Depuis des décennies, le cinéma et les médias concourent à assombrir leur réputation, profitant des lacunes de la connaissance scientifique pour surfer sur nos peurs. Aujourd’hui, loin des caméras, la grande famille des requins est au seuil de l’extinction. Engagé dans une pêche intensive et un commerce d’ailerons devenu mondial, l’homme regarde ailleurs. La 16e conférence des Parties de la CITES, qui s’achève à Bangkok, pourrait enfin amorcer le virage de l’action.
Ils sont le triste symbole du drame qui se joue actuellement dans nos océans, la preuve qu’une activité humaine irraisonnée n’est pas sans conséquence sur la pérennité des ressources. Chaque année, plus de 50 millions de requins sont tués par l’homme. En un demi-siècle de prélèvement intensif, les populations ont été décimées. Les réponses avancées au niveau mondial pour faire cesser ce massacre restent très limitées.
Ainsi la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES), qui protège plus de 30 000 espèces de plantes et d’animaux menacés de disparition, ne couvrait jusqu’ici que trois espèces de requins sur près de 500 : le requin-baleine, le requin-pèlerin et le grand requin blanc. Après d’âpres discussions et un vote serré, cette maigre liste vient enfin d’être complétée.
Cinq nouvelles espèces sous haute surveillance
Le requin taupe commun, le requin océanique et trois espèces de requin marteau rejoignent l’annexe II. L’annexe I interdit tout commerce international pour les espèces au bord de l’extinction. Pour éviter d’en arriver à une telle extrémité, l’Annexe II met en place un suivi et une régulation du commerce international des espèces menacées par la surexploitation. En imposant plus de transparence sur les conditions de prélèvement et d’exportation, cette inscription contribuera à lutter contre le trafic illégal, notamment d’ailerons, et à mieux apprécier l’impact de la pêche sur la pérennité des espèces.
Elle ne saurait toutefois à elle seule sauver la peau des requins. Il faut aujourd’hui une intervention cohérente sur tous les niveaux de la chaîne : de la pêche au commerce, et jusqu’à la consommation d’ailerons en Chine et en Asie.
Du vote aux actes
Fort heureusement, des initiatives locales commencent à fleurir, telles que la création de sanctuaires ou l’interdiction du finning dans certaines zones. Les Palaos ont été les premiers à réagir, conscients que le pillage des requins risquait de saper l’attractivité touristique qui est désormais leur principal atout économique. Dès 2009, ils ont instauré le premier sanctuaire de requins à l’échelle de leur zone économique exclusive (ZEE), sur près de 600.000 km². Et l’expérience s’étend à toute la pêche : le Président de la République de Palau, Tommy Remengesau, a annoncé lundi 10 mars en présence de S.A.S. le Prince Albert II de Monaco et avec le soutien de la Principauté, son intention d’interdire la pêche industrielle dans toute la ZEE. Les requins pourraient ici devenir les porte-drapeaux d’une gestion plus durable des océans.
[En savoir plus sur : Palau, sanctuaire de requins, qui veut bannir la pêche commerciale ]
Preuve qu’une mutation s’amorce dans l’opinion publique, conduisant les gouvernements à se saisir de cette question environnementale, le requin a récemment bénéficié d’un geste de compassion de la part de l’homme. En Afrique du Sud, un pêcheur peu scrupuleux s’est vu condamné pour avoir capturé et tué un grand requin blanc. Verdict : 10 000 € d’amende, et un an de prison avec sursis. Une première dans un pays régulièrement touché par des attaques, mais qui a lui aussi compris l’atout que sont les requins et a été l’un des premiers à emboiter le pas de la Cites en protégeant le grand blanc.
Souhaitons que ces nouvelles décisions contribuent rapidement à l’amélioration concrète de la situation des requins. Seule une évolution profonde de notre rapport à la nature, où le respect se substitue à la peur et à la cupidité, où l’égoïsme de chacun fait place à une coopération internationale et intergénérationnelle accrue, pourra redonner espoir quant à la survie de ces seigneurs des mers déchus.
Qui pour sauver la peau des requins ? la CITES ouvre la voie
Par Robert Calcagno, Directeur général de l’Institut océanographique de Monaco
Ecrire un commentaire