Il fut le premier à faire entrer des produits équitables dans les rayons de nos supermarchés. C’était en 2002. Aujourd’hui, Alter Eco, son entreprise d’une cinquantaine de salariés, vend aussi bien du riz basmati, ayant permis de construire des écoles et des routes en Inde, que du thé rooibos bio militant pour la préservation de la biodiversité en Afrique du Sud. La recette de Tristan Lecomte? Pas de pub et peu d’intermédiaires, pour redonner le maximum de pouvoir d’achat aux producteurs et faire tourner son business.
Séduit par le rêve d’une économie à visage humain, cet ancien de HEC préfère parler d’altruisme plutôt que des cours de la Bourse et considère que l’essentiel, c’est de «donner du sens à nos existences et de permettre à chacun de vivre en conformité avec ses aspirations intérieures». À 37 ans, cet entrepreneur social a gardé le sourire insouciant et le regard vif d’un adolescent. On pourrait le croire naïf. Mais le succès de son entreprise, devenue leader du commerce équitable en France, lui donne raison. Interview d’un PDG d’un genre nouveau, qui fait méditer ses employés avant chaque réunion…
Vous êtes un entrepreneur soucieux d’une rémunération plus juste des petits producteurs et de leurs conditions de travail mais aussi de la neutralité carbone de vos produits. Comment expliquez-vous qu’en 2010, vous fassiez encore partie d’une espèce aussi rare ?
C’est un combat qui n’en est qu’à ses débuts. Mais de plus en plus d’entreprises sociales commencent à fleurir un peu partout. Ces dernières années en France, des marques responsables comme Veja, Idéo, Tudo Bom ou Alter Mundi ont vu le jour. Quand j’ai lancé Alter Eco, en 1998, personne ne savait ce qu’était un entrepreneur social. On me taxait de hippie, d’altermondialiste, de trotskiste… Aujourd’hui, entrepreneur social est reconnu comme un vrai métier. On parle également de plus en plus de commerce équitable et de développement durable. C’est une notion qui a été totalement intégrée par les consommateurs. En 2000, seulement 9% des français interrogés savaient de quoi il s’agissait, aujourd’hui ils sont 90%. C’est très positif ! Mais le commerce équitable ne représente encore que 0,008% du commerce mondial. Notre ambition est qu’un jour, tout le commerce devienne équitable. Nous aurons alors réussi à atteindre notre objectif : avoir participé à changer le monde !
La crise actuelle peut-elle être un facteur bénéfique pour changer le système ?
La crise est un facteur d’accélération du changement. Elle est triste pour les premières victimes –les pauvres sont malheureusement toujours les premiers touchés – mais on doit malheureusement presque la souhaiter pour qu’elle accélère davantage ce changement. Elle remet en question une certaine forme de capitalisme, axée sur le court terme et le profit individuel. C’est un mal pour un bien. Le système actuel a récemment montré ses propres limites. Nous avons tous compris qu’il n’était pas durable. Pour l’instant, comme le dit Pierre Rabhi (pionnier de l’agriculture biologique, écrivain et penseur français), on se contente de garder le système sous perfusion et on continue l’acharnement thérapeutique plutôt que de trouver de vraies solutions.
Une économie à visage humain est-elle envisageable ?
Le commerce équitable, c’est le système tel qu’il aurait toujours dû exister. Mais on ne doit pas attendre que le changement vienne uniquement des politiques. Comme le disait Gandhi, « devenons le changement que nous voulons voir dans le monde ». Je suis persuadé que notre mode de consommation, bien plus que le bulletin de vote, détermine aujourd’hui le choix de vie de ses concitoyens. Et qu’on peut utiliser l’acte d’achat pour aider les paysans du Sud mais aussi faire passer des idées. Il n’y a pas de fatalité. L’homme peut reprendre le pouvoir sur sa vie et son destin.
Qu’est-ce qui motive votre engagement ?
Le bonheur que cela procure. J’aime l’idée que l’on puisse se faire du bien en changeant les choses. J’appelle cela le « militantisme jubilatoire ». C’est ce qui me rend heureux.
Après avoir été le pionnier du commerce équitable dans la grande distribution, vous ouvrez, en 2008, le marché des produits de masse neutres en carbone. Une grande première.
Nous avons d’abord lancé le premier chocolat « parfait » : certifié bio, équitable et 100% compensé carbone. Pour l’emballage, nous avons même supprimé les vernis acryliques et UV, et utilisé des encres végétales et du papier issu de forêts FSC. Nos produits sont désormais tous labellisés OZC (Objectif Zéro Carbone). Nous avons ensuite voulu aller plus loin en créant la structure Pur Projet. Le but: permettre aux entreprises de faire leur bilan carbone et de compenser leurs émissions de CO2 grâce à des projets de reforestation avec les coopératives avec lesquelles nous travaillons depuis des années, au Pérou, en Bolivie et au Paraguay. A ce jour, trois millions d’arbres ont été plantés. Notre objectif : douze millions d’arbres d’ici 2012.
Vous privilégiez un commerce équitable Nord/Sud. N’avez-vous pas envie de venir en aide aux petits producteurs français?
Nous y travaillons depuis quatre ans. Pour les producteurs de lait mais aussi de farine, de céréales et de fruits et légumes. Mais nous nous heurtons à de nombreux obstacles. Techniques et économiques. C’est très long. Nul n’est prophète en son pays ! J’espère que la situation se décantera dans le courant de l’année.
Avez-vous d’autres projets en cours pour « changer le monde »?
Nous avons un projet écologique et culturel avec les peuples autochtones du Pérou (Quetchuas et Ashaninkas). Ils vont venir au Musée du Quai Branly en novembre prochain pour nous aider à mieux comprendre le rapport de l’homme à la nature et à la terre. Ils ont beaucoup de choses à nous apprendre. Nous avons aussi un projet de préservation des forêts au Laos avec l’aide de monastères. Et nous essayons également de sensibiliser les jeunes à l’écologie et au commerce équitable en travaillant sur la dimension intérieure de chacun. Nous avons, par exemple, acheté une école à Katmandou, dont la moitié des élèves y est scolarisée gratuitement. Nous avons édité des kits pédagogiques Alter Eco qui sont distribués dans les classes (de la maternelle à la terminale), et publié un livre pour les étudiants sur le développement durable. Je pense qu’une prise de conscience, dès le plus jeune âge, est déterminante pour notre planète. Et l’avenir de l’homme.
Propos recueillis par Audrey Mouge
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