Objectifs du millénaire : passer le cap de 2015

Refusant de se résigner à la pauvreté, la communauté internationale s’est dotée en l’an 2000 d’une série d’objectifs ambitieux de développement à atteindre d’ici 2015. Ils concernent, entre autres, la réduction de la pauvreté, l’accès à la santé, à l’éducation et à un environnement durable.

Le rapport d’évaluation à mi-parcours des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) publié en juillet dernier montre qu’en l’état actuel des choses, la plupart de ces objectifs ne seront pas atteints, tout particulièrement en Afrique sub-saharienne. Paradoxalement, si la cible globale de réduction de la pauvreté est atteinte d’ici 2015, ce sera plutôt grâce au décollage de pays émergents comme la Chine – qui sort chaque année environ 20 millions de ses habitants de la pauvreté – qu’à la baisse de la pauvreté absolue dans les pays les plus pauvres. D’après la Banque Mondiale, le nombre de pauvres vivants en Afrique sub-saharienne pourrait même augmenter de 8% d’ici à 2015!

Devons-nous en conclure l’échec des objectifs du millénaire? Je ne le pense pas. Ces derniers représentent un engagement sans précédent de la communauté internationale pour la dignité de chaque individu. En cela, ils ont suscité une forte mobilisation à travers le monde, des Etats comme de la société civile, et engagé une véritable dynamique en faveur du développement. Le choix de cibles chiffrées a permis de faire passer l’aide au développement d’une logique de dépense à une logique de résultats. Ceci est loin d’être négligeable. Mais en se focalisant sur la date – tout à fait arbitraire – de 2015, nous passons à côté du véritable changement de paradigme que représentent les OMD.

En sanctuarisant les OMD dans la déclaration du millénaire, la communauté internationale a pris la décision, très forte, de donner une « incarnation physique » à la charte des Nations Unies. D’après cette logique universaliste, chaque citoyen de la planète, en vertu même de son humanité, a le droit à un niveau minimum de vie. Et bien que la croissance s’accélère en Afrique subsaharienne, force est de constater que beaucoup de pays du Sud n’auront la capacité macroéconomique de mettre en œuvre ces standards qu’à très long terme. D’autant que ces derniers pourraient devenir plus exigeants. La communauté internationale s’engage donc à se substituer durablement aux Etats les plus pauvres de la planète dans la prestation de services sociaux.

Ce changement de philosophie représente une véritable révolution dans le monde du développement, dont peu de pays ont pris la mesure. Il dépasse en effet toute considération de rentabilité économique, qui était hier encore l’un des principes structurants de l’aide au développement. La mesure de l’efficacité d’un programme n’est plus la capacité des bénéficiaires à s’autonomiser des transferts financiers internationaux par la croissance, mais l’amélioration des niveaux de vie des populations. Pour reprendre une image connue, nous avons comme abandonné l’idée d’apprendre aux Etats les plus faibles à pêcher, pour se concentrer sur la distribution de poissons à grande échelle. Nous passons d’une certaine façon d’une aide publique au développement fondée sur une logique d’investissement à une aide au développement reposant sur une logique de redistribution des richesses à l’échelle mondiale.

Nous nous rapprochons ainsi, à l’échelle planétaire, de la logique de filet de sécurité social mise en œuvre dans la deuxième moitié du 20ème siècle dans la plupart des pays de l’OCDE. Cette transformation progressive n’est pas illogique, dans la mesure où la constitution d’espaces marchands unifiés s’est souvent accompagnée de mécanismes de redistribution au sein de ceux-ci, l’exemple le plus récent étant celui des fonds de cohésion de l’Union Européenne. Or la planète elle-même se transforme aujourd’hui en un vaste espace marchand intégré, générateur de déséquilibres auxquels les populations du Sud sont souvent les plus vulnérables.

S’il appartient aux dirigeants politiques de décider du bienfondé de ce changement de paradigme, nous devons, en tant que professionnels du développement, nous interroger sur la cohérence et l’efficacité de nos pratiques. Or une fois de plus, la communauté internationale souffre de schizophrénie: si les pays proclament d’une seule voix l’importance d’atteindre les OMD et le droit de tout être humain de vivre dans la dignité, rares sont ceux qui se donnent les moyens d’y parvenir. En 2015, en 2020 ou en 2050.

Si nous acceptons la logique derrière cette nouvelle philosophie de l’aide, il est urgent de mener une réflexion poussée sur de nouveaux modes de financement du développement, plus stables, plus durables, et donc davantage en cohérence avec l’ambition implicite qui nous

anime. Celle de créer un véritable « filet de sécurité » international comme contrepartie sociale de la mondialisation.

J’attends vos réactions sur ce thème qui me tient à coeur.

JMS

Ideas for Development.blog

www.ideas4development.org

Jean-Michel Severino

Octobre 2007

Voir le blog « Idées pour le Développement « 

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