Les scientifiques dont les recherches ont révélé l’étendue du changement climatique dans le monde sont aujourd’hui maltraités par la presse à sensation. Tout a commencé par le scandale de la fuite des courriels (en fait piratés) de l’unité de recherche climatique de l’université d’East Anglia en Grande-Bretagne. Est ensuite venue l’information que les glaciers de l’Himalaya ne régressaient en fait pas, et qu’ils ne disparaîtraient pas d’ici à 2035.
La première affaire a éclaté juste avant le sommet COP15 sur les changements climatiques de Copenhague en décembre. La seconde vise à enterrer le peu d’espoir restant pour ratifier un successeur au protocole de Kyoto. Coup sur coup, ces scandales exagérés ont, jusqu’à présent tout du moins, grandement porté atteinte à la crédibilité des preuves sur lesquelles la bataille contre le réchauffement climatique est fondée.
Mais dans quelle mesure ces attaques sont-elles justifiées, notamment celles accusant le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), l’organe des Nations Unies qui fixe l’étalon or pour mesurer l’évolution du climat dans le monde ? Un indice très révélateur est le mépris que les climato-sceptiques ont pour les données des études gouvernementales indiennes actuelles. Ils l’ont d’ailleurs utilisé pour saper le rapport du GIEC et entacher le passé immaculé du scientifique Syed Iqbal Hasnain, à l’origine de la citation alarmiste du GIEC sur l’Himalaya. Aussi, la joie impie avec laquelle ils ont entrepris de détruire le lauréat du prix Nobel, R.K. Pachauri, icône du mouvement contre le réchauffement climatique, en attribuant une motivation financière à ses recherches, en dit long.
Hasnain, qui analyse actuellement l’accumulation du carbone noir présent dans la neige en haute altitude dans l’Himalaya, n’est pas un quelconque scientifique égotiste en quête de gloire. Il a été professeur de glaciologie à l’institut des sciences environnementales de l’Université Jawaharlal Nehru et membre de l’Indian Institute of Technology et de l’Université technologique de Delft aux Pays-Bas. Entre 1995 et 1999, il a présidé le groupe de travail sur les glaciers de l’Himalaya pour la Commission internationale sur la neige et la glace. Il est aussi l’auteur de Himalayan Glaciers: Hydrology and Hydrochemistry et d’une quantité de publications scientifiques.
Hasnain a fait sa remarque au New Scientist en 1999, cinq ans seulement après le pic de la régression des glaciers et deux ou trois ans seulement après le début du ralentissement – il était bien trop tôt pour dire que la tendance s’était inversée. L’utilisation de cette remarque par le GIEC était peut-être hâtive, mais pas mensongère puisqu’en 2003-2004, l’année précédant la fin de son quatrième rapport, l’inversion de la tendance était à peine perceptible.
A la vérité, le rapport 2009 du ministère de l’environnement et des forêts indien indique que le recul moyen des glaciers (environ cinq mètres par an depuis les années 1840 – début de la consignation des mesures) s’est fortement accéléré entre les années 1950 et 1990. Toutefois, ce recul s’est ralenti dans la seconde moitié des années 1990, jusqu’à ce que, dans le cas de certains des glaciers les plus grands et les plus connus, comme Gangotri et Siachen, il ait « pratiquement cessé durant la période 2007-2009 ».
Or, le recul de la langue glacière n’est que l’un des trois paramètres permettant de mesurer l’évolution des glaciers. Les deux autres sont le « bilan de masse » et le taux de déchargement de la fonte des glaces. Les glaciers de l’Himalaya n’ont pas cessé de perdre de la masse, même s’ils continuent d’en perdre à un taux plus bas qu’auparavant. Les preuves rassemblées sur 466 glaciers par l’Indian Space Applications Center de 1962 à 2004 montrent une diminution de 21 % de la surface des glaciers et de 30,8 % de leur volume.
Cette même étude indique aussi que les plus petits glaciers rétrécissent plus rapidement que les grands. Tandis que les glaciers de plus de 5 km² ont perdu 12 % de leur masse, ceux de moins d’1 km² en ont perdu 38 %. Si l’on applique le ratio global de perte de masse par surface, cela signifie que les plus petits glaciers de l’Himalaya (et donc les plus nombreux) ont perdu jusqu’à 57 % de leur masse entre 1960 et 2004.
Quelle pourrait être la cause de l’arrêt du recul de la langue glacière ? Un facteur pourrait être le dépôt de poussières et de carbone noir (combinaison appelée « les aérosols ») sur la neige. Jusqu’à 400 g/m², cette accumulation augmente fortement le taux de fonte. Entre 400 et 600 grammes, elle n’a pas d’effet ; mais lorsqu’elle excède 600 grammes, elle sert de bouclier contre le soleil et ralentit la fonte.
Des couches d’aérosols bien plus épaisses à l’extrémité inférieure des glaciers pourraient expliquer la tendance de certains glaciers, évoquée dans le rapport indien, à se resserrer en leur milieu et à former deux parties distinctes. Donc, le ralentissement de la régression de la langue glacière pourrait être la conséquence de l’accroissement très vif de la population humaine sur les plateaux et la désertification causée par le surpâturage – l’augmentation des aérosols dépendrait donc de facteurs purement locaux.
Seule une recherche axée sur la différence entre les glaciers situés en zones fortement peuplées et ceux des zones inhabitées, comme Siachen, permettra de répondre une bonne fois pour toutes à la question. Mais compter sur la croissance de la population et la désertification pour prolonger la vie des glaciers reviendrait à déshabiller Pierre pour habiller Paul.
Ce qu’il faut explorer, ce n’est pas la validité de la croyance des profanes, mais la nature des influences locales qui s’y opposent. En s’empressant de s’excuser pour une déclaration qu’ils n’avaient à l’évidence pas comprise, le secrétaire britannique pour l’énergie et le changement climatique Ed Miliband et les autres n’ont pas seulement remis en cause l’honnêteté des scientifiques tels que Hasnain, mais aussi la crédibilité de la science en elle-même.
La climatologie sous le coup des tabloïdes
par Prem Shankar Jha
Copyright: Project Syndicate, 2010.
Traduit de l’anglais par Aude Fondard
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Esacaravage
La campange anti GIEC
A qui profite le crime?
L’évidence du changement climatique, condamnant à court terme les pratiques de la civilisation dite de consommation, est devenue de plus en plus insupportable à tous ceux qui en tirent les profits que l’on sait. Aussi les lobbies des combustibles fossiles, les plus menacés s’emploient-ils depuis plusieurs années à recruter des climatoseptiques chargés de nier soit le réchauffement, soit son origine anthropique. L’impact, désormais patent dans l’opinion, de l’alarme climatique, venant s’ajouter aux conséquences de la crise financière, menace de modifier à court terme les comportements consuméristes. Les lobbyistes ont opportunément découvert dans la nature même du GIEC, organisation mal structurée, faisant appel aux prestations de plusieurs centaines de scientifiques de nationalités différentes et de niveaux disparates le talon d’Achille de la théorie du réchauffement. Il n’a pas été difficile à des limiers exercés de découvrir parmi des milliers de pages quelques détails contestables, quelques déclarations excessives ou mal fondées et le tour a été joué. Il a-été facile aux spécialistes du marketing d’orchestrer à partir de ces quelques défauts secondaires la montée en puissance de leur campagne de désinformation. Bien opportunément une vague de froid exceptionnelle s’abattant sur les USA leur sert à point nommé d’argument alors qu’en fait de tels phénomènes météorologiques extrêmes s’inscrivent parfaitement dans le scénario du bouleversement du climat.
Cette campagne, outre ceux qui émargent directement aux budgets des lobbies, comble d’aise tous ceux pour qui les options négationnistes, quelles qu’elles soient, sont un bon moyen de se valoriser à peu de frais et les adeptes de la maxime «après nous le déluge» à qui il importe peu de consommer et de consumer les ressources de la planète tout en sacrifiant la survie de leurs enfants.
Les véritables scientifiques, spécialistes du climat, paraissent bien mal armés pour répondre sur le même ton au flot de sarcasmes déversés où il n’est pas difficile de discerner le style de publicitaires patentés.
Cependant la fonte des glaces arctiques s’accélère, le permafrost exhale son méthane, les inondations et les sécheresses se multiplient. Combien de catastrophes faudra-t-il encore pour mettre un terme à cette tentative de désinformation d’un autre âge.