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Plaidoyer pour la médecine traditionnelle

L’intégration des médecines moderne et traditionnelle nécessite la levée d’obstacles juridiques et réglementaires qui défavorisent les pauvres.

Avant l’ère coloniale, dans les régions tropicales, la médecine se limitait presque entièrement aux remèdes et pratiques traditionnels fondés sur les cultures et les ressources naturelles locales.

L’arrivée des missionnaires et des colons en Asie et en Afrique changea la donne, accompagnés des techniques scientifiques et des médicaments modernes utilisés au service de l’impératif colonial, à savoir la promotion du christianisme, du commerce et de la ‘civilisation‘.

L’introduction de la médecine moderne a, sans conteste, été une réussite. Les autorités coloniales ont été très habiles dans la lutte contre les épidémies, le déploiement de vastes programmes de vaccination contre la variole, par exemple, et l’extraction de tumeurs et cataractes.

Mais la médecine de l’ère coloniale a laissé un autre héritage : la marginalisation et le dénigrement de la médecine traditionnelle. Les autorités coloniales ont promu leurs valeurs aux dépens des pratiques traditionnelles, donnant ainsi à la médecine moderne un statut officiellement supérieur. Dans de nombreux pays africains, ainsi, si les herboristes n’étaient pas officiellement interdits d’exercice, ils n’en étaient pas moins largement perçus comme inférieurs ou simplement ignorés. En même temps, la voyance traditionnelle, la sorcellerie et l’incantation furent déclarées illégales.

Cette marginalisation des pratiques médicales traditionnelles a été plus tard renforcée avec le développement de systèmes de santé organisés et d’hôpitaux construits sur le modèle des pays développés, qui aujourd’hui encore continuent de dominer les systèmes de santé de tous les pays.

Une valeur reconnue

Or, dans la course à l’atteinte des Objectifs du Millénaire pour le Développement, la lutte contre la résistance accrue aux médicaments et contre les nouvelles maladies, la médecine traditionnelle fait son retour. Les gouvernements, les laboratoires pharmaceutiques, les chercheurs et les organismes internationaux d’aide reconnaissent de plus en plus la valeur de la médecine traditionnelle et de ses praticiens, comme source de médicaments susceptibles de devenir des succès commerciaux et comme fournisseurs alternatifs de soins de santé primaires.

La Déclaration de Beijing sous les auspices de l’OMS en 2008 a été un tournant dans la reconnaissance de la nécessité de l’intégration de la médecine traditionnelle dans les systèmes de santé nationaux.

Mais l’atteinte de cet objectif ne sera pas sans difficulté, notamment parce que les systèmes de santé modernes sont inspirés des cadres juridiques et procéduraux originaires du monde développé. Aussi compatibles soient-ils avec l’objectif de l’avancement et de la diffusion de la médecine moderne, ces systèmes ne sont pas toujours propices à la promotion des pratiques traditionnelles.

La rigueur du régime de propriété intellectuelle est une bonne illustration de ce phénomène. Ce régime ne peut pas facilement s’adapter à l’approche traditionnelle des connaissances médicales, considérées comme appartenant à la communauté dans son ensemble, et transmises librement de génération en génération.

Les tests, rigoureusement élaborés, de sécurité et d’efficacité qui caractérisent la régulation des médicaments constituent une autre contrainte. Ces impératifs ont été élaborés pour l’essai de médicaments normalisés à des doses fixes et se fondent sur la capacité d’identification des ingrédients actifs et l’atteinte de résultats faciles à reproduire. Mais les médicaments traditionnels sont fondamentalement différents, à la fois pour ce qui est de leur formulation et de leur distribution.

De nombreuses questions à résoudre

Cette semaine nous proposons un dossier spécial sur le défi de l’intégration des médecines traditionnelle et moderne, dans une série d’articles qui examinent les questions clés et mettent en lumière les stratégies d’intégration efficaces sur le terrain.

Dans un article de contexte, nous examinons les différences dans la pratique, l’évaluation et la gestion des médecines moderne et traditionnelle, et explorons les points d’achoppement entre elles (voir Place de la médecine traditionnelle dans le système de santé: Faits et chiffres).

Transformer des remèdes traditionnels en produits pharmaceutiques modernes signifie faire face à des défis considérables. La journaliste scientifique Yojana Sharma décrit comment ces obstacles peuvent être surmontés, afin d’obtenir la reconnaissance de la réglementation pour la médecine traditionnelle (voir L’intégration des médicaments traditionnels).

Pour Kelly Chibale, experte sud-africaine du développement des médicaments, sur le continent africain, la première étape doit consister en la création d’une base de données et d’une collection physique de produits naturels issus de la médecine traditionnelle. Les méthodes modernes de sélection, d’évaluation et de pharmacologie préclinique pourront ensuite être appliquées pour le développement de produits commerciaux (voir Découvrir le potentiel des médicaments traditionnels d’Afrique).

Si la science moderne peut être mise à contribution dans l’exploration des remèdes traditionnels, elle peut également être utilisée pour le renforcement des systèmes de connaissances qui les sous-tendent. Antony Taubman, responsable de la propriété intellectuelle à l’Organisation mondiale de la Propriété intellectuelle, soutient que les dernières technologies de l’information sont bien adaptées à la caractérisation du contexte local et culturel des connaissances en médecine traditionnelle, en vue de leur préservation, transmission et utilisation potentielle dans la médecine moderne (voir Pour une reconnaissance des systèmes médicaux traditionnels).

Mais l’intégration des médecines moderne et traditionnelle dépasse la simple application des méthodes modernes à des connaissances anciennes. Bhushan Patwardhan et ses collègues, experts en médecine traditionnelle, appellent à un système de connaissances intégratif, sachant reconnaître les différences épistémologiques entre médecine traditionnelle et science moderne et établir des normes pour les interactions interculturelles (voir Mettre fin à la domination médicale exercée sur le monde en développement).

Cet objectif est réalisable. Oswaldo Salaverry, Directeur du Centre national de Santé interculturelle au Pérou, passe en revue les progrès accomplis dans son pays dans l’intégration des pratiques médicales traditionnelles, comme l’accouchement en position verticale, dans le système national de santé, au profit de la santé publique (voir La modernisation de la médecine traditionnelle doit se faire en accord avec les besoins des populations).

Un effort mondial

Salaverry n’est pas seul. Le monde en développement compte de nombreux exemples qui sont la preuve de l’inutilité de l’affrontement entre médecines traditionnelle et moderne, partant des hôpitaux chinois proposant en parallèle la thérapie à base de plantes et la médecine conventionnelle, aux cliniques équatoriennes où praticiens modernes et ‘yachaks’ (shamans) traditionnels travaillent côte à côte.

Mais pour que ces deux systèmes travaillent avec davantage d’harmonie, à grande échelle, il faudra un effort mondial pour surmonter les obstacles juridiques, réglementaires et conceptuels qui favorisent la promotion de la médecine moderne au détriment des pratiques traditionnelles.

Cela implique ainsi la poursuite d’un débat actif au sein de l’Organisation mondiale de la Propriété intellectuelle sur l’accès et le partage des bénéfices de la médecine traditionnelle, pour garantir que ses praticiens et ses gardiens reçoivent le respect, la reconnaissance et le partage équitable des avantages qu’ils méritent.

Cela signifie également qu’il faut s’appuyer sur le travail fait par l’OMS pour adapter les systèmes de régulation, d’essai, de formation et de délivrance des permis ou de certification, afin d’élaborer des méthodologies adaptées à la médecine traditionnelle.

L’intégration des médecines moderne et traditionnelle est un défi majeur. Pourtant, avec la reconnaissance accrue des limites de la médecine moderne, c’est un défi que la communauté internationale se doit de relever si nous voulons améliorer la santé publique dans le monde en développement.

Les impératifs qui plaident pour la médecine traditionnelle

par Sian Lewis, éditorialiste et David Dickson, Directeur du réseau SciDev

Reproduit à partir du Réseau Sciences et Développement (SciDev.Net)

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