La décision du géant industriel Siemens de sortir du nucléaire doit retenir notre plus grande attention tant elle est riche d’enseignements sur le futur de l’énergie en Europe. Une décision certainement historique.
« Le chapitre nucléaire est clos pour nous », vient de déclarer Peter Löscher, PDG du groupe Siemens, à l’hebdomadaire Der Spiegel. « Nous ne nous impliquerons plus dans la gestion totale de la construction de centrales nucléaires ou dans leur financement. À l’avenir, nous continuerons à livrer des pièces conventionnelles, comme des turbines à vapeur (…), que l’on trouve aussi dans les centrales à gaz ou à charbon. »
Cette déclaration est remarquable. Certes, il sera toujours possible de la commenter avec suffisance et d’estimer que Siemens n’a pas d’autre choix que d’agir ainsi à la suite de la décision du Gouvernement allemand de sortir du nucléaire. Certes, il sera toujours possible de souligner la part restante du gaz et du charbon dans la stratégie du Groupe. Ce serait une grave erreur. Plutôt que de résister au sens de l’histoire, d’investir dans un lobbying stérile, Siemens a manifestement choisi de prendre un temps d’avance et d’entrer dans le monde de demain.
Le chant du cygne du nucléaire
La décision prise par cette entreprise démontre qu’il est indispensable de changer de logiciel pour s’adapter au basculement du monde en cours. Le rêve prométhéen d’une énergie nucléaire ou fossile bon marché, abondante et parfaitement maîtrisée est en train de se dissiper au rythme des catastrophes et de la pression qu’elles exercent sur la croissance des « pays riches ».
La condescendance avec laquelle certains responsables politiques ont accueilli la décision allemande de sortir du nucléaire fera sourire les historiens. En réalité, l’Allemagne a tiré les leçons de Fukushima et les pronostics sur les importations d’électricité massives ou le recours au charbon doivent susciter la plus grande prudence.
Un nouveau droit européen de l’énergie
Sur ce point, il faut saluer l’excellente analyse de David Bourroux, rédacteur en chef du quotidien « Les Echos » qui a parfaitement compris que l’Allemagne ne se contente pas de sortir du nucléaire : elle va profiter de sa puissance politique pour défendre un futur énergétique bien différent :
« Il est du coup acquis que Berlin, qui perdra à terme l’avantage économique que confère une énergie nucléaire meilleur marché, va peser politiquement pour réduire la place du nucléaire sur la scène européenne. La préservation de la compétitivité industrielle allemande passera par une remise en cause de l’intérêt de l’atome chez ses voisins. L’Allemagne ne restera pas neutre. Elle sera de façon croissante hostile au nucléaire ».
Nul doute que l’Allemagne, poussée en cela par ses acteurs économiques, va agir pour que le droit de l’Union européenne soit bien plus profitable à une politique de l’énergie fondée sur la sobriété et les renouvelables. Il n’est pas inutile de rappeler que le droit de l’énergie, comme le droit de l’environnement est d’abord d’essence européenne. Les règles qui régiront demain ce secteur sont aujourd’hui négociées au sein des institutions de l’Union européenne. La France aura bien plus de mal à préserver sa singularité atomique et sa philosophie de la loi NOME. De cette manière, le droit de l’Union européenne va peser sur les choix faits ici et nous obliger – le plus tôt sera le mieux – à changer enfin notre droit national.
Le réveil de la la France ?
La France avait la possibilité, au lendemain du Grenelle de l’environnement de devenir un acteur mondial de premier plan de l’énergie de demain. Economies d’énergies, énergies renouvelables… l’élan du Grenelle aurait pu nous permettre de faire un bond en avant dans les énergies de demain. Malheureusement, aveuglée par un passé nucléaire sans cesse désigné comme « glorieux », la France a préféré oublier ici la promesse du Grenelle, ignorer les leçons de Fukushima et ensevelir les énergies vertes de nouvelles contraintes bureaucratiques pour tenter de préserver son héritage nucléaire.
Il est cependant permis de rester optimiste.
En premier lieu, le thème de l’énergie a fait irruption dans la campagne présidentielle. La plupart des responsables politiques et des futurs candidats sont contraints ou désireux de se prononcer sur le nucléaire en particulier et l’énergie en général. Après les candidats à la primaire du parti socialiste jeudi soir dernier, c’est François Bayrou qui s’est longuement interrogé ce weekend, lors de l’université de rentrée du Modem sur le positionnement du modem sur le nucléaire.
En second lieu, certains signaux démontrent qu’un changement de perspective est possible. Ainsi, le lancement par l’actuelle ministre de l’Ecologie de l’appel d’offres sur l’éolien off shore a fait naître de grands espoirs. Le rachat par EDF de sa filiale EDF-EN démontre que l’entreprise se pose des questions sur son avenir et ne considère plus les renouvelables comme un simple folklore. Last but not least, la Cour des comptes a été saisie par le Gouvernement d’un rapport sur les vrais coûts du nucléaire et son rapport, prévu pour janvier, va sans aucun doute susciter un intense débat. Tant mieux.
Notre pays et nos entreprises ont donc rendez vous avec notre futur énergétique en 2012.
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