Les fleuves étaient là bien avant que les hommes ne tracent des frontières politiques. Aussi est-il fréquent qu’un même fleuve traverse plusieurs pays, ce qui peut être source de tensions et conflits. La construction de barrages ou de canaux, les pratiques d’irrigation dans un pays en amont peuvent modifier le débit des fleuves et rivières, privant d’eau les pays situés en aval et créant ainsi d’importantes tensions entre les États. Au sein même d’un pays, les travaux entrepris sur le lit des fleuves, destinés, par exemple, à approvisionner les zones urbaines peuvent priver d’eau des zones rurales et manquer à l’activité pastorale ou agricole. Et donc menacer la survie des populations.
Le cas du Canal de Jonglei, au Sud-Soudan, est un véritable symbole de la nécessaire gestion concertée des ressources en eau. Ce tout nouveau pays, le 193e reconnu par les Nations Unies, possède un des plus grands marais du monde, où viennent se perdre les eaux du Nil pendant leur long parcours a travers l’Afrique.
Dans les années 70, l’Egypte et le Soudan avaient commencé à creuser un canal, le Canal Jonglei, pour amener directement les eaux du Nil – car quand il passe dans le marais, il perd une grande quantité de son eau – qui s’évapore sous le soleil… Ils espéraient ainsi récupérer l’équivalent d’un dixième du débit du fleuve. Une colossale roue pelleteuse, qui arrachait chaque tour l’équivalent d’une piscine olympique de terre fut alors installée et commença a creuser le fameux canal. Au cœur de ce marais, une créature de fer et d’acier, roue-pelleteuse de 2 300 tonnes, haute comme un immeuble de cinq étages, trône rouillée et abandonnée, au milieu du marais…
Ce projet aurait eu des conséquences désastreuses pour les Dinkas, qui habitent la région, et qui auraient vu leur environnement naturel asséché, et la survie de leur bétail mis en danger. La révolte s’organise, avec parmi: parmi les meneurs du mouvement, John Garang, qui avait étudié aux États-Unis dans les années 70 et y avait rédigé une thèse de doctorat sur les injustices inhérentes au projet du canal Jonglei.
John Garang – qui devint le premier vice-président du pays en 2005 – réussit a convaincre l’armée de libération des peuples du Soudan (Sudan People’s Liberation Army, SPLA) où les Dinkas sont majoritaires, d’attaquer cette colossale machine qui menaçait la souveraineté alimentaire et la survie du groupe. Ainsi, en février 1984, alors que la roue pelleteuse avait déjà creusé un tiers de la longueur totale du canal, pour un coût total de 100 millions de dollars, elle fut attaquée et mise hors-service. Plus de 30 ans ont passé, et elle est toujours là, immobile, réduite au silence. Au cœur du marais, une créature de fer et d’acier de 2 300 tonnes, haute comme un immeuble de cinq étages, trône depuis, rouillée et abandonnée…
Le canal du Jonglei n’est certes qu’un des éléments de la guerre civile au Soudan, qui possède des causes historiques, économiques et sociales complexes. Mais cette question de la ressource en eau a été un élément d’une importance considérable dans le discours et la mobilisation du SPLA. C’est un exemple des tensions qui peuvent naitre lorsque des décisions concernant les ressources en eau sont prises sans concertation de tous les acteurs impliqués.
A l’inverse, il existe des cas positifs, dans lesquels les différents bénéficiaires se retrouvent pour décider ensemble de la gestion de leur ressource commune en eau : des exemples positifs et réussit de coopération transfrontalière. C’est le cas du fleuve Sénégal. En 1989, la Mauritanie et le Sénégal étaient au bord de la guerre, à cause du fleuve. Mais avec le Mali et la Guinée, ils ont appris à gérer ensemble ses eaux. Aujourd’hui, chaque décision concernant l’irrigation, la production d’énergie, la navigation, est prise à l’unanimité. ils ont même financé la construction de deux barrages (avec notamment l’aide de l’Agence française de développement) et les gèrent désormais en commun. Un fait unique au monde ! En cas de pénurie, la population locale est prioritaire. Les partenaires se sont aussi engagés à faire une place à un usager de l’eau souvent oublié : la nature.
Un succès tellement exemplaire que plusieurs pays riverains du Nil ont envoyé des observateurs au Sénégal.
Plus d’information :
– sur le fleuve Sénégal
– sur la roue pelleteuse au Soudan
– les conflits de l’eau entre Chine et Inde
– les conflits de l’eau entre Inde et Pakistan
Ecrire un commentaire