Le site archéologique du Mirador, dans le nord du Guatemala et de la réserve biosphère maya, est en passe de devenir un lieu surexploité de tourisme de masse sous prétexte de préserver ses richesses ; tandis qu’en Basse-Californie au Mexique, les projets de complexes touristiques comme l’imposant Mar de Cortés fleurissent, contribuant au bétonnage de la côte si sauvage et riche en biodiversité.
[…] Le Honduras pratique aussi l’« écotourisme » sur une des plus belles portions de la côte caraïbe, à l’entrée du parc national Jeanette Kawas, terre des Garifunas, population afro-créole installée ici depuis 1880.
[…] Au nom du très pratique « intérêt national », l’Institut du tourisme du Honduras a purement et simplement exproprié 300 hectares de littoral sans indemniser les Garifunas. En 2004, il a vendu cette bande de terre 19 millions de dollars à la société privée qui s’est constituée pour réaliser le grand projet Micos Beach & Golf Resort. Cette dénomination a d’ailleurs ému plus d’un Garifuna. « Dans notre langue, micos signifie singe et il n’y a jamais eu de singe par ici. Leurs seuls singes sur la plage, c’est nous, les Garifunas ! », explique le jeune Alex Podilla, président de Pélican Café, association de promotion de la culture garifuna. Pas de singes donc, mais un golf de 25 hectares, deux mille chambres d’hôtel, cent soixante-dix villas, un centre de convention, une marina, etc. Si l’attraction principale est bien le parc national où doivent se dérouler, sans plus de précisions, « plusieurs activités », selon les promoteurs, « la danse et la musique garifunas ont aussi beaucoup d’attraits ». Les antres du tourisme sexuel sont-ils déjà prévus ?
Dans ces trois grands projets – El Mirador, Mar de Cortés et Micos Beach –, la nature est exploitée et vendue, comme l’a été, il y a quarante ans, la magnifique baie d’Acapulco. Les méthodes employées n’ont guère changé : corruption des autorités, information tronquée, indemnisation ridicule ou inexistante des terres, déni continuel des conséquences écologiques et sociales. À l’origine, on trouve les mêmes promoteurs et investisseurs (dénommés aussi « coyotes du tourisme » pour l’achat à bas prix des terrains), en quête des derniers bijoux intacts de la planète.
On est très loin des engagements pris par l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) et par les États en la matière, à travers le code mondial d’éthique du tourisme et la déclaration de Québec sur l’écotourisme. Et à des années-lumière d’une véritable définition de ce dernier. Sous couvert de conservation (réelle ou non), cette dénomination conduit à une privatisation encore plus rapide des ressources naturelles que ce que permettait le tourisme classique. Les projets affichent parfois des aménagements écologiques, mais tous exigent des garanties sur la propriété de la terre et poussent les habitants vers la sortie.
La communauté locale perd sa terre, sa réserve de pêche ou sa source d’eau, c’est-à-dire tout ce qui lui permet de survivre. Parfois, les zones fédérales (plages, bords des rivières, forêts) tombent dans les mains du privé par un tour de passe-passe d’une illégalité déconcertante. En fait, ces programmes réservent les dernières baleines, les ultimes « ceibas » (l’arbre emblème du Guatemala) ou le lagon des Garifunas aux plus fortunés, ceux qui justement auront contribué le plus à leur destruction. Il deviendra alors normal de payer, et de payer cher, pour profiter d’une nature préservée. El Mirador compte sur le tourisme européen (plus cultivé), quand Mar de Cortés et Micos Beach sont taillés sur mesure pour les Américains.
L’utilisation frauduleuse de la dénomination « écotourisme » n’est pourtant guère dénoncée. L’écotourisme en général bénéficie d’une bonne image, et son développement est d’actualité. Pour les agences de développement internationales, il semble même être devenu une panacée. En Amérique centrale et au Mexique, agences de l’Organisation des Nations Unies (ONU), organismes de financement, BID, Banque mondiale, United States Agency for International Development (Usaid) et Union européenne ont dans leurs cartons de multiples projets pour les communautés locales. Ils justifient les avantages de cette politique, au nom de la création d’une économie locale, de la formation professionnelle et de la prise de conscience par les habitants de la richesse de leur patrimoine naturel et culturel. Une formule presque parfaite en somme, qui répondrait à la nécessité de valoriser le patrimoine tout en assurant sa conservation.
Des organismes comme l’organisation non gouvernementale (ONG) Conservation internationale et la BID, pourtant très critiqués pour les politiques qu’ils ont menées dans la région, ont quand même financé, dans les années 1990, de petits projets de tourisme 100 % communautaires dans lesquels les habitants assurent une vraie préservation du milieu grâce aux gains obtenus du tourisme.
Dans les projets du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), explique M. Diego Masera, responsable du tourisme pour l’Amérique au sein de cette organisation, « La participation de la communauté est le moteur du processus de conservation et aucune activité de tourisme ne se fait sans la population ». En revanche, du côté des États, la donnée « communautaire », c’est-à-dire la création et la gestion du projet par les habitants, pose un nouveau problème. Une communauté organisée et consciente de la valeur de ses ressources naturelles se révèle moins à même de vendre sa terre à bas prix, de laisser privatiser sa source d’eau ou sa cascade.
[…] Un label du tourisme solidaire garantirait, en plus d’un souci de préservation du milieu, la gestion par les habitants du projet de tourisme et un réinvestissement d’une part des bénéfices dans des services communs. En France, les voyagistes solidaires regroupés dans l’Association pour un tourisme équitable et solidaire (ATES) ont invité Fairtrade Labelling Organizations (FLO), qui surveille la chaîne du commerce équitable, à travailler sur ce thème. Ces associations devenues voyagistes ont en effet tout intérêt à jouer la transparence et à mettre en avant leurs actions de solidarité et leur éthique, quand d’autres agences se limitent à un code de bonne conduite, mais utilisent les termes attractifs de « tourisme responsable » dans leur communication.
Mais la certification reste un processus lourd, complexe et coûteux.
[…] Labellisé ou non, l’écotourisme doit cesser de tromper son client. L’activité n’est pas une solution universelle qui peut s’appliquer partout : il n’est pas possible de reconvertir tous les peuples qui vivent près d’un site archéologique ou dans une forêt primaire en « guides » sous prétexte de protection ou de développement social. Le gouvernement du Chiapas mine dangereusement l’avenir en misant, si vite et si mal, sur la case « écotourisme ». Et, de même que le commerce équitable n’a pas enrayé la crise du café dans la région, l’écotourisme « frelaté » ne fera pas grand-chose contre la pauvreté.
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