Les requins ne sont pas ces prédateurs féroces si souvent décrits. Photographe sous-marin, biologiste et réalisateur, Rob Ste wart est un passionné de requins veut leur donner une autre image. En 2007, il a réalisé le film Sharwater (Les seigneurs de la mer) afin de déconstruire le mythe du requin mangeur d’hommes et de montrer une autre image des requins que celle que relaient les médias ou le cinéma.
Dans votre film, on vous voit tenir un requin de près de deux mètres de long dans vos bras comme s’il s’agissait d’une peluche. N’est-ce pas dangereux ?
Non, pas du tout. Mais il faut savoir s’y prendre, on ne peut pas attraper un requin n’importe comment. En fait, il existe un truc. Les requins sont dotés d’un sixième sens, l’électroréception. Grâce à des capteurs sensoriels situés sous le museau, ils peuvent détecter des champs magnétiques et sont ainsi capables de se diriger directement vers leurs proies. Lorsque vous les caressez à cet endroit-là, ils se figent sur place et vous pouvez en faire ce que vous voulez ou presque. C’est ce qu’on appelle l’état d’immobilité tonique. Et puis il ne faut pas avoir peur d’eux, il faut rester le plus calme possible pour ne pas les effrayer et les laisser petit à petit s’approcher de vous.
Vous voulez dire que ce sont les requins qui ont peur de l’homme et non l’inverse ? Pourquoi alors la plupart des gens en ont peur ?
Tous les ingrédients sont réunis pour alimenter la peur autour des requins. Les requins vivent dans les profondeurs des océans, des zones encore largement méconnues qui font fantasmer le grand public et desquelles il est facile de faire surgir des mythes. À côté, il y a aussi les médias pour qui il est plus vendeur de titrer « Nouvelle attaque de requin ! » que « Un requin mord un surfer par erreur » et qui véhiculent une image négative du requin. Enfin, il y a bien entendu les films comme « Les dents de la mer » qui sont sortis à une époque où on ne connaissait quasiment rien des requins et qui ont contribué à forger cette réputation de tueur et de mangeur d’hommes. Mais les requins ne mangent pas plus d’hommes que moi. Les victimes d’attaques de requin meurent par hémorragie, et non parce qu’elles ont été dévorées. Des millions de personnes se baignent chaque année dans des eaux où chassent les requins. S’ils voulaient vraiment nous manger, ils le feraient sans difficultés. Le problème, c’est que comme les requins ont peur de l’homme, les seules interactions que nous avons avec eux se limitent aux attaques. A l’inverse, les dauphins ont une image beaucoup plus sympathiques car ils sont joueurs, ils s’approchent des bateaux, ils bondissent hors de l’eau. Pourtant, ils peuvent eux aussi être dangereux, même s’ils ne mordent pas. Il est donc très difficile de faire évoluer la perception qu’ont les gens des requins.
C’est donc en partie pour déconstruire cette image de requin mangeur d’hommes que vous avez réalisé Sharkwater ?
Oui. Au départ je voulais montrer au public une autre image du requin que celle que renvoient les médias. Voir un requin sous l’eau est une expérience vraiment inoubliable et les personnes qui ont peur des requins changent d’avis une fois qu’ils en ont vu sous l’eau tant ces animaux sont d’une beauté incroyable et ultra-sophistiqué : leur sixième sens, l’électroréception, leur permet de sentir les champs électriques et de se repérer lorsque la visibilité est par exemple réduite. Ils sont une des dernières espèces à posséder ce sens que apparu chez l’ancêtre commun des vertébrés il y a cinq cent millions d’années. Les requins sont présents sur Terre depuis plus de quatre cent millions d’années. Ils ont survécu à cinq crises d’extinctions majeures et ont vu la vie renaître sur Terre. Les requins sont les « derniers dragons », les « derniers dinosaures ».
Mais Sharkwater c’est aussi une façon d’alerter le monde sur les massacres de requins ?
Exactement, chaque année, entre 50 et 100 millions de requins sont tués, notamment pour leurs ailerons qui sont un met de prestige en Asie. Dans le port de Kesennuma au Japon, ce sont chaque jour entre sept et dix mille requins qui sont débarqués dans d’immenses hangars où des employés leur coupent les ailerons. Mais la plupart du temps, les ailerons sont directement coupés sur les bateaux et le reste du corps est immédiatement rejeté dans la mer. Au cours des dernières décennies, les populations de requins ont ainsi été décimées. Or, les requins sont au sommet de la chaîne alimentaire. Parmi les grands prédateurs marins, ils sont ceux qui ont les proies les plus diversifiées et leur disparition pourrait entraîner de profonds déséquilibres au sein des écosystèmes.
Comment votre film a-t-il été accueilli ? Quel a été sa portée ?
Au niveau du box-office, Shrakwater a été très bien accueilli mais ce qui compte le plus pour moi, c’est qu’il ait fait bougé les choses. Par exemple début 2011, le gouverneur de l’île de Saipan dans les Mariannes a interdit le commerce d’ailerons de requins après qu’une classe de primaire qui avait vu le film lui ait écrit pour lui demander de protéger les requins. Plus généralement, au cours des cinq dernières années, de nombreux États – Hawaï, Guam, l’Oregon, les Îles Marshall, le Maryland, et d’autres États américains – ont interdit le finning et/ou ont banni la soupe d’ailerons de requins parce que des gens se sont mobilisés après avoir vu le film. Les mentalités évoluent, pas aussi rapidement que ce que nous aurions voulu, mais c’est déjà une première victoire. L’exemple de Sharkwater m’a montré ce dont est capable l’homme lorsqu’il sait ce qui se passe. C’est pour cette raison que j’ai décidé d’aller plus loin aujourd’hui avec un nouveau film, Revolution et j’espère qu’il aura le même effet.
Sur quoi porte ce nouveau film ?
C’est un film sur la survie de l’homme sur Terre face à la destruction des écosystèmes. Nous traversons aujourd’hui une crise écologique majeure et personne ne sait comment nous sortirons de ce siècle, ni les scientifiques, ni les politiques. Si nous voulons avoir un espoir, il faut que tout change et pour cela, nous avons besoin d’une mobilisation massive, de ce que j’appelle une révolution, similaire à celle qui a permis la fin de l’esclavage, les droits des femmes, ou la lutte pour les droits des Noirs aux États-Unis. Tous les ingrédients sont réunis pour qu’une telle révolution se produise : nous sommes dans une situation critique, les gens savent que quelque chose ne va pas, qu’il y a de plus en plus d’injustices et d’inégalités et qu’il est temps que tout cela change.
Comment faire alors pour que cette révolution ait lieu ?
Il faut nous rassembler, dépasser le stade des actions individuelles et trouver une nouvelle façon d’agir. Dire aux gens « Il faut marcher pour aller au travail, moins consommer, devenir végétarien, etc. » ne suffira pas. De la même manière, dire qu’il faut arrêter d’utiliser la voiture ou des appareils électroniques risque d’entraver notre capacité à nous rassembler. Il faut passer la vitesse supérieure. Nous sommes la génération charnière. Vous voulez que vos enfants puissent vivre sur cette planète ? Alors levez-vous et mobilisez-vous ! Les enfants d’aujourd’hui sont certes plus sensibles à l’environnement que leurs parents mais on ne peut pas attendre que les enfants grandissent et qu’ils arrivent à des postes clés. C’est ici et maintenant. Tout le monde sur le pont ! Il nous faut des guerriers et des héros. Et il y en a un en chacun d’entre nous.
Propos recueillis par Benjamin Grimont
Il nous faut des guerriers et des héros
Ce texte est extrait du livre de la Fondation GoodPlanet : « L’Homme et la mer ».
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