Les réservoirs vides, rivières asséchées et autres sols érodés qui défigurent le sud de l’Europe depuis quelques années pourraient annoncer une modification structurelle du climat
Lorsqu’il a plu en Espagne en début d’année, tout le pays a fêté l’événement. Ces pluies torrentielles mettaient en effet un terme à cinq ans de sècheresse, remplissant de nombreux réservoirs et aquifères et redonnant espoir à certaines des régions les plus desséchées d’Europe.
Mais les réjouissances ont été de courte durée. Il apparaît maintenant clairement que, loin d’apaiser les craintes de pénurie d’eau à long terme autour du bassin méditerranéen, ces pluies diluviennes ont au contraire affirmé la tendance selon laquelle, depuis une génération, de longues périodes de sècheresse sont interrompues par de violents orages. Et les sols, asséchés par des mois sans eau, ont en fait été lessivés par les premières pluies.
On craint de plus en plus, du fait du réchauffement climatique, que de telles conditions ne deviennent la norme dans le sud de l’Europe. Tandis que les signataires de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques se réunissent à Genève la semaine prochaine pour discuter des moyens de prévenir les dégâts dus au changement climatique au XXIe siècle, les climatologues affirment que les prémices de la « désertification » se font déjà sentir en Espagne, au Portugal, en Grèce et en Italie. Ils affirment même que ce processus est en marche depuis trente ans.
Des paysages en pleine évolution
La mise en garde la plus détaillée à ce jour émane d’un rapport achevé en début d’année par un programme de recherche intitulé Medalus, financé par la Communauté européenne et coordonné par John Thornes, géographe au Kings College à Londres. Pendant cinq ans, ce programme a réuni modélisations du climat, télédétections et études détaillées de la terre et de l’eau sur des sites-tests afin d’obtenir une image des modifications écologiques dans la région. S’appuyant sur les compétences de plus de 40 chercheurs européens, le rapport conclut que le changement climatique se produit en ce moment même en Europe avec des conséquences potentiellement dévastatrices pour des millions de gens.
Les implications sont d’ores et déjà reconnues par la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification, adoptée en 1994. Bien que conçue initialement pour traiter des problèmes en Afrique, cette convention possède une partie dédiée à l’Europe méditerranéenne. De plus, en mai de cette année, la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) a déclaré que « la durabilité de l’agriculture dans le bassin méditerranéen semble incertaine à moins que des mesures urgentes et drastiques ne soient prises ». […]
Dans le sud-est de l’Espagne, par exemple, la pluviométrie moyenne n’est que d’environ 20 centimètres par an et elle est tombée à 5 centimètres en 1995, une année particulièrement sèche. La plupart de ces eaux de pluie s’évaporent et seul un dixième environ rejoint les cours d’eau. […]
Dans le bassin méditerranéen, l’approvisionnement en eau est devenu une contrainte majeure eu égard au développement des villes, de l’industrie, de l’agriculture et du premier secteur en termes de revenus, le tourisme. Pour John Thornes, il s’agit du problème numéro un de la région, surtout pour l’Espagne qui détient le record européen de la plus forte demande en eau par habitant, mais qui présente une des pluviométries les plus faibles. […]
Certaines régions particulièrement touchées refusent d’attendre que le gouvernement central agisse. Ainsi, la Catalogne a récemment suggéré d’importer de l’eau du Rhône. Mais, comme le dit John Thornes : « On ne peut pas continuer à résoudre les problèmes d’approvisionnement en eau en construisant des réservoirs toujours plus grands. On n’a ni l’espace nécessaire, ni l’argent ; et ils ont de sérieux impacts sur l’environnement. »
En Espagne, les deux tiers de l’eau étant utilisés pour l’irrigation des cultures, John Thornes préconise de repenser fondamentalement la politique d’utilisation des terres. « Il faut adapter les pratiques agricoles à la nature du sol et du climat », a-t-il déclaré à la réunion de Bruxelles. « Il faut convaincre les hommes politiques d’envisager des solutions à long terme. » La FAO prône, quant à elle, des techniques agricoles moins gourmandes en eau, comme le goutte-à-goutte, et une meilleure utilisation des ressources en eau existantes. Selon l’organisation, « il faudrait mettre au point davantage de technologies douces pour l’environnement et les partager entre les pays », ce qui signifierait la fin du surpâturage et de la culture surintensive. […]
Cette quête de plus en plus effrénée d’eau a des répercussions énormes sur l’environnement. En effet, les deux tiers ou presque des zones humides de l’intérieur du pays ont disparu depuis 1965. Certaines parties du parc national de Doñana, la plus vaste zone humide naturelle du sud-ouest de l’Europe, se sont asséchées dans les années 90 du fait de la sècheresse et de l’extraction des eaux souterraines. Selon les conclusions d’une étude destinée au Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et publiée en juin, le réchauffement climatique pourrait faire disparaître jusqu’à 85 % des zones humides encore présentes en Espagne et en Grèce. […]
La disparition de la végétation laisse les sols exposés aux intempéries et entraîne souvent l’érosion. Les pluies ruissellent au lieu de s’infiltrer, d’où une situation paradoxale avec davantage d’inondations et des sols toujours plus secs. En Grèce et en Espagne, plus de 40 % des sols sont déjà touchés par l’érosion ; en Turquie, on en compte 70 %. Dans certaines régions d’Espagne et de Grèce, la perte de sols dépasse les 250 tonnes par hectare et par an.
Ces pays souffrent du redoutable tandem sècheresse-méthodes agricoles néfastes. Selon une mise en garde de la FAO en mai concernant les zones particulièrement arides d’Espagne et de Grèce, « la surexploitation de la terre conduit à la désertification » et « la progression de l’érosion semble irréversible ».
La plupart de ces processus sont connus dans le bassin méditerranéen. Il reste très peu de végétation entièrement naturelle dans la région et John Thornes fait remarquer que, depuis 4 000 ans, la dégradation des sols pousse non seulement les populations à quitter leurs habitations et leurs exploitations, mais pourrait également avoir joué un rôle dans le déclin des civilisations passées.
Ainsi, les célèbres cèdres du Liban ont-ils disparu il y a 2 000 ans. De nombreuses zones ont été tour à tour déforestées pour être cultivées, puis abandonnées lorsque les rendements ont baissé, et ce, à plusieurs reprises. Le bassin du val d’Agri, au sud de l’Italie, offre un exemple typique de ce cycle : au cours du siècle dernier, la déforestation a entraîné l’érosion du sol, des inondations et la formation de mauvaises terres vidées de leur population.
Il est cependant arrivé que l’homme contribue à l’amélioration de l’environnement. La construction, pendant de nombreux siècles, de terrasses destinées aux oliveraies et aux vergers depuis l’Espagne jusqu’à la Palestine a souvent permis de ramener l’érosion du sol en dessous de son niveau « naturel ».
Cependant, des terrasses laissées à l’abandon s’effondrent rapidement, provoquant des éboulements, et la repousse de broussailles et d’arbres sur des champs abandonnés peut entraîner des incendies par temps sec. Ces derniers ont détruit un cinquième des forêts espagnoles depuis 1975. Et en l’espace de deux semaines en juillet 1994, 140 000 hectares sont partis en fumée dans l’est du pays.
La désertification et les processus qui y mènent suscitent de nombreux débats entre chercheurs à travers le monde. Pour certains, la mauvaise utilisation de la terre par l’homme n’aboutit que rarement à la disparition définitive de celle-ci. Ce qui fait en revanche peu de doute, c’est que si le changement climatique s’installe, il va entraîner la formation de déserts. Or il est précisément en train de s’installer sur les terres si fragiles du sud de l’Europe. Le réchauffement de la planète ne se tient donc pas juste au seuil de l’Europe. Il y est entré.
Deserts on our doorstep – Fred PEARCE
New Scientist n°2037 6 juillet 1996
© New Scientist, Reed Business Information
Un commentaire
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C.Gabriel
Le désert à notre porte
L’article est intéressant et documenté.
Mais pourtant je trouve qu’il y a comme à chaque fois en matière d’écologie une sorte de … D’impasse faite sur certains aspects des situations dont personne ne peut réellement prévoir les évolutions dans l’avenir.
Je pense qu’avant le réchauffement climatique il y a une exploitation des terres qui est désastreuse.
Qui nous dit que les régions autours de Poitiers où l’on faisait brûler les haies arrachées au nom du remembrement ne rencontreront pas une telle situation dans l’avenir ?
Des champs de céréales à perte de vue en lieu et place de forêts, petites rivières et haies … Adieu bocage et gâtine ! place aux zones gigantesques arrosées en plein soleil épuisant au passage les nappes phréatiques. Pour quand le désert autour de Poitier ?
L’Espagne, en marge d’un déficit de pluie à connu le même drame. Alors accuser le réchauffement sans tenir compte du comportement de certaines multinationales me semble un parti pris surprenant voir douteux !
On a encore une fois cette désagréable sensation qu’il ne faut pas déranger … Qui d’ailleurs ? A quand le Poitou vu du ciel avec des comparaisons sur la base d’anciennes photos ou films ?