Le gouvernement [britannique] a sorti la semaine dernière un livre blanc de l’Énergie plein de nouvelles taxes, nouveaux marchés, nouvelles recherches, nouvelles incitations. Quiconque en viendrait à croire, en lisant le chapitre sur les transports, que le gouvernement a la situation bien en main mériterait la plus grande indulgence. Grâce à toutes ces mesures, nous sommes en passe de voir notre utilisation du « temps géologique » baisser de façon radicale.
Pourtant, cachée dans un autre chapitre, on trouve ce remarquable aveu : “Les besoins en carburants constituent la plus grosse part (66%) des besoins en pétrole du Royaume-Uni et devraient connaître une augmentation modérée à moyen terme. » (1) Une augmentation? Si le gouvernement met en place toutes les mesures enthousiasmantes énoncées au chapitre transports, comment diable se pourrait-il que notre consommation augmente?
Inutile de chercher la réponse dans le livre blanc. Il omet mystérieusement de mentionner que le gouvernement a l’intention de construire 4.000 km de routes nationales et de doubler le trafic aérien de nos aéroports d’ici 2030. En partie pour permettre cette croissance des transports, un autre livre blanc paru la semaine dernière propose une dérégulation massive des lois d’urbanisme (2). […]. Le Royaume-Uni a deux gouvernements: l’un déterminé à réduire notre consommation de carburant fossile, l’autre déterminé à l’augmenter. […]
Il devrait pourtant être évident que construire plus de routes et plus d’aéroports implique que la hausse de notre consommation de carburants va complètement conditionner l’avenir de notre économie. Donc le gouvernement a dû bien étudier la question. Si notre vie économique dépend du fait que notre consommation de carburants continue d’augmenter, il a bien dû s’assurer que cette augmentation est possible. Non?
La semaine dernière, j’ai téléphoné à quatre ministères (Commerce et industrie, Transports, Environnement, Communautés et collectivités locales) dans l’espoir de trouver l’étude correspondante. Elle n’existe pas. Le gouvernement britannique n’a commandité aucun rapport permettant de savoir si les réserves en pétrole sont suffisantes pour alimenter son plan de développement des transports.
Au lieu de ça, le livre blanc et les fonctionnaires que j’ai eus en ligne m’ont tous renvoyé à un livre publié par l’Agence Internationale de l’Énergie (4). […] Sur toutes les autres questions qui touchent à la sécurité ou à la croissance économique de l’État, le gouvernement mène ses propres études.
Tandis que dans ce cas, il s’en remet exclusivement à une unique source externe. Cette confiance paraît d’autant plus étrange qu’à la lecture du livre de l’AIE, on se rend compte qu’il est aussi polémique que mes articles.
Avant de présenter la moindre preuve, le livre qualifie « d’oiseaux de mauvais augure » tous ceux qui ont émis des doutes quant aux quantités de pétrole en réserve (5). On y lit que l’AIE « soutient depuis longtemps que l’éventualité selon laquelle on atteindrait un pic pétrolier n’est pas source d’inquiétude.” Bien qu’elle s’attende à voir une hausse de 70% de la consommation globale d’ici 2030 et qu’elle prévoie une baisse d’environ 5% par an de la production des puits existants (6), elle reste certaine que de nouveaux gisements résoudront le problème.
Cette opinion s’appuie sur le fait que « le niveau des réserves de pétrole est resté remarquablement constant depuis les débuts de l’exploitation en dépit du volume puisé chaque année” (7). L’AIE doit pourtant savoir, comme tout le monde, que c’est en partie parce que les membres de l’OPEP (Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole) falsifient les estimations. Le quota qui leur est assigné dépendant de la taille de leurs réserves, ils ont tous intérêt à les surestimer pour « booster » leur quota. […]
C’est donc sur les mensonges de l’OPEP que repose l’optimisme de l’AIE. L’augmentation de la consommation mondiale sera couverte, d’après elle, par une hausse de 150% de la production du Moyen-Orient d’ici 2030 (9). Et si l’on n’en voit pas la couleur, de ce pétrole? L’AIE évoque la question et l’escamote rapidement: “L’état des réserves et des ressources n’étant pas avéré, il est difficile de prévoir quand aura lieu le pic pétrolier qui marquera le début du ralentissement de la production. Au plus tôt, ce serait en 2050.” (10) […]
Il n’y a effectivement pas de consensus au sein de la communauté scientifique sur une date probable. Je ne peux donc pas affirmer que l’AIE se trompe dans son évaluation. Cependant, un rapport paru en février émanant du ministère de l’Énergie américain montre à quel point il est dangereux de s’en remettre à une source unique. “Presque toutes les prévisions s’appuient sur des hypothèses géologiques différentes, voire divergentes… Les incertitudes sont telles qu’il est difficile de définir une base géologique qui mette tout le monde d’accord et permette d’accepter ou de rejeter les diverses prévisions.” (11)
Le rapport offre alors une longue liste de prévisions de la date du pic émanant de personnalités en vue du secteur pétrolier, ou gravitant autour. Les variations sont importantes mais une bonne partie est concentrée entre 2010 et 2020. […] Le seul moyen d’échapper aux conséquences désastreuses du pic serait un plan d’action d’urgence à lancer 20 ans avant. Si certaines des prévisions contenues dans ce rapport se révèlent exactes, il est déjà trop tard.
L’AIE prétend que l’on échappera à la crise en creusant de nouveaux puits et en utilisant du pétrole non conventionnel. Mais ces solutions posent leurs propres problèmes écologiques.
Environ la moitié des nouvelles découvertes sur lesquelles l’AIE compte dans les 25 ans à venir se situent en Arctique ou sous des fonds marins très profonds (entre 2000 et 4000 mètres) (13). Dans les deux cas, un déversement accidentel de pétrole au sein de ces écosystèmes lents et fragiles serait une catastrophe. L’extraction du pétrole non conventionnel – comme les sables bitumineux au Canada ou les schistes bitumineux aux États-Unis – produit beaucoup plus de dioxyde de carbone que celle du pétrole ordinaire (14). […]
Faire dépendre notre croissance future de ces ressources revient à décider d’imprimer toujours plus profondément notre marque sur l’environnement.
Nul besoin d’invoquer le pic pétrolier pour argumenter en faveur d’une réduction de notre consommation de carburant. On aurait simplement pu s’attendre à ce que le gouvernement montre un peu de curiosité quant à savoir si son plan de développement des transports ne risque pas de faire s’écrouler notre économie.
Références :
1. Ministère du Commerce et de l’Industrie, mai 2007. « Relever le défi de l’énergie: livre blanc« . Chapitre 4, p. 114. http://www.dtistats.net/ewp/ewp_full.pdf
2. Gouvernement de Sa Majesté, Mai 2007. « Préparer un avenir durable : livre blanc« . http://www.communities.gov.uk/pub/669/
3. Agence Internationale de l’Énergie, 2005. Des ressources aux réserves: technologies pétrolières & gazières pour les marchés de l’Énergie de l’avenir.
Disponible à l’adresse électronique: http://www.iea.org/textbase/nppdf/free/2005/oil_gas.pdf
4. Page 3.
5. Page 13.
6. Page 27.
7. Agence Internationale de l’Énergie, 2005, ibid. p. 61.
8. Page 28.
9. Robert L. Hirsch, 5 février 2007. Pic de la production pétrolière: prévisions récentes. DOE/NETL2007/1263. Ministère de l’Énergie des États-Unis.
http://www.netl.doe.gov/energy-analyses/
10. Agence Internationale de l’Énergie, 2005, ibid. p. 65.
11. L’ AIE souligne que: « La production de pétrole lourd demande beaucoup plus d’énergie que la production de pétrole standard. En fait, le processus de production en amont de la filière pétrole et gaz consomme actuellement l’équivalent de 6% de l’énergie contenue dans les hydrocarbures. Avec le pétrole lourd, ce ratio peut monter jusqu’à 20 ou 25%. » p. 78.
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