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Il faut sauver les dents de la mer

Les requins sont sur le programme de travail de l’Europe, et en particulier, pour la première fois en dix ans, sur celui du Parlement européen qui étudie actuellement la proposition de la Commission européenne sur l’interdiction du finning. Cette pratique qui consiste à capturer les requins, couper leurs nageoires et rejeter le corps à la mer, est motivée par le fait que les ailerons se vendent beaucoup plus cher que la viande de requin. Aussi, certains pêcheurs préfèrent rejeter le corps des requins et garder de la place pour des espèces qu’ils pourront vendre plus cher. Il a été estimé que les ailerons de jusqu’à 73 millions de requins sont commercialisés chaque année dans le monde

Le battement des ailerons de millions de requins

La réforme actuellement en discussion est nécessaire parce la législation aujourd’hui en vigueur est inopérante. En effet, si le finning est interdit depuis 2003 dans l’Union européenne, une dérogation permet aux Etats membre d’accorder des permis spéciaux de transformation autorisant les pêcheurs à couper les nageoires à bord du navire à condition que le poids des ailerons débarqués représente moins de 5 pour cent du poids des troncs. La dérogation permet également à ces navires de débarquer les nageoires et le corps des requins dans des ports différents rendant impossible de comparer les poids respectifs débarqués, et donc de vérifier que les navires respectent cette règle des 5 pour cent Par ailleurs, ce taux de 5 pour cent est l’un des plus indulgent, ainsi, selon les espèces, il est possible de pratiquer le finning tout en respectant la législation. Finalement ce système ne permet pas de savoir si le finning a lieu ou non, et c’est bien là le problème.

Il y a quelques mois, la Commission européenne a proposé d’interdire les permis de pêche spéciaux et d’obliger à ce que les requins soient débarqués avec leurs ailerons naturellement attachés. Les Etats membre ont déjà exprimé leur soutien à ce changement lors du Conseil du mois de mars, mais le Parlement doit encore se prononcer – et la partie semble loin d’être gagnée vu l’intense lobbying réalisé par les espagnols et portugais, les principaux concernés par la réforme.

Si cette réforme est nécessaire, elle n’est qu’une première étape sur la longue route vers la conservation des requins.

Le syndrome du dauphin

Les requins sont les oubliés des mers et des politiciens. Sans doute est-ce dû au fait que l’imaginaire collectif les classe généralement dans la même catégorie que les dauphins et les tortues, et que les administrateurs maritimes les considèrent comme des captures accessoires, alors qu’en réalité, certaines espèces sont délibérément ciblées, commercialisés et consommés. Dans certaines pêcheries, par exemple la pêche à l’espadon dans l’océan Atlantique, les requins représentent la majorité des captures réalisées. La Commission européenne elle-même n’arrive pas à savoir quel service, de l’environnement ou de la pêche, devrait être en charge de la protection des requins menacés.

Alors qu’elle est la deuxième puissance pour la capture des requins, l’Union européenne a adopté très peu de mesures de gestion pour ces espèces commercialement exploitées, bien qu’elle s’y soit engagée en 2009, dans son plan européen d’action pour la conservation et la gestion des requins. Le principal argument avancé, à part ce conflit de compétences au sein de la Commission européenne, est souvent le manque de données scientifiques. Et il est vrai que sur les quelques 473 espèces de requins connues, desquelles 73 sont considérées comme menacées par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), on ignore l’état pour 211 d’entre elles du fait du manque de données suffisantes. L’obligation de débarquer les requins entiers, si elle devait être validée par les Parlementaires européens, permettrait l’identification des espèces de requins débarqués (il est en effet beaucoup plus facile d’identifier l’espèce lorsque les ailerons sont encore attachés au corps), et ainsi de connaître le nombre de requins réellement capturés par espèce, ce qui indispensable pour enfin mettre en place des mesures de gestion appropriées pour les requins : protéger les espèces menacées et règlementer la pêche des espèces commercialement exploitées. En effet, en tant qu’espèce ciblée, les requins devraient être pêchés dans les limites d’un total admissible de capture (TAC), tel que ceux auxquels sont soumises les captures de thon ou de cabillauds, fixé en accord avec les recommandations scientifiques.

Requins menacés, écosystèmes en péril

Derrière ces questions, se pose surtout le problème de la santé des écosystèmes marins. En effet, en tant qu’espèces prédatrices, les requins jouent un rôle essentiel pour réguler l’équilibre des écosystèmes. En se nourrissant des animaux qui sont placés moins haut dans la chaine alimentaire, ils limitent la population de leurs proies, qui limitent eux-mêmes la population de leurs propres proies, etc…. La présence des requins contribue ainsi à maintenir l’équilibre et l’intégrité des écosystèmes et leur disparition peut avoir des effets importants et imprévisibles sur la biodiversité.

Mettre en place une interdiction du finning qui soit réellement applicable et que l’on puisse contrôler n’est bien qu’un pas vers la véritable gestion des requins, le premier et sans doute le plus décisif pour envoyer un signal fort au niveau international sur la volonté de l’Union européenne de respecter ses engagements internationaux et de s’engager en faveur de la restauration des écosystèmes marins.

Si Steven Spielberg a créé le mythe des requins mangeurs d’homme, des hommes mangeurs de requins bien réels mettent aujourd’hui en péril la survie d’espèces qui sont essentielles aux écosystèmes marins. C’est pourquoi les décideurs politiques doivent urgemment prendre des mesures pour protéger ce qui est menacé et réguler ce qui est exploité.

Il faut sauver les dents de la mer

Xavier Pastor est le directeur executif d’Oceana en Europe

Texte courtoise de l’auteur

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