Le jatropha, un contre-exemple ?

La question des agrocarburants peut générer des désordres aussi menaçants que le réchauffement climatique auquel le développement de ces diesels végétaux est censé répondre. Mais il ne faudrait pas jeter le bébé avec l’eau du bain…

L’exemple du Jatropha ne doit pas être oublié, dont la culture permet, outre la production d’une huile proche du diesel, de nombreuses autres applications offrant aux populations de certains pays défavorisés des perspectives d’épanouissement non négligeables. Car pour une fois, ce sont les pays semi-désertiques qui ont de la chance : Jatropha Curcas L., vulgairement dénommé Pourghère en français, est un arbuste qui aurait toutes les vertus et pousse sans concurrencer les cultures vivrières, bien au contraire…

La Pourghère est une plante pérenne de quelques mètres de haut, de la famille des Euphorbiacées. Originaire d’Amérique Centrale, elle pousse maintenant dans toutes les régions semi-désertiques du globe, qui reçoivent entre 600 et 1000 mm de pluie par an, avec de longues périodes de sécheresse. On peut la planter en semis direct ou par bouturage.

La pourghère est aussi appelée noix médicinale, les femmes utilisent d’ailleurs traditionnellement toutes ses parties : les graines, proches du ricin, sont laxatives ; les feuilles sont employées en tisanes contre le paludisme ; et le latex pour cicatriser et désinfecter les plaies.

En revanche, les animaux passent leur chemin, car les graines et les feuilles ne sont pas comestibles. Voilà donc le second atout de la Pourghère : en la plantant en haies vives autour des champs, elle protège les cultures vivrières contre ce que l’on a coutume d’appeler en Afrique francophone la « divagation des animaux », c’est-à-dire l’errance des moutons, chèvres et ânes du village sur les planches de salade ou parmi les jeunes pousses de coton ou de céréales.

Et ce n’est pas anodin : en plus du fait que la récolte est ainsi préservée, des conflits souvent mortels sont évités entre les bergers et les cultivateurs. De plus, les haies vives protègent le sol contre le ruissellement en saison des pluies et contre l’érosion éolienne.

Par ailleurs, les graines (2 à 5 tonnes par ha) contiennent environ 30% d’une huile de bonne qualité qui est surtout utilisée pour fabriquer un savon très apprécié. L’huile sert aussi à faire tourner les moteurs diesels du village : moulin à grains, presse à huile, pompes d’irrigation… Elle peut en outre être brûlée dans des lampes à pétrole légèrement bricolées, ou comme combustible pour la cuisine.

Enfin, les tourteaux issus du pressage des graines auraient une composition équivalente à du fumier de volaille, ce qui en fait un excellent engrais organique, précieux pour les sols africains.

Depuis de nombreuses années, des organisations non gouvernementales promeuvent cette culture traditionnelle. Au Mali notamment, et dans d’autres pays comme Madagascar ou la Tanzanie, c’est un allemand, Reinhard Henning, qui est à l’origine de recherches sur les applications du Jatropha. Il a ainsi dirigé un projet de la GTZ (coopération allemande) sur vingt sites pilotes au Mali, de 1993 à 1997. De son expérience, il a tiré un concept, celui du « Système Jatropha ». Il explique que la culture traditionnelle de cet arbuste à un quadruple avantage :

La promotion de la femme (production de savon et vente d’huile) ;

La réduction de la pauvreté du village (protection des récoltes, vente graines, huile, savon) ;

Le contrôle de l’érosion (plantation de haies vives) ;

La production d’énergie renouvelable pour l’éclairage, la cuisson, les moteurs de groupes électrogènes, de moulins, de presses…

Pour Reinhard Henning, l’intérêt ne réside pas forcément dans la plantation effrénée de grandes surfaces de Jatropha, comme cela commence à se faire en Egypte, par exemple. Ce qui est intéressant, pour des pays comme le Mali, enclavés avec peu de voies de communication en bon état, c’est que chaque village puisse être autosuffisant en production de carburant et de lubrifiant.

Et ce besoin d’autonomie n’est pas anodin en ce sens qu’actuellement, les combustibles fossiles arrivent soit à des prix très élevés, soit pas du tout dans certains villages en saison des pluies, lorsque les routes, inondées, sont impraticables. Puis le savon apporte quelques revenus monétaires aux femmes. Or, il est primordial, selon lui, de veiller à ce que les femmes continuent à contrôler cette activité traditionnelle, pour que le revenu aille à la communauté.

Au Mali, le projet Jatropha a en tout cas rencontré un vif succès. Selon Reinhard Henning, en 2002, il y avait dans ce pays 10.000 km de haies de Jatropha (avec une moyenne de 2 à 15 km par village), ce qui représenterait 1.700.000 litres d’huile. Chaque année, 2000 km de nouvelles plantations sont réalisées. Il reste donc à diffuser l’information aux autres pays sahéliens…

La Pourghère serait-elle l’exception qui confirme la règle en matière de biocarburants, la bonne solution qui allie protection et même enrichissement des cultures vivrières et production d’énergie renouvelable ? Souhaitons-le aux pays concernés…

Pour en savoir plus

Utilisation des savoirs locaux sur le Jatropha, par Reinhard Henning, Notes sur les Connaissances autochtones n° 47, août 2002, Banque Mondiale

Le Manuel Jatropha – Un guide pour l’exploitation intégrée de la plante Jatropha à Madagascar, par Reinhard Henning et Tianasoa Ramorafeno, disponible sur le site www.jatropha.de

Projet Pourghère – DNHE/GTZ – Production et utilisation de l’huile végétale comme carburant, par Reinhard Henning, Oumou Sanakoua et Yaya Sidibé. Bamako, Mali, 1996, disponible sur le site www.jatropha.de

Le Jatropha – pas seulement un biocarburant ! Réseau des radios rurales pour les pays en développement – pochette 80, n°7, mars 2007. Disponible sur le site www.farmradio.org/francais/

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