A quoi ressemblera la planète dans 20 ans ? Restera-t-il du pétrole ? Y aura-t-il assez à manger pour tous ? Quelles seront les sources de conflits ? Virginie Raisson, directrice du Lépac et co-auteur des Atlas du Dessous des Cartes, publie un nouvel ouvrage : 2033, Atlas des futurs du monde. Un livre innovant qui éclaire de manière originale les grandes questions qui se posent à notre planète.
Votre nouveau livre est-il une autre manière de regarder en-dessous des cartes ?
Analyser les problématiques qui concernent la planète à la fois librement et sans nier leur complexité : c’est effectivement la démarche que j’ai toujours adoptée dans mes travaux, que ce soit pour Le dessous des Cartes et, désormais, pour Les Futurs du Monde. Or, pour y parvenir, il est effectivement indispensable de savoir en même temps paramétrer les grandes tendances et défaire les idées reçues, au risque sinon de proposer des lectures simplistes du monde et de ses enjeux. Qu’il s’agisse des perceptions de l’immigration, de la surpopulation ou même des risques énergétiques : on constate en les déconstruisant qu’elles reposent davantage sur des fantasmes que sur des réalités vérifiables. Pour en rendre compte, il fallait donc aussi inventer une cartographie qui permette de sortir des habitudes de lecture et qui propose des représentations innovantes. C’est l’une des ambitions de ce livre.
Quels principes ont guidé votre travail graphique ?
J’ai d’abord constaté que nous sommes tellement habitués aux histogrammes et autres « camemberts » que nous finissons par ne plus les regarder. J’ai donc voulu proposer d’autres formes graphiques afin que le regard s’arrête, que le lecteur se pose des questions et qu’il ait envie de trouver les réponses. Proposer de nouveaux modes de représentations permet en effet à la fois de déplacer le point de vue, de relancer la curiosité et d’élargir le champ de la réflexion. Et si certains de ces cartogrammes et graphiques sont effectivement difficiles à appréhender, ils mettent en tout cas le lecteur en position de questionnement ce qui est toujours favorable à une réflexion ouverte. Par ailleurs, on s’aperçoit que les difficultés de lecture varient avec l’âge et la culture, indiquant bien le poids des habitudes et des cadres de lecture qui finissent par enfermer la réflexion.
Parallèlement, j’ai souhaité que la démarche esthétique du livre renvoie à la beauté du monde. En survolant la terre à basse altitude, avec Google earth par exemple, j’ai retrouvé de nombreuses formes présentes dans l’atlas. D’autres trouvent directement leur inspiration dans l’œuvre de peintres contemporains comme Delaunay, Mondrian ou Kandinsky.
Votre livre s’intitule « 2033 – Atlas des Futurs du Monde ». Pourquoi ?
J’utilise un pluriel car il convient de rappeler que l’avenir n’est pas écrit : il n’y a pas UN mais DES futurs possibles. Cette distinction est importante car il est urgent de retisser le lien entre le futur et chacun d’entre nous pour rappeler que nous en sommes les auteurs et personne d’autre. Par ailleurs, laisser croire aux jeunes que l’avenir est déterminé, voire que nous sommes condamnés, revient à décourager les changements et le progrès. Selon moi, il est indispensable de permettre aux jeunes de s’emparer de leur avenir. Mettre le futur au pluriel, c’est donc une manière de dire : à vous de choisir l’avenir vous voulez parmi tous ceux qui sont possibles ! c’est à vous de le construire si vous ne voulez pas le subir.
Quant à la date de 2033, c’était là encore une façon de rompre l’habitude que nous avons des chiffres ronds. Car se fixer 2030 pour horizon est tout aussi arbitraire que 2033. Pour ma part, j’ai commencé l’atlas en 2008 et me suis appuyée sur des projections à 25 ans soit le temps d’une génération. Sur le plan symbolique enfin, 2033 permettait de renvoyer à plusieurs hypothèses comme le dépassement de la population chinoise par celle de l’Inde ou encore l’élévation du prix moyen annuel du baril de pétrole à 200 dollars.
Qu’est-ce que le futur nous dit du présent ?
À l’échelle de la planète, la prospective consiste à paramétrer les enjeux alimentaires, énergétiques ou écologiques, à faire évoluer les grandes variables comme les évolutions démographiques ou la consommation d’énergie puis à les rapporter aux tendances à l’œuvre pour d’identifier les scénarii possibles. À partir de là, il est possible de revenir au présent avec des recommandations indiquant qu’elles orientations permettraient de privilégier un scénario plutôt qu’un autre.
Ainsi, en comparant les scénarii tendanciels et souhaitables, en identifiant les marges de manœuvre et les leviers disponibles ainsi que les arbitrages possibles, on redonne à chacun – homme politique, décideur économique, citoyen ou consommateur- les instruments et la responsabilité du choix.
Au cours de l’écriture de votre livre, quelles ont été vos plus grandes surprises ?
Je pense que certaines problématiques mériteraient qu’on en parle bien davantage comme la raréfaction des métaux et minéraux ou comme le poids des régimes alimentaires dans l’évolution de la demande agricole mondiale. De la même façon, on a tendance à occulter les risques de tensions voire les dépressions que soulève le vieillissement des populations en Europe.
Ce ne sont que de mauvaises nouvelles. N’y en a t-il pas de bonnes ?
La principale bonne nouvelle, c’est la prise de conscience environnementale. A l’échelle de l’histoire, 20 ans c’est en réalité très peu. Or le chemin parcouru dans les esprits depuis le sommet de Rio est déjà considérable. Pensez au temps qu’il a fallu pour que les femmes obtiennent le droit de vote… La question maintenant, est celle de la mise en œuvre, à la fois très insuffisante et très lente au regard des échéances et des enjeux écologiques et climatiques. Cela dit, les choses peuvent parfois se débloquer très vite. Il suffit de regarder la rapidité avec laquelle le Brésil a évolué sur la question de la déforestation.
Quel est le principal problème auquel nous allons être confrontés ?
La première difficulté que nous devront surmonter est certainement liée à notre résistance au changement. Il suffit de constater le décalage entre notre niveau de connaissance, important, et notre faible capacité à infléchir nos modes de vie, nos moyens de transport et nos habitudes de consommation.
La seconde difficulté consiste à repenser notre système économique qui repose sur la disponibilité infinie de ressources bon marché alors que celles-ci sont justement épuisables et en voie de raréfaction. Que ce soit pour des raisons climatiques, économiques ou de sécurité humaine : il nous faudra bien viendra inventer des propositions nouvelles si, effectivement, nous ne voulons pas être contraints par la force des choses à revenir à la bougie.
Réinventer les rapports humains, repenser notre façon de travailler, mettre en place la relocalisation des cultures et l’économie circulaire, valoriser les services rendus par la forêt ou la recyclabilité des biens matériels… le défi est immense et absolument passionnant. Malheureusement, la volonté politique et la nécessité économique manquent encore. L’inquiétude ou les intérêts ne sont sans doute pas encore assez importants. En sens inverse, à partir du moment où l’intérêt économique rejoindra l’intérêt écologique, les choses pourraient évoluer assez vite au niveau politique ! De ce point de vue, l’augmentation du prix du baril est une bonne nouvelle.
Par delà la diversité des thèmes abordés, quel est le message global de votre livre ?
Ce livre est donc une invitation à aimer le futur, à l’attendre avec appétit plutôt qu’avec crainte et surtout à le choisir. Homme politique, journaliste, consommateur, électeur, parent, élu, chef d’entreprise : chacun dispose de moyens d’action et peut prendre ses responsabilités. Les raisons sont nombreuses d’être positif et persévérant. Il était important de les rappeler aussi, de les donner à voir et à comprendre.
Virginie Raisson anime un blog sur les questions de prospectives : www.lesfutursdumonde.com
Propos recueillis par Olivier Blond
Ecrire un commentaire