La conférence de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES), à laquelle participaient 175 pays et qui se tenait à Doha, au Qatar, a duré deux semaines et s’est achevée le 25 mars dernier sans que les gouvernements parviennent à faire adopter plusieurs propositions visant à protéger des espèces en danger telles que l’ours polaire, le thon rouge, les coraux et différents types de requins. Et pourtant le nombre de thons rouges a chuté de 80 % depuis 1970 du fait d’une très forte demande de la part des pays asiatiques et la demande d’ailerons de requin à travers le monde conduit à la capture de 73 millions de ces animaux par an.
Bien que certains succès aient été enregistrés, comme la protection des rhinocéros au Kenya et le maintien des restrictions sur le commerce de l’ivoire des éléphants en Zambie et en Tanzanie, pour la majorité des ONG environnementales cependant, la conférence n’a fait que mettre en évidence de façon décourageante la supériorité des intérêts commerciaux sur les efforts de conservation.
Susan Lieberman, directrice adjointe du Pew Environment Group et représentante de la délégation du Pew à la CITES, nous donne son opinion sur les enjeux politiques qui se cachent derrière ces échecs de la conférence de la CITES à Doha.
Selon vous, étant donné les nombreux échecs qui ont marqué la 15e conférence de la CITES à Doha, dont la mission est de protéger des espèces à la fois terrestres et marines, cette convention représente-t-elle toujours le cadre le plus approprié pour faire passer des mesures de protection des espèces en danger ?
« Il ne s’agit pas d’un échec de la CITES, mais de certains gouvernements qui en font partie et qui n’ont pas protégé les espèces en danger. Ainsi, les votes étaient majoritairement favorables à des propositions visant à protéger différentes espèces de requins, mais ces propositions ont été rejetées de peu. En effet, le Japon, soutenu en cela par la Chine et ses homologues asiatiques, a malheureusement orchestré une redoutable campagne afin de constituer une minorité de blocage, or il faut une majorité des deux tiers lors du vote à bulletins secrets pour qu’une proposition soit acceptée. »
En face de vous, comment le Japon et la Chine ont-ils justifié le fait de ne pas apporter leur soutien aux différentes interdictions, et ce malgré les données scientifiques qui indiquent clairement que les populations marines diminuent à une vitesse alarmante ?
« L’un des arguments officiels avancés par le Japon est que les quotas de pêche ne doivent pas être fixés au sein de la CITES. Il propose au contraire que cela soit du ressort des organismes de pêche régionaux. Les Chinois, de leur côté, ont justifié leur refus des restrictions en prétendant qu’il est trop difficile de faire la distinction entre les ailerons des différentes espèces de requins, alors que les États-Unis leur avaient proposé leur aide à ce sujet. Ces pays ne remettent pas en question les données scientifiques, mais ils ne veulent pas non plus que la CITES dispose de quelque pouvoir que ce soit qui nuirait à leurs intérêts commerciaux dans un secteur hautement lucratif. Au Japon comme en Chine, le gouvernement est soumis à une intense pression de la part des professionnels qui veulent s’assurer qu’aucune réglementation ne viendra limiter le commerce des ailerons de requin ni celui du thon rouge.
L’inscription sur la liste de l’Annexe II de la CITES a été demandée pour de nombreuses espèces marines nécessitant une protection, ce qui impliquait simplement de la part des différents pays qu’ils s’assurent que le commerce international soit légal et ne menace pas la survie de ces espèces. Ainsi, même les propositions visant à promouvoir des pratiques soutenables n’ont pas reçu le soutien requis à cause du travail de lobbying du Japon. Mais nous ne pouvons pas continuer à vider les océans, nous devons au moins réduire nos prises et c’est ce qui a été proposé. »
Comment le Japon est-il parvenu à influencer les autres délégations ?
« Le Japon a entamé sa campagne bien avant la conférence et l’a menée au sein des plus hautes sphères grâce à son ministère de la pêche. Il a fortement incité les pays en développement auxquels il apporte son aide à suivre ses consignes de vote, même si des pays comme l’Argentine ont quand même soutenu la protection des requins, car ils savent que leur avenir économique dépend de pratiques durables en matière de pêche. »
D’un point de vue conservation, quelles leçons peut-on tirer de la conférence de Doha pour faire avancer la cause des espèces les plus menacées d’ici la prochaine session de la CoP qui se tiendra en Thaïlande, en 2013 ?
« Les gens aiment à croire que les gouvernements prennent des décisions sur la base de données scientifiques, mais cette conférence de la CITES a montré que ce n’est pas le cas. Les intérêts économiques à court terme l’ont emporté sur les intérêts économiques à plus long terme. Il faut désormais changer de stratégie et travailler directement avec les différents gouvernements. Les pays de l’UE, certains pays sensibles à la protection de l’environnement, ainsi que de nombreux pays en développement sont aujourd’hui conscients que les pratiques de pêche doivent être durables et c’est là-dessus que nous devons nous appuyer. Suite aux résultats de cette conférence de la CITES, le Pew Environment Group a annoncé le lancement d’une nouvelle campagne de protection des populations de thon rouge en phase de reproduction dans le golfe du Mexique qui est à l’heure actuelle le seul lieu de reproduction connu de cette espèce dans l’Atlantique ouest. Nous avons l’intention de travailler au côté des États-Unis afin de réduire la pêche à la palangre dans cette zone, car les pêcheurs, en voulant attraper des thons albacores, capturent et tuent aussi des thons rouges.
Comble de l’ironie quand on sait le rôle qu’a joué le Japon durant cette conférence, c’est ce pays qui accueillera le sommet organisé à Nagoya, en octobre, pour célébrer l’Année internationale de la biodiversité. Ce sera l’occasion rêvée d’attirer l’attention sur le Japon et de lancer une campagne sur le rôle de ce pays vis-à-vis de la biodiversité marine pour que ses habitants comprennent les conséquences de leur consommation de sushis. Je suis intimement convaincue que si les Japonais savaient ce qu’ils font, ils ne consommeraient plus de thon rouge. Et pourtant le gouvernement japonais s’exprime à ce sujet dans les médias. C’est pour cela qu’il est absolument essentiel de mettre l’accent sur la prise de conscience au sein du grand public et des scientifiques japonais. Les faits sont là : 70 % des pêcheries dans le monde sont en voie d’extinction, nous pillons littéralement les océans. Il faut absolument qu’il y ait des endroits sur terre où les poissons soient protégés. »
Propos recueillis par Neila Columbo
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