Un tiers du trafic maritime mondial des hydrocarbures transite par les eaux européennes. Les pétroliers, mais aussi de nombreux autres navires, provoquent de petites à moyennes pollutions d’hydrocarbures à la suite de dégazages illégaux, dont environ 3 000 représentent chaque année des événements majeurs dans la région […]. Les conséquences des rejets continus des transports pétroliers sont plus novices et dévastatrices que celles des marées noires occasionnelles.
Quatre-vingt-dix pour cent du pétrole et des produits raffinés sont transportés sur les mers. Lors d’accidents, provoquant d’immenses marées noires, les médias diffusent des images de plages souillées et d’oiseaux mazoutés, qui peuvent avoir une incidence sur l’opinion publique et les décideurs. Néanmoins de telles catastrophes sont rares et ne représentent qu’une infime partie du problème des pollutions marines. En effet, les opérations de routine des tankers mènent au largage en mer d’eaux souillées, provenant de ballast ou de rinçage de cuves. De plus, les résidus toxiques des salles des machines et des fonds de cales sont produits par tout type de navires et finissent aussi souvent dans les océans.
Sur le 1,5 à 1,8 milliard de tonnes de pétrole brut transportées mondialement par an –35 % du transport maritime total – c’est l’Europe qui en reçoit la plus grande partie, soit 500 millions de tonnes et 250 à 300 millions de tonnes de produits raffinés. Ces taux sont en constante augmentation du fait de la consommation croissante. En outre, de nombreux cargos transitent par les eaux européennes, ce qui laisse penser que la quantité totale de pétrole brut parcourant la région atteindrait environ 1 milliard de tonnes […].
On estime que 360 millions de tonnes de brut et de produits raffinés transitent annuellement rien qu’en mer Méditerranée, soit environ 22 % du total mondial. Ne craignant pas de contrôles plus stricts et pour baisser leurs coûts, les équipages des pétroliers relâchent leurs résidus huileux directement en mer. On estime qu’au moins 3 000 événements majeurs de dégazage ont lieu dans les eaux européennes chaque année, soit entre 1 750 et 5 000 tonnes dans la mer Baltique, 15 000 à 60 000 t dans la mer du Nord et plus de 400 000 t en Méditerranée […].
La quantité de produits pétroliers répandue dans les mers d’Europe suite aux opérations de bord dépasse de loin celle issue des accidents : chaque année en Méditerranée, ces déversements sont estimés à 20 fois la quantité provenant du naufrage du « Prestige » au Nord-Est des côtes espagnoles en 2002.
Malgré les conventions et législations nationales et internationales, les dégazages en mer demeurent une préoccupation environnementale non négligeable, toujours en attente d’être résolue.
Ce qui est relâché et pour quelles raisons ?
Les pollutions pétrolières provenant des opérations à bord des tankers comprennent le déballastage, les résidus de rinçage des cuves et d’autres mélanges huileux issus des salles des machines et des fonds de cales. De telles pollutions se nomment « slops ». Après avoir déchargé leur pétrole et avant de repartir « à vide », certains pétroliers doivent ballaster (charger les cuves en eau) pour maintenir l’équilibre du navire. Lorsque ces eaux de ballast sont relâchées, les résidus du pétrole des cuves partent aussi en mer. Les eaux de ballast doivent être reçues par des équipements portuaires appropriés, mais sont généralement larguées en mer pour faire des économies (0,15 €/m 3). Avant de changer de cargaisons, les cuves doivent être débarrassées du pétrole de leur parois (0,5 % du poids total). Le lavage des cuves doit se faire en mer, car les émanations et vapeurs émises lors du processus peuvent altérer les indices de qualité de l’air des zones urbaines portuaires. Le lavage des cuves s’effectue en arrosant les cuves de pétrole pur ou d’eau pour éliminer les résidus.
À l’issue du rinçage, le restant doit être entreposé dans des « caisses à slops », déversé dans des équipements appropriés au port et les cuves inspectées. Cela est rarement fait et les résidus de rinçage sont souvent laissés en mer. Pour les autorités portuaires, la valeur marchande des résidus huileux est moindre vis-à-vis des coûts de traitements et de recyclages de ces résidus. D’un point de vue législatif, les slops peuvent être classés comme « déchets toxiques » au sens légal, impliquant des démarches spécifiques pour les installations à terre. En clair, l’administration portuaire évite d’avoir à traiter avec les déchets des pétroliers.
Les boues huileuses (« sludges » en anglais) comprennent les déchets de salles des machines et les résidus de fonds de cales, quel que soit le type de navire. Les carburants maritimes sont souvent de mauvaise qualité, une faible proportion seulement étant efficace pour la propulsion. Pour améliorer les rendements, ils sont centrifugés avant d’être utilisés, générant des résidus (2 % du poids total) qui sont stockés dans les cales. Les fuites de lubrifiants utilisés finissent aussi en fond de cale. Ces résidus huileux boueux doivent être stockés dans des cuves spéciales (caisses à boues) devant être vidées régulièrement aux ports dans les installations prévues à cet effet. Les quantités de résidus ainsi gérés doivent être inscrites dans le « Livre de Suivi du pétrole » selon le Protocole Marpol.Le certificat de collecte délivré par les autorités portuaires est ajouté au dossier de suivi du pétrole.
Dans la pratique, les bateaux déchargent rarement leurs déchets dans les ports pour plusieurs raisons.
– Le prix ; il peut atteindre 200 €/m 3 pour les sludges.
– L’immobilisation du navire. À noter que, contrairement aux slops, la gestion des boues ne peut se faire simultanément aux autres tâches sur le bateau à quai. Le temps à quai est donc plus long, et les frais augmentent.
– Le manque d’installations aptes à recevoir et à traiter de tels déchets. L’équipement varie suivant les pays, les régions et en fonction de l’activité du port où de telles installations ne seraient pas économiquement viables.
– Le droit n’est pas respecté ; en France, par exemple, l’inspection des navires est inférieure à 10 %, alors que la législation européenne stipule qu’elle doit être de 25 % (…). Il n’existe pas de mesure d’incitation pour forcer l’industrie à décharger les déchets dans les installations portuaires. Ces coûts sont alors considérés comme « évitables ».
– Manque de sanctions ; les chances d’être pris en flagrant délit de dégazage sont très faibles. Les ports sont peu incités à recevoir les déchets et les marins à les décharger légalement. Les lois sont trop peu exigeantes et rarement appliquées, et les navires doivent malgré cela se débarrasser de ces déchets. Cela est souvent fait illégalement en mer, le long des grands axes des voies maritimes ou a proximité du lieu d’un accident récent, de sorte que les déchets se mélangent avec les restes de l’accident et passent inaperçus […].
Impact sur l’environnement !
Les conséquences sur l’environnement dépendent du type et de la quantité de pétrole déversé, des conditions météorologiques et de la dynamique de l’écosystème touché. Une fois dans l’eau, 16 % du pétrole brut est dilué, 22 % est biodégradé grâce à l’action du soleil ou de microorganismes ; le reste a des effets néfastes sur l’environnement. Les éléments les moins denses (15 %) s’évaporent dans l’atmosphère et contribuent à l’effet de serre ou aux pluies acides, comme ceux issus des combustions. Les plus denses coagulent en boulettes de mazout, mélange visqueux d’eau et de pétrole, qui dérivent vers les côtes ou coulent au fond. Les 28 % qui coulent se mélangent avec les sédiments pour former d’épaisses couches de goudron qui détruisent les habitats des animaux marins et les sites de reproduction de nombreuses espèces. Les plus vulnérables sont celles fixées ou très lentes comme les crustacés et les coquillages qui ne peuvent fuir la pollution. Le mazout peut dériver en fonction des marées et des courants, s’agglutiner en haute mer (3 %) ou s’échouer sur les côtes (15 %). En s ‘accumulant sur une plage, le pétrole peut alors infiltrer la nappe phréatique et polluer les réserves d’eau douce.
Lors de déversement de pétrole d’un tanker ou d’une plate-forme de forage, il n’est pas rare que le pétrole s’embrase, polluant l’atmosphère et générant de grandes quantités de cendres toxiques. Le devenir dans le milieu naturel des boues huileuses (sludges) est plus complexe, car les huiles synthétiques se dégradent beaucoup moins vite que le brut, peuvent s’accumuler dans la chaîne alimentaire et contiennent des produits toxiques, comme les dioxines et les métaux lourds, qui ont des effets particulièrement néfastes sur les êtres vivants.
Le pétrole peut nuire à l’environnement de trois façons : par empoisonnement après ingestion, par contact direct et par destruction des habitats naturels. Les conséquences sont plus dramatiques sur les côtes, où le nombre d’espèces est plus important qu’en haute mer. Les mammifères marins et les oiseaux avalent de grandes quantités de mazout en tentant de se nettoyer. Les prédateurs consommant des animaux mazoutés sont aussi intoxiqués.
Certaines espèces peuvent succomber rien qu’en entrant en contact avec du pétrole. Les ailes des oiseaux mazoutés ne jouent plus leur rôle : ils ne peuvent plus voler, ils deviennent parfois tellement lourds qu’ils coulent au lieu de flotter. Le pétrole élimine aussi les propriétés isolantes des poils et des plumes, causant la mort de nombreux animaux par hypothermie […].
Les poissons absorbent le mazout par leurs branchies. S’ils ne sont pas directement intoxiqués, il se peut qu’ils ne puissent plus se reproduire, leur ADN étant détérioré et leur descendance malformée. De plus, le métabolisme des poissons et des crustacés dégrade le pétrole en substances encore plus toxiques pour eux.
Ce qui peut être fait…
Les conventions internationales fournissent des outils pour avoir un meilleur contrôle et lutter contre les pollutions pétrolières […].
La Convention pour la Prévention des Pollutions Maritimes de 1973 et son Protocole Marpol de 1978 ont pour but ultime « l’élimination totale des pollutions intentionnelles du milieu marin par le pétrole ou d’autres substances nocives ». D’après l’amendement de 1992 sous MARPOL, les navires sont autorisés à dégazer suivant le taux de 30 litres par mile nautique (16 L/km), pour autant qu’ils soient à plus de 80 km des côtes. Malheureusement dans la pratique, ces critères sont souvent violés […].
Le Protocole a aussi introduit le principe de Cuve de Ballast Séparés (SBT). Les SBT sont vides lors des trajets de livraison et uniquement remplie d’eau de ballast lors de trajets à vide. Les ballasts ne se mélangent ainsi jamais avec des slops ou résidus huileux. Les navires munis de SBT engendrent ainsi des marées noires moins importantes, puisque le pétrole est réparti en plusieurs cuves de plus petite capacité. Les SBT sont situées où l’échouement est le plus probable, de manière à protéger les cuves de pétrole. De cette manière, la quantité de pétrole déversée en cas d’accident est fortement réduite. Dans sa première annexe, la réglementation Marpol définit des Zones de Protection Écologique (ZPE) où tout rejet de la part des navires est strictement interdit : pratiquement toutes les mers d’Europe ont été assignées en ZPE, sauf la mer de Norvège et le golfe de Gascogne (…).
L’Union Européenne (UE) tente aussi d’inciter les compagnies maritimes qui le font à ne plus déverser. La directive européenne 2000/59 exige que les ports s’équipent en installations capables de recevoir les résidus des cargos. En Allemagne et en Suède, le coût de la collecte des résidus a été inclus dans les taxes portuaires (taxe forfaitaire), ce qui a fortement diminué les décharges illégales dans la mer du Nord. L’UE renforce également les surveillances aériennes et satellitaires, par l’utilisation de système législatif afin de le rendre plus approprié, avec des inspecteurs et juges spécialement formés. Les sanctions financières pour les contrevenants au sein des états membres sont en phase d’homogénéisation.
Aujourd’hui, elles varient d’un facteur de 1 à 30, laissant au navire le choix des lieux où commettre ses méfaits en fonction de l’éventuelle sanction. Sur le plan national, les sanctions sont difficiles, à moins que les fautifs ne soient dans les eaux territoriales ou les zones protégées. Les nations littorales ont peu de pouvoir juridique sur les navires battant pavillon étranger. Au-delà des eaux territoriales ou des Zones d’Exclusivité Économiques (ZEE), leur rôle se limite au contrôle et à la collecte de « preuves suffisantes » de pollution pour les rapporter à l’administration nationale du coupable (pays du pavillon). Même si lesdites nations sont tenues par des lois internationales d’engager des poursuites contre les coupables, ce qui constitue des « preuves suffisantes » relève de leur propre jugement. C’est pour cette raison que la grande majorité des actes de pollution se déroulent juste au large des ZEE […].
Pour qu’il y ait moins de pétrole dans les mers, il faudrait commencer par moins en consommer. Tant que le pétrole restera notre principale source d’énergie, les pollutions aux hydrocarbures, par dégazage ou suite à des accidents aux conséquences dramatiques, seront de plus en plus fréquents. Le pétrole brut couvre 40 % de la demande en énergie au niveau mondial, c’est la plus grande part du secteur énergétique. L’exploration pétrolière va croître de 60 % en 30 ans et la consommation se maintenir à un tel taux.
Le pétrole est utilisé dans les centrales électriques et pour le chauffage dans certains pays ; cependant, la plus grande consommation provient du secteur des transports. Une amélioration des rendements et des économies d’énergie, ainsi que les alternatives renouvelables, telles que le solaire et l’éolien, sont des options qui réduiraient notre dépendance vis-à-vis du pétrole en même temps que les risques de pollutions.
Bulletin d’alerte environnementale
Programme de Nations Unies pour l ‘environnement (PNUE).
Février 2006
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