Crime organisé à grande échelle, réseaux de corruption et de blanchiment, ou simples délits bureaucratiques : le trafic illégal du bois est une activité de grande ampleur, des grumes prélevées illégalement transitant par bateaux entiers d’un continent à l’autre. Ce trafic, estimé à plusieurs dizaines de milliards de dollars par an, menace certaines essences d’arbres précieux et participe à la destruction des écosystèmes.
UN COMMERCE DE GRANDE AMPLEUR
Un salon de jardin en ramin, un parquet en cèdre, un buffet en acajou… Dans les pays développés, les bois tropicaux sont de plus en plus recherchés et de plus en plus accessibles. Mais peu de gens savent qu’une grande partie de ce bois est d’origine illégale. C’est le cas de près de 20 % du bois importé dans l’Union européenne.
Un rapport de la Banque Mondiale estime que le trafic de bois génère environ 10 milliards d’euros annuellement – sommes non régulées, non taxées – au profit de bandes criminelles organisées. Mais selon un rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement et d’Interpol, ce commerce illégal dépasserait même 30 milliards de dollars par an. En Amazonie, en Indonésie et dans le bassin du Congo, il « représenterait de 50 % à 90 % de l’ensemble des activités forestières ».
À cette échelle, les trafiquants n’utilisent pas le double-fond des valises, comme le font parfois les trafiquants de drogue, mais des cargos, des camions, voire des trains. C’est ainsi que des camions entiers de bois des natal en provenance d’Inde ont été saisis par les autorités népalaises en 2010. En 2006, en Amazonie, les autorités brésiliennes ont déployé une centaine d’hommes pour saisir 15 000 mètres cubes de bois, soit l’équivalent de sept piscines olympiques.
LES CONSEQUENCES DE LA DEFORESTATION ILLEGALE
Le trafic du bois a de multiples conséquences, qui s’ajoutent à celles de la déforestation en général – première cause de la disparition de la biodiversité dans le monde et l’un des premiers facteurs d’émission de gaz à effet de serre (c’est-à-dire du réchauffement climatique).
Dans un grand nombre de cas, la déforestation illégale se fait au détriment des populations locales. Elle est associée à des violences permanentes, en particulier lorsqu’elle a lieu sur des terres indigènes. Par exemple, les Penans, en Indonésie, ou les Guaranis, au Brésil, sont régulièrement victimes de meurtres, de violences, de tortures.
Cette déforestation illégale se fait également au détriment de l’économie du pays. En Papouasie indonésienne, le WWF estime ainsi que 1 mètre cube de bois rapporte 11 dollars à un villageois de la région. Arrivé en Chine pour être transformé, il vaut déjà 240 dollars ; il sera facturé plusieurs centaines de dollars au consommateur occidental.
En Tanzanie, en 2004, 96 % du bois exporté avait une origine illégale, ce qui représente un manque à gagner de 58 millions de dollars pour le pays.
DEFORESTATION ILLEGALE
Voici quelques exemples d’activités illégales, identifiées dans un rapport récent de l’UNEP. En 2008, les autorités brésiliennes ont démasqué des trafiquants dans l’État du Pará qui, ayant eu accès à des permis de transport et d’exploitation de bois ont ainsi subtilisé 1,7 million de mètres cubes de bois. Le procureur fédéral chargé de cette affaire a accusé 107 entreprises, 30 têtes pensantes et 200 personnes d’avoir participé à ce trafic.
Les entreprises ont été poursuivies pour un montant équivalent à presque 1 milliard d’euros. En Indonésie, la quantité de journaux en papier qui aurait été produite avec du bois provenant de plantations est passée de 3,7 millions de mètres cubes en 2000, à plus de 22 millions en 2008. Or, l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime estime que moins de la moitié des plantations existent réellement, ce qui reflète une opération massive de blanchiment.
À Kalimantan, en Indonésie, un pot-de-vin pour un permis d’exploitation d’environ 20 kilomètres carrés coûte entre 20 et 25 000 euros. Les disparités en matière de déclaration légale d’import-export de bois entre le Kalimantan et la Malaisie sont telles que si l’on compare les déclarations d’exportation avec les déclarations d’importation, il y a trois fois plus de bois exporté que ce qui est officiellement déclaré : la fraude serait donc massive.
CRIME ORGANISE
Sur une échelle aussi gigantesque, le trafic emprunte des circuits élaborés mettant en jeu toutes sortes de dispositifs: faux permis et certificats, mélange des grumes avec des stocks légaux, falsification de l’origine du bois, corruption des fonctionnaires en charge des contrôles, ou encore passage des frontières en contrebande. Les Nations unies et Interpol l’écrivent : « On imagine souvent que [les actions de contrôle] se déroulent “armes à la main”, alors que les enquêtes sur la fraude fiscale et le blanchiment sont essentielles pour lutter contre les associations d’exploitants illégaux d’aujourd’hui. »
Il n’en reste pas moins que, comme toutes les actions contre le crime organisé, les opérations de terrain restent indispensables, et qu’elles sont parfois extrêmement dangereuses, d’autant que l’exploitation du bois s’accompagne de meurtres, d’intimidations, d’expropriations et de corruption. Plus de 200 gardes forestiers ont ainsi été tués au cours de la dernière décennie dans le parc national des Virunga, à l’est de la République démocratique du Congo (RDC), en luttant contre un trafic de charbon de bois estimé à 28 millions de dollars par an. Partout dans le monde, en Amazonie, en Afrique ou en Asie, de nombreux gardes forestiers, policiers, militaires et militants écologistes ont été assassinés ces trente dernières années pour s’être opposés à ceux qui pillent la forêt.
UN TRAFIC COMPLEXE
« Le terme “bois illégal” renvoie à des réalités différentes et il s’avère très compliqué de le définir, explique un agent des douanes françaises. Le bois peut provenir de coupes illégales dans un pays et ne pas respecter la réglementation locale, sans pour autant être un produit dont l’entrée est interdite dans un autre pays. Cela dépend du code des douanes du pays et des accords internationaux. » Une grande partie de la lutte contre le trafic consiste à contrôler a posteriori documents et marchandises. « Il s’agit surtout de fraudes, poursuit l’agent des douanes, parfois involontaires, ou parfois intentionnelles. Auquel cas, nous intervenons avec des amendes, voire parfois de la prison. Comme le contrôle s’effectue après coup, il est très rare que nous confisquions la marchandise. Souvent, les documents de transport mentionnent, comme ceux des commerçants, seulement le nom générique du bois et non celui de l’espèce précise, ce qui complique l’identification des produits. »
Ce travail de vérification n’est pas l’apanage des douaniers. En Équateur, une coalition d’ONG, la police, les ministères de l’Environnement et de la Défense ont mis en place un programme appelé Vigilancia Verde, dont la mission est de contrôler en permanence le transport du bois sur le territoire national. En l’absence de certificats, l’organisation peut saisir le bois, qui sera alors vendu aux enchères pour la financer. Elle a révélé plusieurs trafics nationaux et internationaux en saisissant, par exemple, des conteneurs entiers de cèdre du Pérou (Cederela ordorata, inscrit à l’annexe II de la CITES depuis 2001) dans le port de Guayaquil en 2006.
LA CITES
En partie à cause de la complexité du problème, il n’existe pas à proprement parler d’accord international global pour contrôler la circulation du bois et des produits dérivés. Certes, certaines initiatives émergent, mais chaque État décide lui-même, par ses lois, conventions, accords et mesures douanières, ce qu’il convient de faire face à ces produits illicites. La CITES, qui propose un cadre pour contrôler la gestion, la conservation et le commerce international de certaines essences de bois menacées d’extinction, est ainsi la seule convention internationale contraignante ; elle protège près de 350 essences, dont le bois de rose et l’acajou.
Mais la Convention ne bloque pas tout le commerce de toutes ces espèces. Dans le cas de l’afrormosia (Pericopsis elata), un bois rare d’Afrique, par exemple, l’entrée des grumes et autres produits bruts est régie par l’annexe II de la Convention et donc soumise à autorisation ; cependant, le commerce des produits transformés, comme les lattes de parquet faites à partir de ce bois, n’est pas réglementé, et ces produits peuvent donc entrer ou sortir à peu près sans contrôle des territoires.
L’EXEMPLE DU BOIS DE ROSE
À Madagascar, le bois de rose (Dalbergia spp.), une appellation qui regroupe une cinquantaine d’essences précieuses, est menacé par la surexploitation. En 2009, ce sont au moins 10 000 arbres de bois de rose qui ont été abattus, dont certains à l’intérieur même des parcs nationaux !
Mais la destruction des forêts ne se limite pas au bois précieux, puisqu’on estime à un demi-million le nombre d’arbres coupés pour récupérer leurs troncs et faire des radeaux destinés au transport des essences précieuses.
Là encore, le trafic pose un problème de ressources pour le pays : les bûcherons perçoivent 15 euros par tronc d’arbre précieux abattu, alors que 1 mètre cube de ce bois précieux peut atteindre 5 000 dollars sur le marché international. Madagascar traverse une période de troubles politiques qui ont favorisé la surexploitation des ressources forestières, mais les autorités malgaches ont demandé en septembre 2011 l’inscription de 5 essences donnant du bois de rose (ainsi que celle de 104 essences donnant de l’ébène) à l’annexe III de la Convention sur le commerce des espèces en danger. Cette inscription signifie que Madagascar a pris des mesures afin de protéger ces cinq essences, et que l’île sollicite la collaboration des autres pays pour en empêcher une exploitation illégale ou excessive. Dès lors, l’exportation de ces produits malgaches nécessite des documents officiels, certificats ou permis, ce qui aide à la protection de ces espèces.
10 000 arbres de bois de rose, au moins, ont été abattus en 2009 à Madagascar, dont certains à l’intérieur des parcs nationaux.
CONTROLER LA FILIERE BOIS, L’EXEMPLE DE L’ACAJOU
En 2000, Greenpeace estimait que 80 % du bois d’acajou d’Amérique latine provenaient de coupes illégales. Les ONG ont appelé au boycott des détaillants occidentaux vendant des produits en acajou en provenance de ces pays. Cependant, l’acajou était souvent dissimulé dans les échanges sous l’appellation fausse de « bois d’œuvre tropical ».
En 2002, l’acajou à grandes feuilles (Swietenia macrophylla) a été inscrit à l’annexe II de la CITES. Cela a permis au Pérou, par exemple, d’établir dès 2005 des quotas d’exportation et de les faire respecter puisque, depuis, l’ensemble des exploitants forestiers du pays ont mis en règle leur activité. Les autorités nationales de la CITES ont réalisé des progrès importants pour la régulation et la gestion de cette essence dans le pays.
STRUCTURER LA LUTTE A L’ECHELLE INTERNATIONALE
Bien entendu, la coopération internationale est un outil crucial pour lutter contre ce trafic planétaire. En 2012, Interpol a lancé l’initiative LEAF (Law Enforcement Assistance for Forests, ou Aide des services chargés de l’application de la loi pour les forêts). Son objectif est de favoriser la coopération entre les agences et les gouvernements pour mieux contrer le trafic du bois.
Les États-Unis et l’Europe ont également adopté récemment un cadre législatif plus strict pour empêcher les importations frauduleuses. Il s’agit du Lacey Act aux États-Unis et du FLEGT en Europe (Forest Law Enforcement, Governance and Trade, ou Application des réglementations forestières, gouvernance et commerce). En clair, il s’agit dans les deux cas de lutter contre l’exploitation illégale des forêts et le commerce illégal du bois, de sanctionner la mise en vente de bois illégal et de mettre en place des filières responsables avec les pays exportateurs volontaires. Agir en amont sur la production, comme en aval sur la consommation : ce sont en effet les deux manières de saisir le problème.
Entre 50 et 90 % de l’exploitation forestière dans les pays tropicaux en bordure du bassin de l’Amazone, en Afrique centrale et Asie du Sud est contrôlée par le crime.
TRANSFERT DE COMPETENCES
L’un des points les plus paradoxaux de la déforestation illégale, c’est qu’une gestion durable des forêts est tout à fait possible. Comme les forêts se régénèrent naturellement, on peut les exploiter indéfiniment. Toutefois, mettre en place un système de gestion durable des forêts et de leur conservation demande des compétences et de l’expérience.
C’est pourquoi la CITES, en partenariat avec l’OIBT (Organisation internationale des bois tropicaux), aide les pays à renforcer leur capacité à utiliser durablement des essences protégées et à établir des législations nationales qui assurent l’implémentation de la CITES. Par exemple, la CITES et l’OIBT soutiennent les efforts du Cameroun, de la République démocratique du Congo (RDC) et de la république du Congo (Brazzaville) pour faire respecter la législation existante et renforcer la traçabilité des arbres prélevés.
En Indonésie, les deux organismes aident à améliorer l’inventaire national des stocks de ramin (Gonystylus bancanus), un arbre qui a longtemps été l’un des bois les plus exportés de l’Asie du Sud-Est, mais qui est désormais considéré comme surexploité et vulnérable, à cause de coupes massives, souvent illégales, et de la destruction du milieu.
CERTIFICATION VOLONTAIRE
En complément de l’approche légale, une démarche de certification volontaire peut être utile. De fait, de nombreux acteurs de la conservation encouragent la certification des produits issus de la forêt, et les systèmes de certification du bois qui lui sont associés. C’est le cas des labels FSC (Forest Stewardship Council) ou PEFC (Programme de reconnaissance des certifications forestières), par exemple. Le label FSC a été créé en 1993 par une coalition d’ONG, de producteurs et de forestiers. Il stipule que la coupe a été réalisée légalement, dans le respect des droits des peuples indigènes, que les travailleurs ont obtenu une part correcte de l’opération, et que la préservation de l’équilibre écologique a été pris en compte. Il interdit les coupes à blanc (à quelques exceptions près). FSC concerne 135 millions d’hectares de forêt dans le monde ; PEFC, 245 millions.
La lutte contre les coupes illégales nécessitera la combinaison de plusieurs approches. La certification volontaire est l’une d’entre elles. Il ne faudrait pas qu’elle se substitue, mais, au contraire, qu’elle s’ajoute aux obligations légales mises en place par la CITES.
9% des forêts dans le monde sont certifiées. Mais cela ne suffit pas à répondre à une demande croissante.
GIBSON
Lorsque, durant l’été 2011, les policiers américains ont perquisitionné les locaux de la firme Gibson, ils ont découvert la preuve que l’entreprise, spécialisée dans la fabrication d’instruments de musique, importait illégalement du bois d’ébène et du bois de rose originaires de Madagascar et d’Inde. Ce faisant, l’entreprise violait le Lacey Act, une loi prohibant l’importation de bois coupé illégalement. Cette erreur a coûté 350 000 dollars à l’entreprise (300 000 dollars pour un accord avec la justice afin d’éviter des poursuites, et 50 000 dollars pour financer une association de lutte contre la contrebande de bois), sans parler des répercussions sur l’image de la marque auprès du public.
FAVORISER LES USAGES DURABLES ET IMPLIQUER LES COLLECTIVITES LOCALES
Dans les pays producteurs, la meilleure manière d’assurer une production responsable est d’associer les populations locales, de renforcer leur capacité à mettre en œuvre des mesures de conservation de la forêt, et à contrôler l’utilisation de ses ressources.
Tel a été le cas pour la cire de candelilla, issue de l’arbuste éponyme (Euphorbia antisyphilitica) qu’on trouve au nord du Mexique et au sud des États-Unis. Le commerce de ce produit, employé dans les cosmétiques pour les sticks et les rouges à lèvres, a vu un temps son commerce régulé par la CITES. Depuis 2010, après la mise en place de bonnes pratiques et l’enseignement par les autorités nationales de la CITES, le commerce de produits finis qui en sont dérivés emballés et prêts pour le commerce de détail, est désormais autorisé. Environ 20 000 exploitants vivent de leur vente.
PRESERVER LA FORET, C’EST SAUVER LA BIODIVERSITE
Protéger quelques espèces d’arbres recherchées pour leur valeur marchande participe à la préservation de la forêt dans son ensemble. Car bien souvent, les exploitants coupent de nombreux arbres pour en prélever un seul qui les intéresse. Le gaspillage est énorme.
Mais parvenir à réduire le trafic du bois n’est pas seulement un enjeu pour la protection des forêts, c’est aussi un enjeu pour l’ensemble de la biodiversité. En effet, plus de la moitié des espèces végétales et animales vivent dans les forêts. En Amazonie, on trouve sur un seul hectare de forêt jusqu’à 300 essences d’arbres différentes, plus que dans l’Europe tout entière. Et sur les frondaisons d’un seul arbre tropical, on a compté plus de 1 200 espèces de coléoptères !
Lorsque les arbres disparaissent, les premières victimes collatérales de la déforestation son les plantes ornementales ou médicinales, les champignons, une multitude d’espèces utilisées en parfumerie, dans l’alimentation, mais aussi des animaux comme les grands singes en Afrique, les tigres en Asie, ou les lémuriens à Madagascar, pour ne citer qu’eux.
Extrait du livre « Sauvages, précieux et menacé » rédigé par la rédaction de GoodPlanet à l’occasion du quarantième anniversaire de la CITES. Soutenez-nous en achetant cet ouvrage sur Amazon.
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