Pour Priya Shetty, après les récents succès dans la lutte contre la trypanosomiase, les nouveaux outils de diagnostic et de traitement devraient nous permettre de lancer l’assaut final.
Une fois de plus, nous sommes sur le point d’éliminer la maladie du sommeil, appelée aussi trypanosomiase humaine africaine – un fléau découverte il y a un siècle.
La première fois, portés par le succès des programmes de lutte dans les années 1930, les gouvernements et les experts en santé mondiale ont relâché leurs efforts. Or, la maladie est revenue avec force. Les estimations semblent indiquer qu’environ 300.000 personnes ont été infectées en 1995 par le parasite Trypanosoma brucei.
Cette remarquable baisse dans l’incidence de la maladie est le résultat d’une bonne coordination des efforts fournis par l’OMS, les organisations non gouvernementales, les laboratoires pharmaceutiques et les pays endémiques africains. La où l’OMS a dirigé les efforts de surveillance et de lutte contre le vecteur, les laboratoires ont fourni des médicaments gratuitement. Une telle cohérence d’action est bien trop rare dans le domaine de la santé mondiale.
La chute dans l’incidence est d’autant plus impressionnante qu’elle repose sur des médicaments dont l’efficacité est loin d’être idéale, et des méthodes de diagnostic qui ne sont pas particulièrement sensibles.
Pourtant, à l’heure actuelle, et pour la première fois dans l’histoire de la maladie du sommeil, nous disposons de nouveaux diagnostics et de nouveaux candidats-médicaments pour la combattre. C’est donc le bon moment pour la communauté sanitaire mondiale d’utiliser de combiner ces méthodes nouvelles aux stratégies existantes afin d’éradiquer les 10.000 derniers cas.
Stopper la transmission
Une façon évidente d’arrêter une maladie à transmission vectorielle est d’éliminer son vecteur. Les parasites responsables de la maladie du sommeil sont transmis aux humains par la piqûre des mouches tsé-tsé, originaires d’Afrique sub-saharienne.
Or le mois dernier, des chercheurs ont rapporté les résultats d’une étude menée dans un groupe d’îles situées au large de l’Afrique de l’Ouest, indicant qu’il était possible d’éliminer les mouches tsé-tsé en les attaquant au moyen de différentes techniques de lutte allant des pièges et cibles imprégnés de poison à la pulvérisation au sol.
D’autres animaux comme les porcs et les bovins jouent le rôle de vecteurs secondaires — les mouches se nourrissent de leur sang, et piquent ensuite les gens, propageant ainsi les parasites. Afin de bloquer cette étape dans la transmission, l’équipe de recherche a enduit des porcs d’insecticide, et a mis en place des clôtures imprégnées d’insecticide autour des porcheries.
En Ouganda, les experts en lutte contre les maladies animales encouragent actuellement les agriculteurs à traiter leurs bovins contre les tiques et les mouches tsé-tsé, et contre l’infection. Cette méthode a également été couronnée de succès en Zambie et au Burkina Faso.
Un diagnostic plus facile
Pourtant la maladie du sommeil reste difficile à détecter. Ses symptômes sont semblables à ceux du paludisme, et les gens peuvent développer cette maladie même avec de faibles taux de parasites dans le corps ; un test doit donc être très sensible pour les détecter correctement.
Une autre complication vient du fait que les techniques de diagnostic doivent être capable de faire la différence entre les deux différentes souches du parasite. En effet, T. b. rhodesiense et T. b. gambiense provoquent différents types de maladies nécessitant des traitements différents.
Les outils de diagnostic basés sur l’ADN promettent d’accélérer la détection des parasites. En particulier, la loop-mediated isothermal amplification (LAMP) de l’ADN peut détecter T. b. rhodesiense avec une sensibilité pouvant aller jusqu’à un trypanosome par millilitre de sang – une amélioration considérable par rapport aux 10 000 parasites par millilitre pour les méthodes de microscopie photonique existantes.
Et contrairement à certaines techniques d’amplification de l’ADN, la LAMP fonctionne à une plus faible température de 60-65 degrés Celsius, qui peut être maintenue sans équipement spécial.
Les échantillons contenant le parasite changent de couleur, rendant la détection visuelle facile. C’est là une donnée importante, car la simplicité du test signifie qu’il serait approprié pour les régions rurales et les milieux défavorisés.
Comme c’est le cas pour d’autres maladies négligées, la faible incitation chez les laboratoires pharmaceutiques à investir sur cette maladie représente un obstacle majeur à l’amélioration des outils utilisés pour diagnostiquer la maladie du sommeil. Or, certaines méthodes de détection d’une maladie peuvent être utilisées pour plusieurs maladies, offrant ainsi la promesse d’une plus grande récompense.
Ainsi, un microscope à fluorescence muni d’une diode électroluminescente (DEL) développé pour la tuberculose peut aussi être utilisé pour détecter les parasites T. brucei. A l’instar du test de la LAMP de l’ADN, ce diagnostic est approprié pour une utilisation en Afrique sub-saharienne.
Il résiste à l’interférence des inhibiteurs d’ADN, ce qui signifie qu’il peut être utilisé dans des conditions peut être moins favorables que celles de laboratoire d’une propreté absolue, et il est peu coûteux. Ce microscope utilise des ampoules DEL fonctionnant à l’énergie solaire ayant une durée de vie supérieure à 10 000 heures.
Des scientifiques médicaux en Ouganda et en République démocratique du Congo l’ont déjà utilisé pour diagnostiquer la maladie du sommeil.
Les nouvelles cibles pour les traitements
Les traitements existants pour la maladie du sommeil sont loin d’être parfaits. La plupart des médicaments ont des effets secondaires graves — un médicament en particulier, le mélarsoprol, à base d’arsenic, est mortel pour un malade sur 20. D’autres traitements sont coûteux et difficiles à administrer.
Mais le séquençage du génome de T. brucei aide les scientifiques dans la quête pour de nouvelles cibles pour les médicaments.
L’année dernière, une équipe anglo-canadienne a découvert un composé qui perturbe une enzyme (N-myristoyl transférase ou NMT) vitale pour le développement des parasites, et s’est avéré efficace dans le traitement de la maladie chez les souris.
Et en octobre dernier, d’autres chercheurs ont publié une ébauche du génome de la mouche tsé-tsé. L’étude des interactions moléculaires entre cette mouche et le trypanosome pourrait offrir de précieuses indications sur les moyens de bloquer la capacité du vecteur à transmettre le parasite.
La communauté sanitaire mondiale dispose, pour lutter contre la maladie du sommeil, d’une boîte à outils beaucoup plus fournie que la dernière fois où la question de l’éradication se posait, au début du XXe siècle. Le moment est donc venu de capitaliser les récentes avancées pour éradiquer cette maladie une fois pour toutes.
Analyse Bioméd : Eradiquer la maladie du sommeil une fois pour toute
par Priya Shetty pour le site SciDev
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