Au mois de septembre 2010, les Etats parties à la Convention OSPAR [1] ont décidé de créer six aires marines protégées (AMP) d’une superficie totale de 285.000 km dans l’océan Atlantique. Sophie Gambardella, attachée temporaire d’enseignement et de recherche au Centre d’études et de recherches internationales et communautaires (CERIC) à Aix-en-Provence et doctorante en droit de la mer, revient pour GoodPlanet Info sur cette décision qualifiée alors d’historique par Jean-Louis Borloo.
1) En quoi est-ce que cette décision a-t-elle pu être qualifiée d’historique ?
Pour deux raisons. Tout d’abord car elle porte le réseau d’aires marines protégées OSPAR à 433 000 km2 soit 3,1% de la zone maritime couverte par la Convention OSPAR. Mais surtout car les six nouvelles AMP couvrent des zones situées au-delà des juridictions nationales, c’est-à-dire en haute mer. Or en haute mer, le principe est celui de la liberté : liberté de navigation, liberté de survol, liberté de poser des câbles et des pipelines sous-marins, liberté de la pêche, liberté de la recherche scientifique. Les Etats sont donc généralement très réticents à l’instauration d’un régime juridique restrictif dans cet espace de libertés.
2) Tous les Etats sont-ils liés par la création de ces aires protégées ?
Non, car la Convention OSPAR est une convention régionale qui ne regroupe que quinze Etats plus la Commission Européenne. En vigueur depuis le 25 mars 1998, elle a pour objectif de protéger le milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est en évaluant et maîtrisant la pollution et plus largement en encadrant juridiquement toute activité humaine qui pourrait porter atteinte au milieu marin.
Historiquement, la Convention OSPAR remplace d’ailleurs deux autres Conventions régionales adoptées antérieurement : la Convention d’Oslo relative à la prévention de la pollution marine par les opérations d’immersions effectuées par les navires et aéronefs de 1972 et la Convention de Paris relative à la prévention de la pollution marine d’origine tellurique adoptée de 1974. La quasi analogie des parties à ces deux textes ainsi que leur champ d’application géographique identique ont conduit leurs organes à coopérer étroitement, dès l’origine, notamment par l’organisation de réunions conjointes jusqu’à la fusion de leurs compétences.
3) Mais alors, comment faire respecter ce régime aux Etats qui n’ont pas signé la Convention OSPAR?
Étant donné les caractéristiques du système international et notamment l’importance que les Etats accordent à leur souveraineté, il sera impossible d’imposer à des Etats qui n’ont pas signé la Convention OSPAR un régime juridique qu’ils n’ont pas choisi.
En revanche, les zones couvertes par la Convention OSPAR sont déjà réglementées dans le cadre d’autres organisations internationales comme la Commission des pêcheries de l’Atlantique du Nord-Est (CPANE), la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique (CICTA), l’Organisation pour la conservation du saumon de l’Atlantique Nord (OCSAN), la Commission pour les mammifères marins de l’Atlantique Nord, la Commission baleinière internationale (CBI), et l’Organisation maritime internationale (OMI). Dès lors, même si les Etats tiers ne respectent pas toutes les mesures du régime juridique instauré par la Convention OSPAR, ils ne disposent pas d’une liberté totale dans cette région, notamment en matière de pêche et de navigation.
4) Concrètement, quel sera le régime dans ces six AMP, et quelles conséquences peut-on attendre de cette décision ?
Pour l’instant, le régime juridique de ces AMP n’est pas encore défini. Les décisions 2010/1 à 2010/6, qui créent les six nouvelles aires, ne disent rien à ce sujet. Seules les recommandations 2010/12 à 2010/17 contiennent quelques informations et prévoient par exemple la promotion au niveau national et international des objectifs de ce type de zonage ainsi qu’une réelle transparence et une circulation effective des informations notamment scientifiques. En revanche, pour le détail du régime juridique applicable, il faudra attendre des décisions ultérieures.
Une fois que ce régime sera établi et à condition qu’il soit suffisamment efficace, il permettra de protéger plus intensément ces zones des pressions qu’exercent les activités humaines sur le milieu marin, même s’il faut garder à l’esprit que la pollution ne connaît pas de frontières. Par ailleurs, cette décision peut également ouvrir la brèche à la création de nouvelles aires marines protégées en haute mer. Étant donné les enjeux environnementaux dans ces zones, ce n’est pas négligeable.
5) Y a-t-il d’autres zones dans le monde où des AMP en haute mer pourraient voir le jour ? Existe-il d’autres modèles de coopération régionale susceptible de créer des AMP en haute mer comme l’ont décidé les Etats parties à la Convention OSPAR ?
Effectivement, et le bassin le plus propice à ce type de zonage est la Méditerranée. La création d’AMP dans cette mer semi-fermée et soumise à de fortes pressions est un véritable enjeu et il existe d’ailleurs déjà un instrument international qui prévoit la création d’aires spécialement protégées d’importance méditerranéenne (ASPIM), y compris en haute-mer.
À l’heure actuelle, une seule s’étend jusque-là, il s’agit du Sanctuaire Pélagos pour les mammifères marins. D’une superficie de 87.500 km2, cette aire protégée résulte d’un accord entre trois pays (la France, l’Italie et la Principauté de Monaco) et englobe à la fois les eaux territoriales de ces Etats et des zones situées en haute mer (alors que les six nouvelles AMP OSPAR ne concernent que des zones de haute mer). Il existe également un centre d’activités régionales des Nations Unies spécialement dédié aux aires spécialement protégées en Méditerranée, auquel est d’ailleurs rattaché le Sanctuaire Pélagos, et qui a récemment reçu le soutien financier de l’Union européenne afin d’identifier de nouvelles ASPIM en haute mer.
NOTES :
[1] Belgique, Danemark, Finlande, France, Allemagne, Islande, Irlande, Luxembourg, Pays-Bas, Norvège, Portugal, Espagne, Suède, Suisse et Royaume-Uni
Propos recueillis par Benjamin Grimont. Sophie Gambardella est attachée temporaire d’enseignement et de recherche au Centre d’Etudes et de Recherches Internationales et Communautaires (CERIC – CNRS UMR 6201), Faculté de droit et de science politique, Université Paul Cézanne, Aix-Marseille III.
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