifs. Nous préférerions néanmoins un cadre réglementaire, pour ne pas laisser ce champ aux seules entreprises. Le problème de la RSE, c’est qu’elle laisse les entreprises définir elles-mêmes leurs responsabilités de manière unilatérale ». Autre danger pointé par les syndicats, celui de l’ouverture aux ONG, impliquant une dilution des revendications syndicales. « a RSE, en déplaçant la négociation collective sur d’autres terrains, pourrait remplacer la parole des syndicats par celle des autres parties prenantes », observe Guy Rider. La capacité des syndicats à s’internationaliser et à se constituer en véritables contre-pouvoirs pose également question. En France, la CFDT [Confédération Française Démocratique du Travail] se veut plus confiante. Pour son secrétaire général, François Chérèque, « La RSE est une ligne profonde dans l’évolution des entreprises. Elle a le mérite d’ouvrir le champ social et de dépasser la seule question de la répartition des richesses, pour se demander comment elles sont produites et quelles en sont les conséquences. »
Véronique SMÉE
La lettre de l’économie responsable – Novethic. Mars 2007
Article publié avec l’aimable autorisation de Novethic
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