[Lomborg] en revient avec un gros livre bourré de chiffres, de notes et de références à la littérature publiée.
[Lomborg] en revient avec un gros livre bourré de chiffres, de notes et de références à la littérature publiée. Un travail d’apparence titanesque que l’auteur a pu réaliser en s’appuyant sur les travaux confiés à ses étudiants et sur quelques ouvrages qui l’ont beaucoup inspiré, comme le livre de Ronald Bailey, « The true state of the planet » (1995).
Il en revient aussi et surtout avec un message simple : en dépit de ce que proclame la« litanie », l’état du monde s’améliore sur à peu près tous les indicateurs ; les problèmes montés en épingle le sont excessivement et abusivement, y compris ceux qui semblent les mieux établis en haut de l’échelle de la préoccupation commune pour l’avenir de la planète, comme l’érosion de la biodiversité et le changement du climat. Il en revient aussi avec des recommandations tranchées, comme l’abandon pur et simple du fameux protocole de Kyoto auquel les Européens s’accrochent malgré la défection des États-Unis : à en croire Lomborg, il faudrait l’abandonner purement et simplement, car mieux vaudrait se soucier d’améliorer concrètement et immédiatement le sort des populations les plus démunies des pays du Tiers monde (accès à l’eau, à l’énergie et aux soins) que de s’imposer des restrictions très coûteuses et totalement inefficaces.
L’extension pour toujours des engagements pris à Kyoto par les pays industriels coûterait, nous dit Lomborg, 2 % du PNB annuel de ces pays aux alentours de 2050 et n’aurait d’autre effet que de repousser à l’année 2106 avec Kyoto « for ever » ce qui se passerait sans Kyoto en 2100. Ce à quoi on pourrait lui répondre par la question suivante, à la mise en forme symétrique : qu’y a-t-il de dramatique sur le plan économique à ce que la population des pays industriels ne connaissent qu’en 2101 avec Kyoto le niveau de richesse économique qu’ils auraient en 2100 sans Kyoto ? Autant dire que cela n’a guère de sens de faire des effets de manche avec les milliards de dollars brassés un siècle à l’avance.
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Pour convaincre le lecteur qu’il y a mieux à faire que de se préoccuper de bâtir une gouvernance mondiale de l’environnement planétaire, puisque à ses yeux la situation s’améliore toute seule, l’auteur utilise de façon systématique un ensemble de procédés rhétoriques.
Parmi ces procédés, il y en a deux qui méritent que l’on s’y attarde. Le premier consiste à considérer qu’un problème donné n’existe pas, puisque les générations futures qui y seront confrontées feront le nécessaire pour le résoudre et s’y adapter. Il en va ainsi des catastrophes naturelles (inondations, ouragans, etc.) ou de l’expansion géographique de vecteurs de maladies jusqu’alors confinées par le climat à certaines zones du globe. Des générations futures plus riches que nous auront tous les moyens de s’en prémunir. Donc ce ne sont pas des problèmes. Il en va de même des émissions de CO2. Pourquoi s’en préoccuper aujourd’hui, nous dit Lomborg, puisqu’il est plus que vraisemblable que l’énergie solaire prendra le relais aux alentours de 2050 ?
Ce faisant notre auteur ne nous dit rien – hormis qu’il faut renforcer les programmes de recherche – des conditions économiques, techniques et institutionnelles qui rendraient effective l’évolution qu’il pose comme déjà là, alors qu’elle n’est qu’un scénario parmi d’autres, et pas du tout le plus vraisemblable. La survenue de ce scénario qui résoudra les problèmes dépendra précisément des orientations et décisions qui seront prises par nos sociétés et la communauté internationale, non en 2050, mais aujourd’hui et dans les vingt ans à venir. Tenant pour acquis les conditions et moyens qui permettraient à l’humanité de résoudre dans la durée les problèmes identifiés, le raisonnement de Lomborg conduit précisément à faire que ces conditions et moyens ne seront pas au rendez-vous. Quel étrange environnementaliste !
Le deuxième procédé consiste à récuser une action déterminée parce que l’on pourrait faire un autre usage, jugé préférable, des mêmes ressources – concept classique et légitime de coût d’opportunité -, sans se demander si cette option alternative appartient réellement au domaine des options praticables ou si elle ne sert qu’à éliminer l’action réellement envisagée.
Ainsi, plutôt que de s’infliger des coûts, tenus pour élevés, de réduction des émissions de gaz à effet de serre qui profiteront principalement, nous dit Lomborg, aux populations des pays en développement dans un siècle, mieux vaudrait investir les mêmes sommes dans la fourniture d’eau potable, d’énergie et de soins médicaux aux populations actuelles de ces pays. En conséquence, nous dit Lomborg, il faut absolument abandonner Kyoto.
Il précise alors son argument : Kyoto n’aurait de sens que comme premier pas dans l’établissement d’un régime international associant les pays en développement (tout le monde est d’accord sur ce point), qui vont rapidement constituer la principale source d’émissions au monde. Or, nous dit-il, cela n’est pas possible. Pour deux raisons : d’une part ces pays, dont il nous dit pourtant qu’ils seront les principaux bénéficiaires des actions de réduction des émissions, ne voudront jamais prendre un tel engagement ; d’autre part un accord global impliquerait des transferts financiers Nord-Sud, tellement importants, le Nord devant racheter des permis d’émission aux pays du Sud qui auraient été avantageusement dotés pour obtenir leur consentement, que cette solution est politiquement infaisable. Mais alors, l’idée d’investir les mêmes sommes dans l’équipement de base de ces pays au profit des populations démunies n’est pas non plus politiquement faisable ! Elle n’a été mobilisée que pour mieux écarter l’amorce d’une action internationale de prévention du risque climatique.
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De plus, il ignore, quand cela l’arrange, des débats-clés dont il est rendu compte dans les rapports de l’IPCC (Intergovernmental Panel on Climate Change), comme par exemple celui sur la structure du problème de décision auquel la communauté internationale est confrontée avec la question du changement climatique. Compte tenu des incertitudes nombreuses, certaines scientifiques et d’autres pas, qui entourent l’exercice de prospective du climat, les experts de l’IPCC tiennent, dans leur rapport de 1995, pour illusoire de prétendre évaluer et optimiser une fois pour toutes le choix d’une trajectoire d’émission de gaz à effet de serre pour un siècle ou plus. Ils invitent les responsables à adopter une approche séquentielle des décisions à prendre : l’action à long terme doit être conçue comme une suite d’engagements limités dans le temps, destinés à être révisés et complétés et devant être conçus pour être robustes face aux surprises à venir ; dans cet esprit les décisions devront être périodiquement ajustées en fonction des informations et des possibilités nouvelles qui se présenteront à la suite des actions initiales et du progrès des connaissances.
C’est ainsi que les responsables actuels de la communauté internationale ont à s’accorder sur une stratégie de précaution pour les 25 prochaines années, mais pas à choisir la stratégie optimale pour les 150 ans à venir.
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Ce qui fait in fine la valeur scientifique d’un état des savoirs résulte du travail collectif de discussion et de critique, de la confrontation organisée de différentes sources et de différents modèles. Il en résulte une exigence majeure pour la manière de recevoir différents types d’écrits : le crédit à accorder à l’ouvrage d’un auteur seul, quels que soient son talent et les plumes dont il peut se parer, est infiniment plus faible que celui qui mérite d’être accordé à des travaux collectifs rigoureusement organisés, comme c’est le cas, à l’échelle internationale, des travaux de l’IPCC pour le problème du changement climatique.
Ce que met à jour le livre de Lomborg, c’est le besoin urgent de mettre sur pied des équivalents de l’IPCC pour les autres champs de problèmes dont est saisie la communauté internationale.
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