Sandra Bessudo se bat depuis des années pour la protection de Malpelo, une île du Pacifique à 500 kilomètres des côtes colombiennes. Elle a créé la fondation Malpelo, qui vise à protéger l’île et ses eaux, riches d’une biodiversité exceptionnelle et peuplées de requins. Grâce à ses efforts, l’île est devenue un zone protégée et a été inscrite au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco. Sandra Bessudo a été nommée ministre de l’environnement de Colombie en 2010 puis haute conseillère à l’environnement et à la biodiversité auprès du Président.
Pourquoi consacrer votre vie à la protection l’île de Malpelo, un « bout de rocher » au milieu du Pacifique ?
Malpelo est un site naturel prioritaire pour la Colombie et pour la planète entière ! Comme les Galápagos, par exemple, les eaux de cette île volcanique sont un joyaux de la biodiversité. L’île est particulièrement importante pour ses immenses bancs de requins marteaux et de requins soyeux – des animaux qui me fascinent depuis toujours. J’ai découvert ce lieu fabuleux en 1987 et j’y ai organisé des expéditions de plongée à partir de 1990 : Malpelo est à 40 heure de bateau des côtes de Colombie, il n’y a pas d’eau potable sur place : il faut toute une organisation. C’est à ce moment aussi que j’ai commencé à voir les ravages des bateaux de pêche. Des ravages incompatible avec la plongée. C’était le début d’un combat.
Vos actions ont connu un grand succès ?
J’ai eu la chance de rencontrer le président colombien Ernesto Samper, qui était un ami de mon père. Nous avons plongé ensemble et il a accepté de déclarer l’île sanctuaire de la faune et de la flore en 1995. Six miles autour de l’île furent protégées. Mais il n’y avait encore aucun moyen concret pour protéger l’île. Je me suis proposée et suis entrée aux parcs nationaux, en charge de Malpelo. Ensuite, j’ai créé ma fondation pour continuer autrement le combat.
L’aire protégée a été étendue en 2006 jusqu’à 25 miles des côtes et c’est ainsi devenue la neuvième plus grande aire marine protégée du monde, à l’époque. La zone a même été inscrite comme Zone particulièrement sensible par l’Organisation maritime internationale : les grands paquebots n’ont pas le droit d’y venir.
Et puis, en 2007, l’inscription à la liste du patrimoine mondial de l’Unesco a couronnée des années d’efforts.
En quoi cette reconnaissance internationale est-elle importante ?
Elle a tout d’abord renforcé ce que nous avions entrepris. Mais elle signe aussi le fait que la protection des océans est une question qui dépasse les frontières. En 2004, quatre États ont d’ailleurs signé un accord, dit accord de San José, qui a crée le Couloir Marin de Conservation du Pacifique Est Tropical ou CMAR : une large zone marine de 211 millions d’hectares qui inclut cinq parcs nationaux et qui relie les îles Coco (Costa Rica), Coiba (Panama), Malpelo et Gorgona (Colombie) et Galápagos (Équateur). C’est tout particulièrement important pour les requins : on sait qu’ils se déplacent, qu’ils migrent : il ne suffit pas de prendre des mesures de protection en un seul endroit.
La coopération internationale prend aussi d’autres formes : les présidents de la Colombie et du Costa Rica se sont associés pour demander à la CITES le classement du requin marteau sur la liste des animaux protégés (sans succès, pour l’instant).
Quel est la plus grand menace pour Malpello ?
L’île de Malpelo est isolée et n’a aucun habitant. D’une certaine manière cela simplifie les choses. Mais nous avons beaucoup de problèmes avec les pêcheurs qui viennent de la côte. Au début, je montais sur les bateaux pour les arrêter mais le commandant de la Marine nationale m’a demandé d’arrêter : j’allais me faire tuer. La Marine nationale m’a confié un navire qui avait été saisi parce que lié au trafic de drogue. On l’a remis en était et on a commencé à faire des patrouilles. Récemment, la marine nationale nous a confié un deuxième bateau, mais tout reste fragile : quand l’année dernière, ils ont été endommagés en même temps, les braconniers ont vite repris leurs activités…
En Colombie, la viande de requin est consommée, d’où l’importance de la pêche locale. Mais désormais, les pêcheurs viennent du monde entier, et ils prennent tout ce qu’ils trouvent. Ils savent que les ailerons, cela paie bien. Et les mafias encouragent leur commerce illégal.
Qu’est-ce que le fait devenir ministre à changé à votre combat ?
Quand je suis devenue ministre, beaucoup de choses avaient déjà été mises en place. Mais être au gouvernement, cela permet de parler plus facilement au président, aux politiques. De les informer, de les sensibiliser… Et c’est essentiel. Car s’ils ne connaissent pas les problèmes, ils ne peuvent pas s’en occuper. Un jour, le président Juan Manuel Santos m’a dit d’un air grave qu’il avait lu un article dans Newsweek sur l’acidification et la surpêche, que la mer allait être remplie de méduses, et qu’il fallait faire quelque chose… Les choses avaient changé !
Mais être ministre, c’est passer sa vie au parlement à se défendre des attaques, et je ne suis pas certaine que ce soit la meilleure manière de faire avancer les choses… Je m’occupe désormais de l’agence de présidentielle de coopération internationale de Colombie. Une partie importante des fonds est consacrée à l’environnement, pour les océans, mais aussi pour la reforestation, par exemple.
Si vous aviez un conseil à donner à des personnes qui voudraient suivre votre exemple et créer un aire marine protégée, qu’est-ce que ce serait ?
Aujourd’hui, avec l’augmentation de la population, il est important de rappeler l’enjeu de la protection des océans pour assurer la sécurité alimentaire. Il faut expliquer que les aires protégées servent aussi à repeupler les zones avoisinantes et peuvent donc être favorables aux pêcheurs. Car les pêcheurs – souvent des personnes très pauvres – ne savent pas tout cela. Il faut leur expliquer, encore et encore. Mais c’est difficile à faire comprendre aux gens qui ont faim et n’ont pour horizon que de donner à manger le soir à leurs enfants.
Peut-être aussi ne faut-il pas recourir à une protection intégrale. Il y a d’autres solutions, qui autorisent des pratiques de pêche durable -utiles aussi pour faire participer la population. A Malpelo, nous avons mis en en place tout un ensemble de sanctions : les bateaux qui sont arrêtés peuvent être saisis, il y a de fortes amendes,… Mais si on impose des choses, il est beaucoup plus difficile de faire participer les pêcheurs.
Propos recueillis par Olivier Blond
Faire participer les pêcheurs
Ce texte est extrait du livre de la Fondation GoodPlanet : « L’Homme et la mer ».
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