[…] Les risques liés au secteur industriel inquiètent autant les Français que les catastrophes naturelles. L’histoire récente est en effet jalonnée de nombreux épisodes dont l’ampleur et l’impact sur l’opinion sont très divers. Certains événements, comme l’explosion de l’usine AZF en 2001, qui a tué trente personnes à Toulouse, ou la catastrophe de Seveso en 1976 en Italie, lors de laquelle un nuage de dioxine s’est échappé du réacteur d’une usine chimique et s’est répandu sur la Lombardie, ont eu un impact sanitaire relativement limité sur le long terme. En revanche, leur impact psychologique est durable.
D’autres désastres ont eu des effets sanitaires qui sont encore visibles, comme la catastrophe de Bhopal, en Inde : l’explosion d’une usine de pesticides en 1984 avait dégagé 40 tonnes d’isocyanate de méthyle dans l’atmosphère de cette ville, tuant entre 16 000 et 30 000 personnes. Ce sont plus de 360 000 personnes qui ont été affectées, dont nombre sont restées handicapées et vivent aujourd’hui dans des conditions très difficiles. « Ces catastrophes ont eu pour effet de faire prendre conscience des risques. Le problème c’est que, malgré les mises en garde, quelles que soient leurs sources, les mesures ne sont jamais prises par anticipation et trop souvent a posteriori », analyse Frédéric Ogé, sociologue au Pôle de recherche pour l’organisation et la diffusion de l’information géographique (Prodig) (1). On le voit : ce n’est qu’à la suite des accidents des années soixante-dix que la directive européenne Seveso a été adoptée en 1982. Cette directive, nommée d’après la catastrophe du même nom, avait pour but d’identifier les usines à risques et de maîtriser les dangers liés aux substances dangereuses. En 1996, elle a été remplacée par une directive plus stricte, Seveso 2, mais ce n’est qu’après l’explosion de l’usine AZF qu’elle a réellement été appliquée.
Tchernobyl, vingt ans après
Parmi les catastrophes industrielles, la plus grave et celle dont, même vingt ans plus tard, on ne sait évaluer l’étendue exacte des conséquences, est l’explosion en 1986 de la centrale nucléaire de Tchernobyl, à la frontière de l’Ukraine et de la Biélorussie. Alfredo Pena-Vega, sociologue au Centre d’études transdisciplinaire, sociologie, anthropologie, histoire (Cetsah) (2), est allé enquêter en Biélorussie dans les districts de Stolyn et Narowlya, situés respectivement à 80 et 70 km du réacteur, et s’est intéressé à l’état sanitaire des populations qui n’ont pas quitté la zone. « La situation sanitaire reste préoccupante. Par exemple, dans les villages de Narowlya, seule 16 % de la population peut être considérée comme saine. Tous les autres souffrent à divers degrés de pathologies liées à la radioactivité : troubles gastriques, cardiaques et problèmes thyroïdiens, dont des cancers. De plus, la situation sanitaire de cette population ne va pas s’améliorer, puisqu’il y a des gens qui vivent et qui naissent dans ces terrains radioactifs. » Pourtant, environ 30 % du budget de l’État biélorusse est destiné à remédier aux conséquences de la catastrophe : réhabilitation des territoires contaminés, aides aux populations sinistrées, indemnités pour les célèbres « liquidateurs » irradiés, ces hommes qui furent chargés de décontaminer le site de Tchernobyl au lendemain de l’explosion.
Une catastrophe sanitaire majeure comme celle-ci est-elle encore possible aujourd’hui, malgré les notables améliorations en matière de sécurité et de contrôle des installations qui ont été réalisées ces trente dernières années ? « La culture du risque a atteint, je pense, ses limites, affirme Frédéric Ogé. Les procédures de sécurité ont tendance à se déliter au fil du temps et des erreurs humaines ou des incidents techniques peuvent conduire à des catastrophes majeures. Je pense que l’on est devant un choix de société : continuer à prendre des risques, qui tôt ou tard finiront par se réaliser, ou alors décider de l’abandon des modes de production dangereux. »
1. Pôle CNRS / Universités Paris-I, IV et VII / EPHE.
2. À l’Institut interdisciplinaire d’anthropologie du contemporain (CNRS / EHESS).
Sebastián Escalón
Le journal du CNRS. N°208, mai 2007.
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