Lieu d’échange, avec l’atmosphère, d’énergie, d’eau, de chaleur et de composés chimiques, la forêt est au cœur de la machinerie climatique. Comment rendre compte de son rôle dans le contexte actuel de réchauffement? Des modèles existent, ils s’améliorent, mais s’appuient encore sur des observations trop rares et parcellaires. Autre inconnue: l’action de l’homme, qui façonne les paysages et utilise le bois.
Dresser le bilan des effets sur le climat est un exercice difficile, car il s’agit de mettre en équations la biosphère, de la respiration de la feuille à la migration des espèces végétales. Comment vont-elles réagir au changement climatique?
Un remède, presque une panacée: jusqu’à la fin des années 1990, on a présenté le reforestation comme un moyen de limiter le réchauffement climatique en cours. Dix ans après Kyoto, le discours a quand même changé. Dans son dernier rapport paru en mai dernier, le groupe III du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) concluait qu’en 2030 diverses actions sur les forêts, tels le reboisement mais aussi un changement de pratique de la sylviculture, l’utilisation accrue du bois énergie ou de construction, pourraient permettre d’éviter l’émission de 1,7 à 18,2 milliards de tonnes de CO2 par an. La fourchette est large, mais l’enjeu est de taille : ces valeurs représentant une part significative du CO2 émis actuellement chaque année dans le monde, soit 34 gigatonnes. Mais attention: cette estimation du GIEC est un « simple » calcul de flux de gaz à effet de serre, en aucun cas celui d’un potentiel d’atténuation du réchauffement de l’atmosphère, exprimable en degrés. Elle ne le pourrait pas, car elle ne considère que l’action des forêts sur la teneur de l’atmosphère en gaz à effet de serre, en oubliant tous les autres rôles de la forêt dans la machine climatique. En effet, outre le dioxyde de carbone, les milieux forestiers échangent avec l’atmosphère, à tout instant, de l’énergie, de l’eau, de la chaleur et d’autres composés chimiques. Une modification de ces échanges agit sur la circulation de l’atmosphère et par conséquent sur le climat. Or ces interactions impliquant la forêt ne sont pas toutes prises en compte dans les modèles de changement climatique. L’évolution réelle du climat pourrait nous réserver quelques surprises.
Trop d’échelles de temps
Il faut dire que le système qui fait intervenir le sol, la végétation et l’atmosphère est au moins aussi difficile à mettre en équations que les circulations atmosphérique et océanique constituant le cœur des modèles climatiques actuels. D’abord, les échelles de temps à prendre en compte sont extrêmement variées: instantanées pour la photosynthèse et la respiration, annuelle en ce qui concerne la saisonnalité du feuillage et la croissance des arbres. L’échelle atteint le siècle quand il s’agit de migration, d’adaptation génétique et d’interaction entre espèces végétales. Et même le millénaire pour le stockage et le largage du carbone du sol. Sans compter que nous devons également intégrer les choix agronomiques des sociétés humaines: modes d’utilisation du sol, niveaux de fertilisation et d’irrigation, types de sylviculture, dates des semis et récoltes, etc.
Intégrer la végétation dans les scénarios climatiques n’a donc jamais été chose facile. La première tentative remonte aux années 1970, quand le Japonais Suki Manabe, alors au laboratoire de géophysique de la NOAA américaine, construit le premier modèle simple de la surface continentale. Il choisit de représenter le sol comme un seau qui se remplit par les pluies, se vide par évapotranspiration et déborde s’il est plein. La végétation est prise en compte au travers de deux paramètres: l’albédo, c’est à dire la capacité de la surface à réfléchir l’énergie solaire, ce qui permet de quantifier l’énergie absorbée, et la « rugosité« , soit l’irrégularité de cette surface. La surface continentale est ensuite découpée en une dizaine de grands types de végétations, ou biomes, auxquels on affecte ces deux caractéristiques. Cette modélisation peut paraître simpliste. Elle est néanmoins encore en vigueur dans un grand nombre de modèles de climat. Son défaut majeur est d’être incapable de prendre en compte un scénario d’évolution, comme l’avènement d’une déforestation par exemple. Cela n’était pas la préoccupation principale à l’époque de Manabe.
Dix ans plus tard, on souhaite avoir une image plus explicite de la végétation. […]
La biosphère est alors perçue par les climatologues comme un milieu à la fois résolument physique et statique.[…]
Des plantes qui s’adaptent
Mais au début des années 2000, cette vision commence à changer. Les physiciens introduisent progressivement des cycles biogéochimiques, en particulier celui du carbone, dans leurs modèles. Par exemple, en mettant en équation le processus de la photosynthèse qui permet à la plante d’assimiler le dioxyde de carbone. Les calculs intègrent aussi la répartition du carbone absorbé par l’arbre entre les feuilles, les tiges ou les racines. Les plus sophistiqués des modèles simulent une compétition entre différentes plantes. Ils simulent l’effet d’un changement climatique en autorisant non seulement des variations temporelles dans les caractéristiques du fonctionnement d’un type de plante donné, mais également le déplacement de ces plantes vers des zones qui leur sont plus favorables.
Pour autant, les modèles représentent-ils la réalité de façon fidèle?
Il faut bien reconnaître que nous ne possédons encore que peu d’outils pour les alimenter en données précises, via l’observation de la dynamique des écosystèmes. Les réseaux d’observation au sol, en particulier les inventaires forestiers permettant d’estimer les croissances et les biomasses, n’existent que depuis quelques dizaines d’années, et encore, seulement dans les pays les plus riches de la planète.[…]
Evénements extrêmes
Ainsi, les prédictions des modèles de végétation sont encore sujettes à caution. Si la plupart s’accordent pour prédire un déplacement des aires de répartition potentielle des espèces vers des zones plus froides, les modalités de ces déplacements sont encore très mal connues.[…]
Les années 1976 (sécheresse), 1999 (tempête) ou 2003 (canicule et sécheresse) nous ont montré que les événements extrêmes jouent un rôle primordial dans l’évolution des écosystèmes. Or ils sont justement mal ou pas du tout représentés dans les scénarios climatiques actuels.[…]
Et puis il y a l’homme. Il modifie le paysage et gère de nouvelles régions ouvertes à la colonisation.
L’occupation de ces espaces par certaines espèces dépendra non seulement de leur capacité de dispersion, mais également de l’organisation spatiale des terres aménagées. Peu de modèles incluent ces contraintes, car il faut alors manipuler des représentations explicites des paysages, jusqu’à des grains très fins. Pourtant, dans nos régions, la proportion de haies est, par exemple, un facteur décisif du potentiel migratoire des espèces.[…]
Prédictions hasardeuses
Ainsi contrairement à l’idée naïve que nous nous en faisons, le climat est sous fort contrôle biologique. Les incertitudes sur le rôle exact que jouera la biosphère sur son évolution soulignent à nouveau que l’homme serait bien inspiré de tenter de diminuer les émissions de gaz à effet de serre plutôt que d’essayer de stocker ces éléments, une fois produits, dans des compartiments biologiques encore improbables.
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