Brasilia, de l’utopie initiale à l’agglomération urbaine actuelle

Brasília représente la réalisation la plus aboutie de la planification urbaine telle qu’elle s’est pratiquée jusque dans les années 1970. C’est pour devenir capitale du Brésil qu’elle a été bâtie en trois ans, de 1957 à 1960, sur une initiative gouvernementale, à une époque où la ville jouait un rôle pri-mordial dans la construction des territoires nationaux, en particulier dans les pays du Sud. Le projet visait à mieux répartir les richesses du pays en attirant vers l’intérieur des terres la population et l’activité économique, jusqu’alors concentrées sur deux grandes villes côtières concurrentes, Rio de Janeiro et São Paulo. Brasília a été édifiée à partir d’un plan d’urbanisme précis, établi par Lucio Cos-ta, et du projet architectural de l’architecte Oscar Niemeyer, suivant une vision fonctionnelle de la ville et socialement égalitaire. Classée patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco seulement 27 ans après sa création, Brasília reste le symbole de la ville avant-gardiste et idéale propre au Brésil de cette époque.

Cinquante ans après, la ville se retrouve au cœur d’une agglomération fragmentée et distendue de 3 millions d’habitants, menacée par de nombreux dysfonctionnements environnementaux et so-ciaux: dégradation de la ressource en eau, gestion défectueuse des eaux usées, pauvreté, inégalités du partage des ressources urbaines et distances géographiques importantes entre les différentes classes sociales, sources potentielles de conflit. Cet ensemble urbain englobe 16 villes satellites et s’étend jusqu’au district voisin de Goias. L’organisation du Plano Piloto, le périmètre urbain initial clas-sé, préservé dans sa structure compacte très dessinée, contraste avec un environnement de plus en plus ouvert, morcelé et désordonné à mesure que l’on s’éloigne vers la périphérie, où se concentrent les populations les plus pauvres.

Dans ce contexte, où et comment s’organise la vie sociale? Comment un projet de ville délimitée a-t-il abouti à une telle urbanisation diffuse, coupée de l’environnement régional? Pour tenter de com-prendre les raisons de cette évolution, des géographes de l’IRD et de l’Université de Brasília analy-sent depuis 2001 l’évolution de la ville et les répercussions de cette évolution aux niveaux local et régional (1). Leur approche, qui tient compte de l’environnement bâti, naturel et de la dynamique so-ciale, permet d’envisager des solutions pour préserver le patrimoine de Brasília tout en assurant le développement durable de l’agglomération.

La préservation et la fermeture de la ville-« monument » est à l’origine d’une hausse des prix du foncier et d’un important coût social. À Brasília, où près de 80% des emplois formels du pays sont concentrés, les populations ont continué d’affluer, encouragées par leur fort attachement à l’image de la ville idéale. Elles ont été contraintes de s’installer en périphérie du centre urbain, dans les espaces vides de cette agglomération en croissance. À l’éloignement géographique entre la ville-« monument », préservée et figée, et les périphéries denses, plus pauvres, répond donc une mise à distance sociale.

Ce développement urbain vient à l’encontre de celui prévu par le plan initial qui structurait la ville de manière compacte, autour de quatre échelles dont l’harmonie garantissait l’équilibre de la ville et de la société: les échelles grégaire (habitat), monumentale, bucolique (paysage) et fonctionnelle (travail, services). L’évolution récente de Brasília traduit en effet un déséquilibre entre ces différentes échelles du plan original.

À partir de ce constat, les chercheurs ont proposé un nouveau projet urbain, fondé sur une relecture du plan et des textes fondateurs. Il privilégie un retour à l’équilibre entre les différentes échelles – réintégrer des commerces de proximité dans les quartiers dédiés aux services, par exemple – mais adapté à la ville réelle, c’est-à-dire à l’agglomération toute entière. Il s’agit donc de concevoir celle-ci comme un territoire régional homogène et délimité, dont la gestion, inspirée de l’utopie fondatrice, favoriserait l’accès au logement, à la création d’emplois et de meilleures conditions de vie. Ce nou-veau projet urbain, en conciliant la préservation du patrimoine et le développement social et économi-que de la ville, devrait permettre d’impliquer davantage les populations dans le devenir de leur envi-ronnement urbain et, ainsi, de resserrer les liens sociaux.

Le devenir de Brasília se trouve dorénavant entre les mains des acteurs du développement urbain et des habitants. Cas unique de planification totale, cette ville reste un exemple extrême, à valeur de référence. La comparaison de son évolution avec celle d’autres villes du Sud, peu ou pas planifiées, peut en ce sens offrir un autre regard sur leur développement et les risques sociaux, naturels qu’il peut produire, à l’heure où déjà 50% de la population mondiale est urbaine.

Marie GUILLAUME-SIGNORET

“Actualité scientifique” – IRD, fiche n° 264, avril 2007

Le site de l’IRD

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