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À la recherche des réfugiés climatiques

Il était censé y avoir 50 millions de réfugiés climatiques à la fin de l’année dernière. Où sont-ils ? Enquête du New Scientist.

Qu’est-il donc arrivé aux réfugiés climatiques ? Il y a 6 ans, plusieurs organismes des Nations unies tombaient d’accord sur le fait que fin 2010, on compterait à travers le monde 50 millions de réfugiés climatiques fuyant l’élévation du niveau des mers, les sécheresses et autres catastrophes climatiques. S’agissait-il d’affabulations, comme l’ont laissé entendre la semaine dernière plusieurs climato-sceptiques ? Ou bien les réfugiés sont-ils bien là, mais ils échappent à notre attention parce qu’ils ne passent jamais sur CNN ?

Une enquête du New Scientist révèle que les agences internationales n’ont même pas procédé aux calculs les plus élémentaires pour venir étayer ce chiffre de 50 millions. S’il ne fait aucun doute que des millions d’individus, issus dans leur écrasante majorité de pays pauvres, ont dû abandonner leurs habitations à cause d’événements liés au climat, personne n’a pris la peine de les compter. Résultat : la seule évaluation quantitative qui semble digne de confiance est celle qui comptabilise plusieurs centaines de personnes ayant fui leurs habitations sur les îles de faible élévation et le long des côtes arctiques.

La seule personne qui ait tenté de comptabiliser les réfugiés climatiques est Norman Myers, universitaire britannique spécialiste de l’environnement. En 1995, dans un rapport financé entre autres par le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) et par les gouvernements britannique et états-unien, il affirmait que la planète en comptait au moins 25 millions, la plupart pouvant être qualifiés de victimes du climat. Myers prévoyait que ce chiffre doublerait pour atteindre les 50 millions en 2010 – chiffre repris par les agences de l’ONU –, puis les 200 millions en 2050.

Depuis, ses chiffres ont été cités dans plusieurs rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), dans le rapport Stern sur l’économie du changement climatique, dans des communiqués du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, de l’Institut pour l’environnement et la sécurité humaine de l’Université des Nations unies et, la semaine dernière, par le site Internet du PNUE.

Myers a déclaré que ses chiffres constituaient une « première estimation », mais personne n’a tenté de les affiner. Le problème est que des millions de personnes sont déplacées dans le monde, mais qu’il est difficile d’y voir clair quant à leur nombre et de déterminer la raison première de leur migration. Le climat est cependant fréquemment en cause. Ainsi, selon une étude menée en 2009 pour l’Union européenne, il représentait un des facteurs des importantes migrations qui se sont produites en Mongolie, où il a rendu les pâturages inexploitables, et était également responsable des migrations en Afrique du Nord et au Sahel.

La majorité des personnes interviewées pour l’étude « Environmental Change and Forced Migration Scenarios » ont affirmé se déplacer pour des raisons économiques, mais les chercheurs se sont aperçus que la « raison première » de leurs difficultés économiques était d’ordre climatique. Ils ont également noté que la migration était une méthode habituelle pour faire face aux inondations et aux périodes de sécheresse au Sahel, au Bangladesh et ailleurs.

Selon ces chercheurs, les Équatoriens ont rallié l’Europe en grand nombre après les inondations d’El Niño. Et, pour l’étude commanditée par l’UE comme pour Myers, pas moins d’un million de réfugiés environnementaux ont quitté chaque année le Mexique au cours des années 90. L’augmentation des ouragans et des inondations a accéléré la prise de décision en faveur d’une migration, mais la raison première demeure la crise économique qui frappait ce pays.

Cette étude a également mis en lumière de vastes programmes gouvernementaux de déplacement de populations au Viêtnam et au Mozambique. Des centaines de milliers d’habitants ont ainsi été déplacés pour parer à des menaces environnementales telles que l’intensification des inondations et des tempêtes, qui peut être liée au changement climatique. L’étude est arrivée à la conclusion que, d’une façon générale, l’ampleur et la fréquence des catastrophes environnementales étaient en augmentation et continueraient à l’être du fait du changement climatique, poussant davantage encore les populations à migrer.

Elle ne fournissait cependant pas de nouveaux chiffres à l’échelle mondiale. Cela vient en partie de la difficulté qu’il y a à établir un lien entre des événements isolés et le changement climatique. Il n’y a en fait que l’élévation du niveau des mers qui soit un facteur de migration lié sans conteste possible au changement climatique.

Oli Brown, du PNUE, a examiné quatre études de cas pour l’Organisation internationale pour les migrations, en 2008. Environ 1000 individus ont été contraints en 2005 de quitter les îles Carteret, près de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, en raison, au départ, de l’élévation du niveau de la mer. Mais Brown a découvert que les insulaire avaient eux-mêmes scellé leur destin en faisant exploser à la dynamite les récifs coralliens qui protégeaient leur atoll de l’érosion. Il s’est également aperçu que les 10 000 personnes évacuées d’un banc de sable dans le delta de l’Hooghly, en Inde, étaient en fait victimes de courants fluviaux changeants, de la destruction de la mangrove et d’un tassement de terrain local.

Selon Brown, les 100 résidents d’un atoll corallien de l’archipel de Vanuatu sont des candidats davantage susceptibles d’obtenir le titre de réfugiés climatiques, tout comme les 500 habitants d’une île située dans le détroit de Béring, dont le village, situé sur la côté, est balayé par des vagues d’autant plus hautes que la glace de mer a fondu. Dans un cas comme dans l’autre, les habitants ont fui vers l’intérieur des terres. Mais pour les sceptiques, ces quelques centaines de personnes n’ont pas grand-chose à voir avec les 50 millions de Myers.

Le facteur le plus susceptible d’abonder dans le sens de Myers sont les sécheresses qui ont brûlé le Sahel et la corne de l’Afrique dans les années 70 et 90, faisant 9 millions de personnes constamment déracinées. Dans un document publié l’an dernier, Gunvor Jónsson, de l’Institut des migrations internationales de l’Université d’Oxford, passe en revue 13 études sur la migration dans la région du Sahel. Elle conclut que même des conditions de stress environnemental extrême ne déclenchent pas obligatoirement des migrations, « car la migration, surtout lorsqu’elle se fait sur le longues distances voire au niveau international, nécessite des ressources, or en période de sécheresse, les ressources sont rares ».

Certaines de ces études sont même arrivées à la conclusion que les migrations avaient diminué pendant les années d’intense sécheresse. Et lorsque les populations se sont déplacées, la migration était d’ordre local et participait de la stratégie habituelle de défense contre les variations climatiques. « Les climatologues font plus que laisser entendre que les conditions climatiques vont changer du tout au tout dans de nombreux pays africains, mais on ne sait pas avec précision comment cela va se répercuter sur la mobilité humaine », affirme Jónsson. « Les prédictions à la fois simplistes et alarmistes qui parlent de plusieurs millions de personnes déplacées évoluant de part et d’autre des frontières reposent sur bien peu d’éléments. » Le document ne propose aucune réévaluation des millions suggérés par Myers.

Myers avait également prévu des migrations climatiques de grande ampleur en Chine et en Inde. Il y aurait en effet eu selon lui environ 6 millions de réfugiés environnementaux en Chine, liés pour la plupart à l’avancée du désert de Gobi. Mais le rapport de l’UE montre que la migration en Chine et en Inde est avant tout le fait de projets de développement tels que le barrage des Trois Gorges, qui a entraîné le déplacement de 2 millions de personnes.

Il serait pour autant trop facile de dénigrer les chiffres de Myers sur la base de ces constatations, déclare Brown. Il y a de façon quasi certaine des millions de personnes dans le monde qui ont été contraintes de se déplacer en partie pour échapper à des conditions climatiques qui empirent et aux marées. Dans son étude de 2008, il écrivait d’ailleurs : « Les prévisions de 200 millions d’individus déplacés à cause du changement climatique pourraient bien être dépassées. »

Et d’ajouter : « Ce n’est pas parce que nous ne les avons pas comptabilisés ou que nous ne pouvons pas entièrement attribuer leur migration au changement climatique qu’ils n’existent pas. » Au contraire, car l’ignorance s’est avérée bien pratique pour les États qui sont prompts à fuir leurs responsabilités. « Il y a eu une entreprise collective, et qui a plutôt bien marché, de non prise en compte délibérée de l’ampleur du problème », affirme-t-il.

Myers, de son côté, a déclaré au New Scientist : « Il est sans doute très difficile de faire la démonstration qu’il y a bien 50 millions de réfugiés climatiques, mais c’est encore plus dur de démontrer le contraire. » Il ne voit donc aucune raison de modifier ses estimations.

« Il faut reconnaître à Myers le fait d’avoir eu le courage de prendre des risques », estime Brown. « Quand vous donnez un chiffre, quel qu’il soit, cela cristallise l’attention autour d’un sujet. » Il ajoute que le vrai scandale, ce n’est pas Myers ni ses chiffres, mais ceux qui n’ont pas su donner suite à son travail sur un sujet d’une telle importance.

À la recherche des réfugiés climatiques

27 avril 2011 par Fred Pearce

© New Scientist

Magazine issue 2810

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