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Il n’est plus possible de retenir l’eau

Les inondations qui ont touché l’Europe centrale l’hiver dernier ont compté parmi les plus graves depuis le Moyen Âge et, au moment où les tempêtes hivernales reviennent, le spectre des inondations se montre aussi. (…) Il est peut-être temps de trouver d’autres solutions à ce problème. Les ingénieurs rivières ont toujours appliqué le Plan A: se débarrasser des eaux le plus vite possible, drainer le sol et évacuer les eaux vers la mer dans des cours d’eau aux berges hautes reconverties en drains très efficaces. Mais ils ont beau créer des drains très profonds dans les villes, élargir et redresser les cours d’eau et construire des berges très élevées, les inondations reviennent toujours les narguer, du Mississippi au Danube. Et plus elles reviennent, plus elles sont importantes.

Il n’est donc pas étonnant que les ingénieurs se tournent vers le Plan B: entraver la force destructrice de l’eau en l’évacuant dans des champs, lacs oubliés, plaines inondables et aquifères. Des urbanistes détruisent berges, digues et levées pour remettre les rivières dans leurs lits majeurs. Ils réaménagent des méandres et des marais pour ralentir le courant et ils installent des drains dans les villes pour que les eaux s’infiltrent dans le sol. Selon eux, les cours d’eau ont besoin de place pour passer, et les villes, de gagner en porosité.

Selon Peter Nienhuis, hydrologue à l’université de Nimègue, aux Pays-Bas, « les récentes inondations ont radicalement changé les mentalités« . Il fut un temps où les cours d’eau empruntaient un chemin plus tortueux pour arriver à la mer: les eaux de crue perdaient de leur intensité, leur volume diminuait dans les méandres des lits majeurs et elles étaient ralenties dans les zones humides et les deltas intérieurs. Aujourd’hui, il semble cependant que les eaux se dirigent vers la mer sans aucun obstacle. Ainsi, lorsqu’il pleut sur les terres hautes, l’eau se déverse tout de suite en aval.

Pire encore, à chaque fois qu’un autre lit majeur est barré, le courant du cours d’eau situé en aval devient plus violent et ne peut plus être contrôlé. Les digues ont une capacité de rétention limitée, que l’eau s’empressera de dépasser. Les ingénieurs, en cherchant à faire de l’hydrologie complexe des cours d’eau un simple mécanisme de conduite d’eau, ont souvent provoqué le danger alors qu’ils promettaient la sécurité, et aggravé les inondations auxquelles ils avaient l’intention de mettre fin.

Prenons pour exemple le Rhin, le fleuve le plus aménagé d’Europe. Depuis deux siècles, les ingénieurs allemands éliminent ses bassins de retenue et ont séparé le fleuve de son lit majeur. L’objectif consistait en partie à améliorer la navigation et en partie à écouler les eaux de crue des Alpes jusqu’à la mer du Nord. Aujourd’hui, le fleuve a perdu 7% de sa longueur originelle et la vitesse du courant a augmenté d’un tiers. Lorsqu’il pleut à verse dans les Alpes, les plus gros courants des différents affluents se retrouvent dans le fleuve, alors qu’auparavant ils y arrivaient séparément. De plus, les quatre cinquièmes du lit majeur du Rhin inférieur étant littéralement enfermés, les eaux montent de plus en plus haut. En conséquence, les inondations plus fréquentes causent encore plus de dégâts dans les maisons, les bureaux et sur les routes qui se trouvent dans le lit majeur.

« Il faut désormais lutter contre les forces de la nature. Les murs de protection en béton sont submergés, de nouvelles zones humides apparaissent. « 

Pour garder la ville de Londres au sec, l’Agence britannique pour l’environnement démolit les berges de la Tamise situées en amont et reverse l’eau dans les 10 km² de l’ancienne plaine inondable d’Otmoor, à côté d’Oxford. Plus près de Londres, elle a dépensé £100 millions (131 millions €) à créer de nouvelles zones humides et un canal de déviation de 16 km dans la plaine inondable afin de protéger la ville de Maidenhead, ainsi que les anciens terrains de jeu de l’université d’Eton. Enfin, vers la côte sud, l’agence creuse des canaux pour relier de vieux méandres au fleuve Cuckmere, dans l’East Sussex. Ces méandres avaient été barrés, il y a 150 ans, par des berges destinées à parer les inondations.

De même, à beaucoup plus grande échelle, en Autriche, a eu lieu l’une des plus grandes restaurations de rivières jamais vues en Europe. Les ingénieurs reconstituent le lit majeur de la Drave, une rivière qui s’échappe des Alpes, sur 60 km. Ils élargissent également le lit de la rivière et le reconduisent dans des méandres délaissés, des bras morts ou des bassins de retenue renforcés par des saules. Selon les calculs des ingénieurs, les plaines d’inondation ainsi restaurées peuvent désormais stocker jusqu’à 10 millions de m3 d’eaux de crue et retarder de plus d’une heure les déversements dus aux tempêtes et provenant des Alpes. Cela permettrait de protéger des villes, jusqu’en Slovénie et en Croatie. « Les rivières ont besoin de davantage d’espace. Elles ne doivent plus entraîner les inondations, mais les contenir.« 

Les Néerlandais, pour qui la prévention des inondations est une question de survie, sont allés plus loin. Les Pays-Bas, construits sur des marais drainés et des fonds marins, ont eu des frissons en 1993, lorsqu’ils se sont presque retrouvés sous les eaux du Rhin. Un événement similaire s’est produit en 1995, lorsque 250.000 personnes ont été évacuées du pays. Selon Nienhuis, l’enquête qui a suivi a apporté les preuves que « les rivières avaient été redressées et que la terre les avait tellement entourées que l’eau ne pouvait pas aller autre part.  » Depuis lors, les Néerlandais ont eu recours au Plan A en renforçant les digues. Cependant, ils ont aussi cassé l’un des stéréotypes nationaux les plus ancrés en encourageant les ingénieurs à faire des brèches dans les digues, prévoyant de rétablir une nature humide sur un sixième de la surface nationale afin de protéger au mieux le reste du pays. […]

Mais rendre la terre aux rivières est plus facile à dire qu’à faire dans un continent aussi peuplé que l’Europe. Selon John Handmer, du Flood Hazard Research Center (Centre de recherche sur les risques de crues) de l’université du Middlesex (Royaume-Uni), un Européen sur dix vit ou travaille dans une zone inondable, parmi lesquels 5 millions de Britanniques et un quart de la population hongroise. La tendance dominante est à l’interdiction de tout type de construction sur les zones inondables. Mais pour ceux qui y vivent déjà, la meilleure tactique est encore de trouver des moyens de ralentir l’eau avant qu’elle n’atteigne les cours d’eau. Ces mesures impliqueraient par exemple de décourager les agriculteurs « d’améliorer » leurs drains. De manière plus radicale, cela pourrait consister à réinventer l’architecture des villes européennes.

Les villes ont été très bien conçues pour provoquer des inondations. Elles sont bétonnées, pavées, asphaltées et possèdent des conduites permettant aux eaux de pluie d’aller rapidement vers la rivière.

We can’t hold back water any more

Fred Pearce

New Scientist n°2429, page 26

10 janvier 2004

© New Scientist, Reed Business Information

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