Le militantisme n’est pas un crime

Les organisations non gouvernementales et leurs militants jouent un rôle décisif au sein des démocraties représentatives. À l’instar des journalistes et d’autres observateurs vigilants de la société, ils sont à l’avant-garde de la lutte contre la tyrannie et leur utilité pour les systèmes politiques, bien que souvent considérée comme dérangeante par les élus, ne doit pas être sous-estimée. On note pourtant avec inquiétude que les autorités ont de plus en plus tendance à répondre à la désobéissance civile et aux manifestations pacifiques par des poursuites pénales et des condamnations sévères et disproportionnées, et ce dans le but d’étouffer les protestations et de réduire la liberté d’expression.

Si on prend l’exemple de Greenpeace, une organisation qui respecte à la lettre son principe fondateur qu’est l’action non-violente directe, on compte plusieurs cas de militants, et non des moindres, qui ont été malmenés par les autorités ces dernières années. Ainsi, lors de la Conférence de Copenhague sur le climat, en décembre 2009, quatre d’entre eux ont été mis en détention préventive pendant 20 jours pour s’être invités à un dîner de gala organisé par la reine du Danemark et y avoir déployé des banderoles. Or cette réaction du système judiciaire danois à l’encontre de ceux qu’on a appelés les « Red Carpet Four », dont le but est l’intimidation, est particulièrement dure étant donné la nature non-violente de l’opération.

De l’autre côté du globe, un peu plus d’un an plus tôt, Junichi Sato et Toru Suzuki, deux militants opposés à la chasse à la baleine, ont connu la même expérience de détention arbitraire. Ils avaient intercepté une caisse contenant de la viande de baleine, alors que l’opération japonaise devait servir à un programme de recherche financé par l’État, et l’avaient remise au procureur de Tokyo comme preuve de l’existence d’un commerce illégal. Résultat : c’est eux, et non les trafiquants de viande de baleine, qui ont été arrêtés. Ils ont été détenus pendant 26 jours – dont 23 avant toute accusation – avant d’être accusés d’atteinte aux biens d’autrui et de vol, et d’être jugés par un système qui a refusé d’enquêter sur le trafic de viande de baleine.

Dans aucun des deux cas, des périodes de détention aussi longues ne sont justifiées, surtout que Greenpeace et les militants impliqués ont toujours accepté de coopérer en toute honnêteté aux enquêtes. Et dans le cas des « deux de Tokyo », comme sont surnommés Sato et Suzuki, le fait qu’au bout de deux ans, ils soient toujours en train de devoir se défendre devant la justice est particulièrement inqualifiable.

Ils ont d’ailleurs reçu le soutien du Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire qui a récemment déclaré qu’ils étaient détenus de façon arbitraire et que les autorités japonaises avaient failli à leur devoir de respect des droits de l’homme au sein desquels figure la liberté d’opinion et d’expression.

Ce qui est particulièrement inquiétant dans ces deux affaires, c’est que le Danemark comme le Japon sont des démocraties de premier plan qui ont toute deux signé et ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies (PIDCP). S’appuyant sur la Déclaration universelle des droits de l’homme, le PIDCP est un outil important permettant de s’assurer que les droits de l’homme les plus élémentaires sont respectés et garantis par toutes les parties. Or la détention longue et arbitraire de militants constitue non seulement une violation du PIDCP, mais elle crée également ce que la Cour européenne des droits de l’homme appelle un « effet paralysant », c’est-à-dire que la crainte de représailles de la part des autorités décourage les futures manifestations pacifiques qui sont pourtant vitales dans une société libre et tolérante.

Les Red Carpet Four comme les deux de Tokyo risquent des peines de prison, ce qui souligne la tendance croissante des autorités à recourir au droit pénal avec précipitation et absence de discernement. C’est extrêmement préoccupant, car cela montre que les systèmes judiciaires sont instrumentalisés pour limiter la liberté d’expression et la marge de manœuvre politique des citoyens.

Cela fait peut-être 30 ans que le Japon a ratifié le PIDCP, mais il n’empêche que le Comité des droits de l’homme des Nations Unies doit régulièrement rappeler le pays à l’ordre – la dernière fois remontant à 2008 – afin d’améliorer la situation relative aux droits de l’homme dans 26 cas de figure différents, dont la liberté d’expression.

L’affaire des deux de Tokyo montre clairement que les autorités japonaises ne tiennent pas leurs engagements en tant que signataires du PIDCP, mais ce qui est tout aussi inquiétant, c’est que les autres pays signataires non plus. Tous les gouvernements qui ont ratifié le PIDCP doivent garantir que ses principes sont respectés, non seulement dans leur propre pays, mais partout ailleurs. Il s’agit d’un traité international et la défense des droits de l’homme est une obligation également internationale. On ne peut pas tolérer que des pays disent « ailleurs, ce n’est pas mon problème ».

Les réactions disproportionnées de la police et des systèmes judiciaires à l’encontre des Red Carpet Four et des deux de Tokyo constituent des violations flagrantes de la liberté d’expression et du droit de manifester de façon pacifique, qui sont normalement garantis par les Conventions européenne et internationale des droits de l’homme. Ces deux affaires doivent être considérées par chacun d’entre nous comme une mise en garde contre ce qui pourrait arriver à l’avenir si on autorise les gouvernements à faire tout bonnement fi de leurs obligations et à bafouer les droits fondamentaux des citoyens et des ONG, dont l’objectif est de contribuer à bâtir un monde meilleur pour tous.

Le militantisme n’est pas un crime

Texte écrit par les Professeurs Dirk Voorhoof et Serge Gutwirth pour Greenpeace International.

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