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Trafic de déchets en Afrique

Le 20 mars 1994, alors qu’elle s’apprêtait à dévoiler un scandale sur un trafic international de déchets toxiques en Somalie, Ilaria Alpi, jeune journaliste Italienne de 33 ans, est assassinée à Mogadiscio, capitale du pays.

L’assassinat d’Ilaria Alpi

Les informations qu’elle détenait ont été dérobées sur les lieux de l’assassinat et n’ont donc jamais été dévoilées au grand public. Selon Robert Ménard, secrétaire général de Reporters sans frontières à l’époque des faits, « les circonstances de cet assassinat n’ont jamais été élucidées et les véritables coupables jamais inquiétés ». Pour Reporters sans frontières, Ilaria Alpi est morte en voulant mettre à jour « un des plus grands réseaux de déversements illicites de déchets dans la corne de l’Afrique impliquant des dirigeants Somaliens et Italiens».

Un marché frauduleux de déchets toxiques

En 1994, la Somalie est une terre sans lois, ravagée pas la famine, les groupes armés islamistes et les pirates. Ilaria Alpi vient couvrir le départ des troupes italiennes et américaines du pays. Pour Maurizzio Torrealata, co-auteur du livre The Execution, sur ce qui devient l’affaire Alpi, la jeune journaliste y découvre en fait une tout autre histoire : des bateaux de pêche offerts par l’Italie pour développer le secteur piscicole en Somalie. Ces navires, sont en fait sous le contrôle de bandes armées somaliennes, et font l’aller-retour avec l’Italie : ils ne semblent guère pêcher. Ilaria les soupçonne tout d’abord de transporter tout autre chose que du poisson : « des armes ».

Mais ce qu’Ilaria Alpi vient de découvrir n’a en fait rien à voir avec un trafic d’armes. Selon Reporters sans frontières, des hauts dirigeants Somaliens et Italiens ont mis en place un trafic illégal de déchets toxiques entre les deux pays. Selon Paul Moreira, auteur-réalisateur du film-reportage Toxic Somalia, ils démarchent des industriels Italiens et leur « proposent de se débarrasser de leurs déchets toxiques à des prix très avantageux : 100 dollars la tonne ». Chaque bateau rempli peut ainsi rapporter plus de « $1 millions dollars aux dirigeants malhonnêtes », note Moreira. Ils déversent par-dessus bord ou enterrent par la suite leur marchandise de façon totalement illégale au large des côtes somaliennes. Greenpeace affirme même, dans son rapport The toxic ships « qu’une autorisation officielle, provenant du bureau d’Ali Mahdi, président Somalien de l’époque, est délivrée en 1996 pour l’importation et le traitement de déchets toxiques », en infraction des règles internationales, et en particuliers les conventions de Bâle et de Marpol.

Un marché conventionné

Ilaria Alpi a certainement été assassinée parce qu’elle s’apprêtait à dévoiler ce marché frauduleux. Celui-ci a des conséquences catastrophiques pour la faune et la flore marines et côtières mais également pour les populations locales. Pendant son reportage sur la piste de la journaliste, Paul Moreira découvre de nombreux enfants malformés. Certains ont un visage déformé, d’autres n’ont pas de canal urinaire – des mutations caractéristiques de l’exposition à des polluants dangereux. « Le nombre de patients présentant ce genre de symptômes dans les hôpitaux du pays a augmenté par 3 en vingt ans » selon Moreira. « Des milliers d’enfants seront diagnostiqués de graves déformations génétiques dans les années qui suivent ces déversements », prédit-il également. Mais pour l’instant, aucune étude n’a été menée pour déceler la cause de ces maladies.

En 2005, lors du tsunami qui a ravagé l’océan Indien, des centaines de conteneurs à l’odeur nauséabonde se sont échoués sur les côtes somaliennes, note Greenpeace. Aucune ONG n’aura l’occasion de vérifier leur contenu précis, la région étant en proie à des bandes armées ne laissant que peu de liberté d’investigation. Mais d’aucuns supposent que ces conteneurs, ramenés à la surface par le tsunami, ont été immergés ou enterrés au large des côtes somaliennes dans le cadre de ce trafic. Pour l’instant la teneur exacte des déchets déversés dans le cadre de ce trafic n’a pas été identifiée.

Ilaria Alpi est-elle morte pour rien ?

La mort d’Ilaria Alpi a permis de lancer une vaste investigation en Italie et d’en finir avec le trafic illicite mis en place par Ali Madhi. Malheureusement la mafia des déchets toxiques est grande et le trafic de déchets dangereux continue.

Ainsi, en mars 2006 c’est l’affaire du Probo Koala qui refait parler du déversement illicite de déchets toxiques sur les côtes Africaines. Cette fois, en Cote-d’Ivoire.

Autour d’Abidjan, la capitale, « en moins de 24h, 523 m3 de déchets toxiques sont déversés », selon Greenpeace. « Au total, 17 personnes mourront des conséquences directes de ces déversements et plus de 100000 autres seront intoxiquées ».

Les déchets proviennent cette fois du raffinement d’hydrocarbures utilisées pour fabriquer du carburant. Pour Greenpeace, Trafigura, l’entreprise responsable de cette opération « savait pertinemment la quantité de déchets qui serait produite mais n’avait pas planifié la phase de traitement de ces résidus avant de démarrer les opérations de raffinage ». Après un refus par l’Italie, la France, Malte et Gibraltar, Trafigura finit par conclure un marché avec une entreprise basée aux Pays-Bas et le Probo Koala est admis dans le port d’Amsterdam. La teneur exacte des déchets n’a cependant jamais été transmise à l’entreprise néerlandaise qui décide d’augmenter ses prix une fois la cargaison reçue. Trafigura refuse de payer ; le Probo Koala et sa cargaison repartent, direction les côtes Africaines.

La suite tient autant d’une catastrophe écologique que d’une catastrophe sanitaire

Une catastrophe humanitaire

Amnesty International et Greenpeace viennent de demander l’ouverture d’une enquête pénale en Grande-Bretagne sur le scandale du Probo Koala : les deux organisations souhaitent relancer le débat sur le contrôle des exportations de déchets toxiques. Greenpeace dénonce ainsi le fait que « aucune des autorités européennes impliquées dans l’affaire du Probo Koala n’a su retenir le cargo au cours de son errance toxique alors que la teneur de sa cargaison pose de sérieuses questions ». La présence d’Amnesty international auprès de Greenpeace est un signe fort : elle marque le fait que les conséquences écologiques et sanitaires du déversement de déchets dangereux en Afrique posent aussi des questions de droit humain et de responsabilité sociale globale.

En savoir plus sur la réglementation internationale

Deux conventions régulent le transport de déchets ou de produits toxiques. La convention de Bâle et la Convention Marpol. La première vise à protéger la santé humaine et l’environnement contre les effets néfastes résultant de la production, la gestion, les mouvements transfrontaliers et l’élimination des déchets dangereux. La philosophie du texte est de considérer que les mouvements de déchets dangereux ne sont justifiés que dans des cas exceptionnels. Les parties s’engagent également à réduire la production de déchets dangereux et à les éliminer le plus près possible de leur lieu d’origine. Elle a été signée le 22 mars 1989 et est entrée en vigueur le 5 mai 1992. Elle a été ratifiée par 170 Parties.?

La convention Marpol de 1973 sur la pollution par les navires a pour but de réguler la pollution par les hydrocarbures, les produits chimiques, les emballages, les ordures, les eaux usées et les émissions atmosphériques. C’est le texte de référence en matière de prévention de la pollution maritime. La Convention a pour objet de réduire significativement le montant total de déchargements autorisés pour les nouveaux pétroliers (puisque seuls les déversements de pétrole liés au fonctionnement normal du navire sont autorisés et à condition que le navire se trouve à plus de 50 milles marin de la côte). La Convention interdit totalement les déversements dans certaines zones (Mer Méditerranée, mer noire, mer Baltique, mer Rouge, Golfe persique, Golfe d’Aden, Antarctique et mer du Nord).

Roxanne Crossley

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