Les habitants de Kobe connaissent bien la signification du mot catastrophe. Le tremblement de terre Hanshin-Awaji, qui a touché la ville le 17 janvier 1995, a coûté la vie à 6 433 personnes, détruit plus de 500 000 maisons et ses dommages ont été évalués à 10 000 milliards de yens.
Dix ans plus tard, et seulement trois semaines après le tsunami de l’océan Indien qui a fait au moins 280 000 morts en Asie et en Afrique, des spécialistes et délégués de 168 pays se sont rencontrés la semaine dernière dans la ville japonaise, depuis reconstruite, pour débattre de la façon d’éviter que les prochaines catastrophes naturelles soient aussi meurtrières. Ils se sont ainsi mis d’accord sur une série d’initiatives destinées à ce que l’alerte soit donnée plus rapidement en cas de tsunami ou d’inondations et à ce que la réponse aux catastrophes naturelles extrêmes soit mieux coordonnée.
Malgré ces avancées, nombre des participants pensent que l’opportunité offerte par la Conférence mondiale sur la prévention des catastrophes naturelles a été gâchée. Alors que la rhétorique bien intentionnée abondait, peu a été fait en faveur de programmes ou d’objectifs solides de prévention des catastrophes permettant de sauver des vies. Il n’y a même pas eu de consensus en ce qui concerne les sommes à allouer pour limiter le nombre de victimes causé par les séismes, les inondations, les sécheresses et les tsunamis.
« Les objectifs étaient très clairs, forts et concrets au début de la conférence. Ils ont ensuite été considérablement affaiblis au cours du processus diplomatique qui devait permettre d’arriver à un consensus. C’est une profonde déception », explique Ben Wisner, spécialiste en risques de catastrophes naturelles à la London School of Economics.
En mai 1994, les gouvernements réunis à Yokohama, au Japon, se sont mis d’accord sur une stratégie étalée sur dix ans et axée sur des principes visant à la réflexion sur la gestion des catastrophes naturelles. Selon Salvano Briceno, responsable de la stratégie internationale de prévention des catastrophes de l’ONU, de nets progrès ont été réalisés depuis Yokohama. Entre mai 1994 et avril 2004, quelque 7 100 catastrophes naturelles ont frappé le monde, faisant plus de 300 000 victimes et 800 milliards de dollars de dégâts. Aussi sinistre qu’ait été le nombre des pertes humaines, il a cependant été inférieur d’un tiers à celui de la décennie précédente.
La conférence de Kobe de la semaine dernière [article paru le 29 janvier 2005] visait à renforcer ce succès. L’ONU espère que le prochain plan sur dix ans, en vigueur entre 2005 et 2015, permettra de réduire à nouveau ce chiffre de moitié, exclusion faite du nombre des victimes du tsunami de l’océan Indien de décembre 2004.
« Le vrai défi consiste à donner l’alerte à toutes les personnes en danger et à faire en sorte qu’elles sachent comment réagir ».
Cette catastrophe récente faisait bien entendu partie des priorités de la conférence. Un mouvement d’optimisme initial a animé cette dernière, certains espérant que cette tragédie entraînerait soudainement les gouvernements à reconnaître le besoin d’action urgente. « C’est ahurissant qu’il faille un tsunami qui frappe sévèrement 5 millions de personnes pour que le monde se réveille, quand 250 millions d’autres victimes ont été touchées [par des catastrophes naturelles] chaque année depuis dix ans », confie Jan Egeland, coordinateur des affaires humanitaires de l’ONU, au deuxième jour de la conférence. « Malgré cela, il faut profiter de cette dynamique, il faut aller de l’avant ».
La conférence peut se prévaloir de quelques réussites. Elle a permis le lancement d’un Programme international d’alerte rapide de l’ONU, dont l’objectif ambitieux est de faire en sorte que des alertes rapides soient mises en place dans le monde entier pour toutes les catastrophes naturelles, des tsunamis aux grandes sécheresses. Mise à part la promesse de mettre en place dès que possible un système d’alerte rapide au tsunami pour l’océan Indien, les gouvernements n’ont cependant pris aucun engagement ferme. Selon les agences de l’ONU, la technologie nécessaire devrait être prête dans les 18 mois à venir.
Certaines questions ont été laissées aux débats des conférences futures, comme la forme exacte que prendra cette technologie ou la façon précise dont elle intégrera un système international d’alerte rapide pour des risques naturels plus courants, comme les cyclones ou les inondations éclair. Selon Michel Jarraud, secrétaire général de l’Organisation météorologique mondiale, il faut rapidement mettre en place un système d’alerte, quelle qu’en soit sa forme. Il ajoute que les systèmes d’alerte des tsunamis devraient également être installés dans toutes les autres régions à risque.
Donner l’alerte d’une catastrophe imminente ne constitue que la première étape. Le vrai défi, comme l’ont reconnu les délégués, consiste à avertir toutes les personnes en danger et à faire en sorte qu’elles sachent comment réagir. « Le matériel ne représente que 10 % du problème des alertes rapides. Les 90 % restant tiennent à la façon d’acheminer ce message jusqu’aux personnes concernées et à savoir si elles peuvent y réagir », ajoute Ben Wisner.
La recherche des façons d’impliquer les communautés locales dans les projets de gestion des catastrophes a été l’un des thèmes majeurs de la conférence. Des études de cas montrent que les projets qui font participer les communautés fonctionnent jusque dans les parties du monde les plus pauvres et les plus vulnérables. Ainsi, plus de la moitié des Indiens touchés par des inondations vivent dans l’état du Bihar, au Nord de l’Inde. Les dernières grandes inondations, en juillet 2004, ont coûté la vie à 585 personnes, en ont touché environ 21 millions d’autres et ont détruit plus d’un demi-million de maisons. Elles sont dues à l’ouverture de barrages au Népal, afin de vider l’eau accumulée pendant les fortes pluies de la mousson.
Avant que les inondations ne frappent, le Discipleship Centre, une ONG de Delhi, a travaillé avec des habitants de la région du Bihar, afin de répertorier les villages sensibles et de mettre au point des plans de réponse aux catastrophes, tels que des itinéraires d’évacuation. Les propriétaires terriens se sont laissé convaincre, après négociations, de permettre à leurs employés de se déplacer vers des terres plus en altitude en cas d’inondations, ce qui leur était jusque-là interdit. Selon Alex Joseph, coordinateur du projet, les villages où de tels plans avaient été mis en place ont été moins touchés que certains autres de la région, en termes de victimes et de perte de bétail et de biens.
À Kobe, les gouvernements sont convenu du fait que chaque pays devrait avoir sa propre organisation de gestion des catastrophes permettant de coordonner des projets adaptés. La corrélation fréquente entre pauvreté et sinistres a également été reconnue. À l’échelle mondiale, environ 95 % des décès dus à des catastrophes naturelles ont lieu dans des pays en développement. Par rapport au pourcentage du PIB, les pertes peuvent être vingt fois plus importantes dans les pays en développement que dans les pays industrialisés. L’ouragan Mitch, qui a frappé le Honduras en 1998, a retardé le développement du pays de vingt ans, alors que le tsunami de l’océan Indien va faire perdre environ dix ans aux Maldives.
Les leçons des catastrophes passées ne sont que rarement retenues. « Nous ressemblons un peu à une mauvaise équipe de football qui, chaque fois qu’elle doit aller disputer un match, doit réapprendre les règles depuis le début », confie Andrew Maskrey, responsable de l’Unité de prévention des catastrophes du Bureau du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) pour la prévention des crises et la reconstruction, à Genève. « Il faut trouver une solution pour passer d’interventions ad hoc à des manières plus planifiées d’aider les pays qui ont été frappés par une catastrophe naturelle. »
La recherche des solutions les plus efficaces est urgente selon Ian Davis, de l’université de Cranfield au Royaume-Uni, qui travaille depuis plus de trente ans dans le domaine de la gestion des catastrophes. L’une des rares études réalisées jusqu’à présent est menée par le département de l’évaluation des opérations de la Banque mondiale. Ce dernier examine les quelque 150 projets de reconstruction et de réduction des catastrophes dirigés par la banque entre 1984 et 2004. Les résultats seront rendus publics cette année.
Des projets de coopération pour intensifier ces efforts ont été annoncés au cours de la conférence. Financée par le Japon et réunissant plusieurs agences de l’ONU et d’autres organisations, la plateforme de reconstruction internationale (IRP) collectera les données d’études dans lesquelles les réponses à des catastrophes ont le mieux fonctionné, entre autres choses. Elle constituera également des équipes de spécialistes expérimentés, formés en méthodes de reconstruction, qui seront envoyées sur le terrain après les catastrophes. L’IRP est « une idée admirable », selon Ian Davis. « Espérons qu’elle soit une plateforme équilibrée – aux niveaux technique, social et environnemental. »
Parmi les autres initiatives annoncées à Kobe, on compte une alliance de réduction des risques de séisme, ainsi qu’une initiative internationale pour les inondations, dont le but est de mener des recherches plus approfondies dans le domaine des inondations, de renforcer la formation et l’assistance, afin de réduire les pertes humaines. Toutes ces mesures, mis à part le système d’alerte rapide pour l’océan Indien, ont été décidées lors de sessions non gouvernementales.
Mais les dispositions nécessaires seront-elles réellement prises la prochaine fois qu’elles seront indispensables ? Alors que le Royaume-Uni et la Suède ont fortement encouragé la fixation d’objectifs précis au sein du document de Hyogo, d’autres pays, dont les États-Unis, ont bloqué de telles propositions.
Assez significativement, l’appel lancé au début de la conférence par Jan Egeland pour que 10 % des quatre à cinq milliards de dollars dépensés chaque année dans des opérations de secours soient affectés à la prévention contre les catastrophes n’a pas non plus réussi à trouver le soutien international nécessaire. Seuls 2 % de cette somme y sont actuellement consacrés.
Emma YOUNG
New Scientist, 29 janvier 2005, Magazine n° 2484
© New Scientist, Reed Business Information
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