Quel bilan tirer de Copenhague? Michel Rocard estime que c’est d’abord un échec pour l’Union Européenne et les pays insulaires menacés par le réchauffement climatique. Mais, Copenhague peut aussi l’occasion de prendre un nouveau départ dans les négociations sur le climat mais, cette fois, devant le l’Assemblée Générale de l’ONU.
C’est en 1992 à Rio de Janeiro que fut signée par plus d’une centaine de nations la Convention Cadre des Nations Unies pour le changement climatique (CCNUCC). Depuis, presque chaque année, les parties à cette Convention se rencontrent en une « Conference of Parties » (COP). Le plus souvent, ces réunions sont très techniques et limitées aux Ambassadeurs. Mais quelquefois, les travaux préparatoires ayant muri et appelant décision, les conférences sont élevées au niveau des Ministres ou même des chefs d’Etat ou de Gouvernement. Ce fut le cas à Kyoto en 1997, puis de nouveau à Copenhague en décembre 2009 pour la COP15.
On se souvient qu’à Kyoto, beaucoup de délégations étaient arrivées résignées à accepter le principe d’une taxation des émissions de gaz à effet de serre ou plus limitativement du gaz carbonique CO², le plus répandu des gaz à effet de serre après la vapeur d’eau, et celui par lequel ce sont les activités humaines qui contribuent à l’aggravation de cet effet de serre et donc au réchauffement climatique. Toute combustion, et notamment celle de pétrole, de gaz ou de charbon, pour se chauffer, se déplacer ou produire de l’électricité, dégage un effet du gaz carbonique.
Devant cette perspective, la délégation des Etats Unis d’Amérique – qui représentait un Gouvernement très soucieux de réduire le rôle de l’État dans l’activité économique et de réduire aussi massivement les impôts – s’y était déclarée violemment opposée. Elle a proposé un tout autre système, qui consistait à encadrer le volume des émissions de gaz carbonique dans des enveloppes de volume limité, les permis d’émission ou quotas, et de rendre ces quotas négociables à l’achat ou à la vente sur un marché spécialisé organisé à cet effet.
Ce système fut choisi à Kyoto avec l’espoir que les Etats-Unis, qui l’avaient proposé, pourraient de ce fait l’accepter. La Chine et l’Inde n’étaient pas là, la Russie hostile, et finalement les Etats-Unis qui avaient signé ont refusé de ratifier.
L’accord de Kyoto fut de ce fait très affaibli. Il comportait tout de même, entre autres, le vœu de mettre en place un tel système.
L’Union Européenne a été le seul groupe de Nations qui a entrepris sérieusement de répondre à ce vœu. Le système européen des quotas, limité aux producteurs d’électricité et aux fabricants de matériaux, les plus gros émetteurs, est ainsi en place depuis 2005 dans l’UE.
La COP15, conférence mondiale sur le climat de Copenhague, était prévue de longue date. Élargie à pratiquement toute la planète, et notamment la Chine et l’Inde, elle avait pour objet de tirer un bilan des suites de Kyoto, et de proposer un régime définitif et stable pour 2012 et ensuite, celui de Kyoto ayant été proposé à titre provisoire pour jusqu’en 2011.
Quatre jours de conférence ont abouti à un fiasco complet. Un document final de quatre pages vaguement approuvé par acclamations n’a même pas été soumis au vote. Il émet le vœu que l’action mondiale vise une limitation du réchauffement climatique à deux degrés centigrades au cours du XXIème siècle. Il ne dit en rien comment. Le système de permis d’émissions négociables recommandé par Kyoto l’était pour jusqu’en 2011. Ni ce système ni aucun autre ne sont recommandés pour la suite. Aucun État ne prend aucun engagement chiffré, et aucun système mondial de mesure ou de vérification n’est recommandé.
A bien des égards, cet échec est gravement dommageable. Aucun engagement n’ayant été pris par aucun Gouvernement, on ne va pas encore commencer à engager sérieusement la lutte contre l’émission excessive de gaz à effets de serre, donc contre le réchauffement climatique. Cela implique nécessairement que les efforts à faire quand on commencera seront plus douloureux parce qu’il y aura du retard à rattraper.
L’échec laisse l’Europe incertaine sur l’avenir de son système de quotas qui marche très mal.
Il existe une Ligue internationale des états insulaires, forte de 43 membres. Plus de la moitié peuvent considérer que la décision de ne rien faire, donc de laisser sans réagir la montée des eaux des océans, est à leur endroit un assassinat. Le plus petit, le Tuvalu, 11 000 habitants commence déjà à chercher où évacuer ses ressortissants quand il disparaitra. Le Grand Bengladesh, 100 millions d’habitants est menacé de submersion pour la moitié de son territoire, et les Pays Bas, 16 millions, pour le quart.
Mais c’est surtout dans les immenses zones en voie de sécheresse accentuée, Moyen Orient, Méditerranée, centre de la Chine, centre des Etats Unis, que l’on imagine voir partir la centaine de millions de réfugiés climatiques que certains – mais d’autres doutent – prévoient pour la deuxième moitié de ce siècle.
On ne peut donc en rester là. Et le processus n’est pas arrêté. Les Conférences des Parties continuent régulièrement. On peut imaginer que la première donnera lieu à de sérieux règlements de comptes.
Car une colère de bien des peuples et bien des Gouvernements est prévisible.
Elle peut s’appuyer sur une deuxième lecture de Copenhague. Après tout ce fut tout de même la première conférence vraiment mondiale sur le climat. La déception vient de ce qu’il n’y a pas eu de décision, mais cela veut dire que tout le monde était prêt à ce qu’il y en ait une, ce qui est aussi presque une première mondiale. Enfin, si le texte adopté est assez faible, il énonce tout de même un espoir de limitation du réchauffement qui vaut reconnaissance par les gouvernements d’une menace, et pas seulement par l’opinion, les ONG ou les scientifiques.
Les acquis sont limités, mais il ne faut surtout pas les ignorer : ils sont la base de départ du redémarrage.
Et enfin il faut préserver l’outil. Beaucoup de commentateurs ont devant cet échec condamné l’ONU pour impuissance. C’est une erreur pour le passé, et très dangereux pour l’avenir.
Pour le passé, c’est à dire Copenhague, l’ONU n’a été que le tour opérateur, elle a fourni la logistique, les interprètes et le carnet d’adresses. Ses organes décisionnels n’ont pas été saisis et n’ont pas fonctionné.
L’organe de référence de l’ONU est son Assemblée Générale. Elle est l’unique endroit au monde où toutes les nations votent, et votent à la majorité : pas d’unanimité ni de veto à l’AGNU. C’est sans doute pour cela que l’on n’a pas osé la saisir. Or cette Assemblée est le seul endroit où l’on puisse contourner les réticences des plus grandes puissances, Chine, Etats Unis, coresponsables de l’échec de Copenhague.
Il est donc temps de se servir vraiment de l’ONU, donc de saisir son Assemblée Générale. Pour cela il est d’abord prudent de ne pas faire comme si l’ONU était pour quelque chose dans le drame de Copenhague.
Copenhague : Demi succès ou catastrophe ? Par Michel Rocard
Copyright: Project Syndicate, 2010.
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