La première étude détaillée du phénomène met en garde contre ses effets sur les communautés rurales mais évoque aussi les bénéfices possibles.
Les achats de terres à grande échelle sont en rapide augmentation en Afrique et ailleurs, entraînant le risque, si ces opérations sont mal gérées, que les populations rurales les plus pauvres perdent leurs droits sur les terres et autres ressources naturelles, d’après la première étude détaillée de ces processus.
L’étude a été réalisée par l’Institut International pour l’Environnement et le développement (IIED, Londres) à la demande de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et du Fonds International pour le développement Agricole (FIDA). Elle montre que ces transactions sur la terre peuvent créer des opportunités (débouchés garantis, emplois, infrastructures, hausses de productivité agricole) mais peuvent aussi causer des dommages si les populations locales sont exclues des décisions et si leurs droits fonciers ne sont pas protégés.
Le rapport souligne un certain nombre de préjugés erronés sur ce qu’on a appelé l’accaparement (ou la spoliation) des terres. Il met en évidence le fait que ces transactions ont augmenté rapidement depuis cinq ans.
Mais, alors que les investissements étrangers sont les plus nombreux, les investisseurs nationaux jouent aussi un rôle important dans ces acquisitions à grande échelle.
Les transactions impliquant des acteurs privés (entreprises) sont plus nombreuses que celles de gouvernement à gouvernement, bien que les gouvernements utilisent des moyens indirects pour soutenir des transactions faites par des entreprises.
Les inquiétudes concernant la sécurité des approvisionnements alimentaires ou en énergie sont des motivations clés pour les acquéreurs, mais d’autres facteurs tels que les opportunités de profit, la demande de matières premières pour l’industrie ou l’action des pays d’accueil jouent aussi un rôle.
Bien que les acquisitions à grande échelle ne représentent encore qu’une petite part des terres cultivables dans la plupart des pays, il n’y a que très peu de terres vraiment disponibles, car la plus grande part des terres de qualité sont déjà cultivées ou appropriées, le plus souvent par les populations locales.
L’étude a révélé que beaucoup de pays n’ont pas de mécanismes suffisants pour protéger les droits locaux et pour prendre en compte les intérêts et moyens d’existence des populations locales.
Un manque de transparence et de moyens de contrôle public dans la négociation des contrats peut favoriser des accords qui ne maximisent pas l’intérêt public.
Des droits fonciers locaux incertains, des procédures d’enregistrement des terres peu accessibles aux populations, des législations incomplètes et d’autres facteurs affaiblissent trop souvent la position des populations locales.
Appréciation prudente
Le rapport appelle à une appréciation prudente des contextes locaux, y compris concernant les utilisations et formes actuelles de contrôle des terres; à une sécurisation des droits des communautés locales; à impliquer les populations dans les négociations, et à n’approuver la cession des terres qu’après leur accord préalable libre et bien informé.
Les chercheurs de l’IIED Lorenzo Cotula et Sonja Vermeulen appellent à la prudence: les types d’acquisition varient fortement et les affirmations générales sur la spoliation des terres sont très trompeuses.
« En fin de compte, la possibilité que ces accords internationaux développent les opportunités positives et tempèrent les risques dépend de leurs modalités et conditions: quels modèles d’entreprises sont mis en place, comment les coûts et les bénéfices sont partagés, qui décide sur ces questions et comment?, dit M. Cotula. Ceci appelle des régulations adéquates, de bonnes négociations et une supervision par l’Etat. »
« L’ampleur des acquisitions de terre a été exagérée, mais dans de nombreux pays les accords qui permettent la propriété des terres par les étrangers peuvent être très problématiques ».
Des défis mondiaux
Alexander Mueller, responsable du Département de l’Environnement et des Ressources Naturelles à la FAO, insiste sur la nécessité de voir l’investissement étranger et les acquisitions à grande échelle dans le contexte des nouveaux défis globaux de l’environnement et de la sécurité alimentaire.
« Ce nouveau phénomène (l’achat massif de terres agricoles) est un résultat de la récente crise alimentaire et de la volatilité des prix des aliments, entre autres causes. Les nouveaux défis de l’insécurité alimentaire et de l’investissement globalisé doivent être relevés à travers des régulations adéquates, ainsi que des politiques agricoles et alimentaires bien informées. »
« Cette étude devrait aider à situer les décisions d’investissement dans une compréhension globale de toutes les implications, y compris sociales et environnementales. Des directives pour la bonne gouvernance foncière, ou un code définissant des règles pour les investissements, pourraient être utiles pour améliorer les mécanismes de décision et la négociation des contrats. La FAO et ses partenaires travaillent ensemble pour développer de telles directives et la présente étude est une première étape dans ce processus. »
« J’éviterais le terme générique de « spoliation des terres » », dit Rodney Cooke, Directeur de la Division consultative technique du FIDA. « Réalisés de la bonne façon, ces accords peuvent apporter des résultats positifs pour toutes les parties et être un outil de développement. »
« Les femmes et les hommes pauvres avec qui le FIDA travaille chaque jour ne doivent pas être marginalisés. Leur contribution et leurs intérêts doivent être centraux, et nous devons faire en sorte que les bénéfices promis, tels que l’emploi, les infrastructures et les connaissances agricoles, se matérialisent ».
L’étude « Accaparement des terres ou opportunités de développement ? Investissements agricoles et transactions foncières internationales en Afrique » se base sur des recherches de terrain originales en Ethiopie, au Ghana, au Mali, au Kenya, à Madagascar, au Mozambique, au Soudan et en Zambie.
Elle a été réalisée par une équipe de l’IIED en étroite collaboration avec la FAO et le FIDA. Elle a été financée par la FAO, le FIDA, l’IIED et le Département du Royaume-Uni pour le développement International (DFID).
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