Il y a presque 440 millions d’années, quelque 85% des espèces animales marines ont disparu de la surface terrestre lors de la première extinction massive connue. Puis, il y a de cela 367 millions d’années, de nombreuses espèces de poissons et 70% des invertébrés marins n’ont pas résisté à une nouvelle extinction de masse. Après cela, il y a environs 245 millions d’années, pas moins de 95% de la faune — la quasi-totalité de l’ensemble du règne animal — s’est éteinte dans ce que l’on considère comme l’extinction massive la plus sévère de l’histoire.
Il y a quelque 208 millions d’années, une autre extinction massive a principalement frappé les créatu-res marines, mais aussi quelques animaux terrestres. Enfin, Il y a de cela 65 millions d’années, les trois quarts de toutes les espèces confondues — y compris les dinosaures — ont été exterminés.
Les éruptions volcaniques, les météorites s’écrasant sur la Terre et les changements climatiques figurent parmi les causes possibles des extinctions massives. Après chacune de ces extinctions, il a fallu à la biodiversité plus de 10 millions d’années pour se régénérer. Mais la disparition d’une espèce est irréversible.
Les biologistes s’accordent à dire que nous nous dirigeons actuellement vers une nouvelle extinction massive de même ampleur que les cinq grandes dernières. Fait unique, c’est en grande partie l’action d’une seule espèce qui est en est la cause: pour la première fois, les êtres humains assisteront au phénomène, et pas seulement en tant que spectateurs innocents.
Les scientifiques ne peuvent évaluer de façon précise le nombre d’espèces peuplant actuellement la planète, mais ils estiment que ce nombre dépasse les 10 millions. Pourtant, chaque année, des mil-liers d’espèces (allant du plus petit micro-organisme au plus gros mammifère) s’éteignent à jamais. Certaines disparaissent avant que nous n’ayons même pris conscience de leur existence.
Actuellement, le taux moyen de disparition est 1.000 à 10.000 fois plus élevé que celui qui a prévalu depuis 60 millions d’années. Au cours de l’histoire de la planète, le renouvellement des espèces a quasiment toujours été plus rapide que leur disparition. Ainsi la biodiversité progressait elle constam-ment alors que l’évolution est présentement à la traîne. […]
On estime aujourd’hui à 5.500 le nombre d’espèces animales en voie de disparition. La Liste rouge 2003 de l’UICN (l’Union internationale pour la conservation de la nature), dressant l’inventaire de l’état de conservation de la faune et de la flore mondiale, affirme qu’une espèce mammifère sur quatre et qu’une espèce d’oiseaux sur huit sont menacées d’extinction d’ici à quelques dizaines d’années. (Voir la base de données de la Liste rouge des espèces menacées de l’UICN).
Sur les 1.130 espèces de mammifères menacées, 16% sont en danger critique d’extinction, le degré de menace le plus élevé. Cela signifie que 184 espèces de mammifères ont vu leur population ou leur habitat se réduire très rapidement et de façon extrême, et qu’elles s’éteindront avant les dix prochai-nes années. Leur population varie d’à peine quelques centaines à quelques milliers de spécimens, tout au plus. Pour ce qui est des oiseaux, 182 des 1.194 espèces menacées sont en danger critique d’extinction.
Si l’on dispose d’une quantité raisonnable d’informations concernant la situation des mammifères et des oiseaux, on sait cependant relativement peu de chose sur le reste de la faune. Seuls 5% des poissons, 6% des reptiles et 7% des amphibiens ont fait l’objet d’évaluations. Parmi ces animaux, au moins 750 espèces de poissons, 290 reptiles et 150 amphibiens sont en péril. Des signes inquiétants — comme la disparition mystérieuse de populations entières d’amphibiens ou les filets vides que les pêcheurs remontent de plus en plus fréquemment sur le pont — indiquent que d’autres espèces sont dans le même cas. Les espèces sur lesquelles nous savons extrêmement peu de chose sont les invertébrés, y compris les insectes, les mollusques et les crustacés, mais les informations dont nous disposons actuellement sont loin d’être rassurantes.
Lorsque est apparu l’agriculture, Il y a 11.000 ans, le monde comptait 6 millions d’individus. Nous sommes aujourd’hui 1.000 fois plus nombreux, mais cette augmentation s’est produite aux dépens de bien d’autres espèces.
La plus grande menace qui pèse sur les êtres vivants se manifeste dans la dégradation et la destruc-tion de leur habitat, phénomène qui touche 9 espèces menacées sur 10. Les êtres humains ont qua-siment transformé la moitié des terres non glaciales de la planète, provoquant de graves conséquen-ces sur le reste de l’écosystème. Nous avons transformé les prairies et les forêts en champs agricoles, construit des barrages sur les cours d’eau, asséché des marécages et recouvert les sols pour y construire nos villes et nos routes.
Chaque année le couvert forestier régresse de 16 millions d’hectares, les zones les plus touchées étant les forêts tropicales, où la biodiversité présente un degré fort élevé. Les zones marécageuses, très riches d’un point de vue écologique, ont été réduites de moitié au cours du siècle dernier. D’autres écosystèmes terrestres et d’eau douce ont été dégradés par la pollution. Les déserts ga-gnent du terrain au détriment de zones autrefois végétalisées, un phénomène parfois accentué par le surpâturage des animaux domestiques. […]
L’exploitation directe de certains organismes par l’homme, notamment au moyen de la chasse et de la cueillette, menace plus d’un tiers des oiseaux et mammifères listés. Les espèces exotiques que l’homme enlève de leur habitat naturel constituent une autre menace pour la biodiversité, car elles peuvent venir troubler et faire migrer les espèces autochtones.
Une étude récente menée sur 1.100 espèces animales et végétales a révélé que le changement climatique pourrait faire disparaître entre 15% et 37% d’entre elles d’ici à 2050. Néanmoins, les pertes actuelles pourraient s’avérer plus importantes en raison de la complexité des systèmes naturels.
En effet, la disparition de certaines espèces-clé peut avoir des répercussions sur l’ensemble de la chaîne alimentaire. John Donne l’a très bien écrit: « nul homme ne se suffit à lui-même« . Il en va de même pour les espèces avec lesquelles nous partageons cette planète: la disparition d’une seule des espè-ces de la chaîne peut en affecter bien d’autres. […]
La Convention sur la diversité biologique de 1992 prévoit pour chaque pays un cadre de préservation de la biodiversité et de promotion du développement durable. Les États-Unis font figure de grand absent de cette convention par ailleurs signée par 168 pays. Les signataires, réunis lors d’une sep-tième conférence à Kuala Lumpur (Malaisie) en février 2004, se sont fixé pour objectif de réduire, d’ici à 2010 et de façon substantielle, le recul de la biodiversité. Pourtant cette convention ne dispose pas des moyens nécessaires pour passer à l’action et faire appliquer ses décisions, ce qui pourrait rendre difficile la réalisation des objectifs fixés.
Le fait d’agir consciemment pour ne pas détruire les habitats naturels et atténuer les incidences asso-ciées aux changements d’affectation des terres, limiter l’exploitation directe de la faune et de la flore, ainsi que pour ralentir le changement climatique sont autant d’actions qui peuvent nous aider à pré-server les systèmes naturels dont nous dépendons. Certes, c’est la première fois dans l’Histoire qu’une seule espèce peut précipiter une vague d’extinction massive, mais c’est aussi la première fois dans l’Histoire qu’une seule espèce peut agir pour la contrer.
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