La Liste rouge des espèces menacées de l’UICN est largement reconnue comme étant l’un des meilleurs outils dont nous disposons pour orienter la conservation de la nature. Elle est très souvent utilisée pour identifier les espèces nécessitant des mesures de protection et les sites d’une importance cruciale pour leur biodiversité ; elle sert également à suivre les progrès accomplis en matière de réduction de la perte de biodiversité et à orienter l’allocation de ressources. Elle n’est pas parfaite et fait souvent l’objet de critiques comme on l’a vu tout récemment dans les pages de ce magazine où elle était présentée comme « pas scientifique et souvent erronée » (New Scientist, 14 mars, p.8). Ce qui est faux.
Le premier Livre rouge de l’UICN, publié en 1963, consistait en une liste essentiellement subjective des risques d’extinction. Depuis lors, en 45 ans, il a considérablement évolué. Ce n’est plus un simple registre des espèces et du risque d’extinction qu’elles encourent, mais une riche somme d’informations sur leurs habitats, leurs besoins écologiques, les menaces auxquelles elles font face ainsi que les actions de protection qui peuvent être mises en place pour qu’elles ne disparaissent pas. Les espèces communes – et pas seulement les espèces menacées – sont également étudiées.
La Liste rouge en tant que telle constitue donc une aide pour répondre à de nombreuses questions essentielles. Quel est le statut général de la biodiversité et comment évolue-t-il au fil du temps ? A quel rythme disparaît-elle ? Où cette disparition est-elle le plus rapide ? Quels sont les principaux facteurs de la perte de biodiversité ? Quels sont l’efficacité et l’impact des actions de conservation ?
Si nous, à l’UICN, sommes ouverts à toute critique constructive, nous sommes en revanche exaspérés par celles qui ne tiennent pas compte des progrès réguliers que nous avons accomplis pour essayer de présenter un tableau objectif de l’état de conservation des espèces à travers le monde et pour contribuer à ce que la perte de biodiversité soit reconnue comme un problème primordial dans les haute sphères de la politique.
La littérature scientifique, ces dernières années, n’a pas été avare d’articles vantant les mérites de la Liste rouge (ainsi la revue Trends in Ecology & Evolution, vol. 21 p.71). Aucun autre outil de conservation ne peut se prévaloir d’un tel niveau de rigueur, d’un tel degré de transparence et d’une telle quantité de débats et de consultations. Il est important de souligner que la Liste rouge constitue un des très rares indicateurs de biodiversité, si ce n’est le seul, dont la méthodologie a été publiée dans une revue scientifique révisée par des chercheurs (PLoS ONE,vol. 2, e 140).
On nous accuse souvent de faire preuve d’une prudence excessive en classant trop d’espèces dans la catégorie « données insuffisantes », qui signifie qu’un déficit de données ne permet pas d’évaluer leur état de conservation. Cet argument n’est pas valable. Car plutôt que de nous précipiter et d’émettre un jugement à partir de données insuffisantes, nous mettons au contraire en exergue les espèces qui nécessitent davantage de recherches avant qu’une décision objective puisse être prise. Traiter l’incertitude dans un cadre structuré n’est pas une pratique répandue dans le monde de la protection de la nature, mais c’est pourtant ce que fait la Liste rouge. Étant donné l’ampleur de l’extinction actuelle, le besoin est grand de prodiguer des conseils avisés aux décideurs qui attendent des chercheurs qu’ils leur fournissent des informations sur l’état de la biodiversité.
De la même façon, certains reprochent à la Liste rouge de déterminer le risque d’extinction d’une espèce d’après son taux de déclin et non d’après sa population absolue. Cela aboutit certes à classer une espèce comme la tortue verte dans la catégorie « en danger » alors qu’il en reste encore 2 millions dans le monde, mais cette critique est néanmoins fallacieuse. Car le déclin est un facteur clé du risque d’extinction. Bien des experts peuvent en témoigner : les cas sont nombreux d’espèces autrefois présentes en abondance qui ont décliné très rapidement pour atteindre des niveaux extrêmement bas. On pense par exemple, pour le passé, au bison d’Amérique du Nord et à la tourte voyageuse, et, plus récemment, aux vautours d’Asie et au saïga.
Ces critiques avaient toutes deux fait l’objet d’une réponse dans un article référence publié dans Conservation Biology l’année dernière (vol.22, p.1424). Il est décevant de constater que le New Scientist les a reprises sans faire référence à cet article.
Il y avait dans le New Scientist une critique qui était inédite, même pour nous : la Liste rouge n’attribuerait pas les ressources aux espèces qui en ont vraiment besoin. Cet argument ne repose sur rien. C’est comme si on accusait les organisations humanitaires de mettre les enfants d’Érythrée en danger en publiant un rapport sur le Darfour.
La Liste rouge a bien évidemment le souhait de s’améliorer. L’UICN convoque régulièrement un groupe de chercheurs reconnus pour reconsidérer et peaufiner le système, et ses principes directeurs sont constamment actualisés pour suivre au plus près les derniers courants et sujets de réflexion scientifiques. Le groupe réfléchit ainsi à l’heure actuelle à la façon d’intégrer l’importante question du changement climatique dans le processus de classification. Les premiers résultats montrent en effet qu’un grand nombre d’espèces, qui ne sont pas actuellement classées comme menacées, sont sensibles au changement climatique.
La Liste rouge demeure l’outil le plus précis pour mesurer l’état de conservation des espèces. Le fait que le travail émane de plus de 7000 chercheurs ne signifie pas qu’elle soit « bricolée ». Cela la rend au contraire plus riche et lui confère une portée sans précédent. Oui, elle est ouverte au débat et à la remise en question, mais la diversité des sources dans lesquelles elle puise la rend unique et irremplaçable. Les exemples sont légion qui montrent que là où elle est utilisée correctement, elle permet de bâtir des programmes de conservation extrêmement bénéfiques.
Il est particulièrement difficile de sensibiliser les décideurs à l’importance de prêter attention à toute forme de vie sur notre planète. Tous les protecteurs de l’environnement souhaiteraient que la biodiversité soit traitée avec autant d’égards que le changement climatique, mais c’est un objectif difficile à atteindre. La Liste rouge, par son objectivité et son niveau d’exigence, est un des très rares outils qui pourraient permettre d’y parvenir.
3 avril 2009 par Jeff McNeely, Simon Stuart, Jane Smart et Jean-Christophe Vié
Jeff McNeely est directeur de recherches à l’Union mondiale pour la nature (UICN). Simon Stuart est président de la Commission de la sauvegarde des espèces de l’UICN. Jane Smart est à la tête du groupe de travail pour la conservation de la biodiversité de l’UICN. Jean-Christophe Vié est chargé de programme adjoint « espèces » de l’UICN.
© New Scientist 3 avril 2009 – Magazine issue 2702
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