Stop aux clichés sur les ours polaires

Photographe, guide naturaliste et conférencier, Rémy Marion a parcouru les régions polaires plus d’une centaine de fois. Témoin privilégié de la vie en Arctique, il a accepté de répondre pour GoodPlanet Info à quelques questions sur les ours polaires, espèce emblématique de la lutte contre le changement climatique.

On a vu il y a quelques temps des photos d’un ours dévorant son petit. Ce comportement peut-il être relié à la fonte des glaces qui réduit les zones de chasse des ours polaires ?

Pas vraiment, non. Le cannibalisme est un comportement relativement commun chez les ours polaires et déjà observé bien avant que l’on ne commence à parler de changement climatique. En fait, les mâles ont tendance à tuer les petits pour rendre les femelles disponibles pour l’accouplement. Il est donc très difficile de lier ce comportement au réchauffement climatique. Il y a par ailleurs de plus en plus d’observateurs sur le terrain donc forcément, ça augmente les chances de voir ce genre de scènes.

Aujourd’hui, les gens essaient souvent de trouver des choses visuelles pour communiquer sur les ours, mais il faut faire attention aux raccourcis. La problématique des ours polaires ne se résume pas à l’image de l’ours qui se retrouve seul sur son bout de banquise qui fond. Il y a en tout 19 populations d’ours en Arctique. Chacune a ses spécificités.

Lesquelles ?

En mer de Beaufort par exemple, l’été, la banquise a tendance à se rétrécir de plus en plus vers le centre de l’océan Arctique. Lorsqu’ils chassent, les ours se retrouvent donc très éloignés de la côte de l’Alaska et quand ils veulent retourner à terre, ils doivent alors nager plus longtemps et les risques de noyade sont importants. À l’inverse, au nord du Labrador, sur l’île Akpatok, où nichent près de deux millions d’oiseaux marins en été, certains ours ont le ventre qui touche par terre à force de manger !

Dans ce cas, quels sont les signes les plus révélateurs des conséquences du changement climatique sur les ours ?

L’un des meilleurs indicateurs de l’état de santé des populations d’ours, c’est le poids moyen des femelles. À cause de la dislocation plus précoce de la banquise, la période d’alimentation des ours est de plus en plus réduite et la période de jeûne augmente d’autant. Leur poids diminue et les réserves dont les femelles gravides (celles qui attendent des petits) ont besoin sont de plus en plus limitées. Or en dessous de 190 kg, on estime que les femelles ne sont plus en mesure d’assurer le renouvellement de l’espèce. Non seulement elles n’ont plus assez de réserves pour leur propre survie, mais elles n’en ont pas non plus assez pour allaiter leurs petits. Aujourd’hui en baie d’Hudson par exemple, les ourses ont un poids moyen de 250 kg, contre 280 il y a encore 30 années.

Plusieurs études ont mis en évidence la contamination des animaux vivant dans l’Arctique par des polluants comme les PCB ou le DDT. Les ours étant au bout de la chaîne alimentaire, ils sont particulièrement exposés. Quels sont les effets de ces polluants sur leur santé ?

Contrairement aux phoques, on a pour l’instant décelé aucune pathologie sérieuse liées aux PCB ou au mercure chez les ours polaires, tout au plus ces polluants peuvent entraîner des perturbations au niveau de leurs organes reproducteurs et diminuer leur immunité. Mais les biologistes ne mettent pas encore en évidence de risques sérieux et pour l’instant, leur survie n’est donc pas directement menacée.

Combien d’ours polaires reste-t-il aujourd’hui et quel futur peut-on envisager ?

Il reste entre 20 et 22 000 individus à l’état sauvage en Arctique mais il y a certaines zones comme la côte est du Groenland ou la mer de Kara au Nord-ouest de la Russie que l’on ne connaît pas encore très bien. On ne sait donc pas vraiment combien d’ours il peut y avoir là-bas. Ensuite, il faut savoir qu’il y a une seule espèce d’ours polaire, Ursus maritimus, mais plusieurs populations. Aujourd’hui, les plus menacées sont celles de la mer de Beaufort et de la baie d’Hudson, là où la banquise diminue le plus. À terme, si le réchauffement continue, on estime que d’ici 30 à 50 ans, ces populations vont franchir un seuil à partir duquel elles vont commencer à décliner rapidement.

Propos recueillis par Benjamin Grimont

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