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Claude Bourguignon, défenseur de nos sols

Bourguignon
Claude et Lydia Bourguignon, © Société Européenne de Production
Claude et Lydia Bourguignon, © Société Européenne de Production

Seul contre tous, ou presque, Claude Bourguignon, a plaidé pendant des années pour l’importance des sols, et mis en garde des risques que leur font courir les pratiques agricoles intensives. Certaines de ses idées sont désormais confirmées par les scientifiques.

Le sol est une immense fabrique du vivant. C’est lui qui nous nourrit. Et nous en dépendons tous. S’il enveloppe le globe d’une fine pellicule de quelques dizaines de centimètres seulement, il est le siège d’une activité intense et il héberge un écosystème extrêmement riche.

Dans les années 1970, Claude Bourguignon, alors chercheur à l’INRA (Institut National de recherche agronomique), s’intéresse aux millions de vers, larves, coléoptères, araignées et acariens présents dans la terre, qui consomment et décomposent végétaux et petits animaux. Mais aussi aux micro organismes, bactéries et champignons, qui, par millards, utilisent des matières animales et végétales mortes pour fabriquer des éléments nutritifs, de nouveau utilisables par la faune et la flore. Bref, à tous ces petits êtres qui y vivent et y travaillent – et qui font tourner la boucle entre le biologique et le minéral, entre le mort et le vivant. « Il faut cesser de voir la terre comme un support inerte » rappelle-t-il souvent.

Mais à l’époque, le sujet est vu avec condescendance par les autres scientifiques. Emmanuel, son fils, se souvient « J’accompagnais souvent mon père au laboratoire microbiologie de Dijon. J’avais alors une dizaine d’années. Je me souviens des conflits entre mon père et son directeur. Mon père ne comprenait pas que l’on s’inquiète si peu de l’état des sols. » Et Lydia, sa femme, ajoute « Aujourd’hui les gens sont sensibilisés mais, à l’époque, lorsque nous disions que les sols étaient à l’agonie, personne ne voulait l’entendre ».

Claude Bourguignon, constate que les populations qui habitent le sols sont mises à mal par l’utilisation d’engrais et de pesticides ou par la pratique du labour. Mais à l’époque, les outils disponibles ne permettent pas de quantifier précisément cette dégradation et ses observations sont contestées. Elles ne seront confirmées que bien plus tard. « Nos actions n’ont pas été bien accueillies par les scientifique classiques. Leurs propos était plutôt violents ».

Claude décide alors de quitter l’INRA et crée, avec sa femme Lydia, son propre Laboratoire d’Analyse Microbiologie des Sols (LAMS) en 1990. Depuis, il propose aux agriculteurs et aux viticulteurs des techniques de restauration et de préservation des sols agricoles par des pratiques respectueuses de la vie du sol et de son fonctionnementIls organisent des voyages à travers le monde pour présenter aux agriculteurs français des méthodes culturales alternatives. Ils enseignent au sein de l’école associative d’agroécologie de Beaujeu, haut lieu de l’écologie des années 1980 et 1990, aux côtés du botaniste Gerard Ducerf ou du philosophe Pierre Rabhi.

En 2008, ils sont rejoints par leur fils Emmanuel, de retour d’une formation en microbiologie et écologie des sols réalisée en Écosse puis en Nouvelle Zélande. «Les choses évoluent aujourd’hui» constate celui-ci, mais, comme le déplorait déjà son père, « à l’époque, il n’existait aucune formation digne de ce nom sur la microbiologie des sols, en France ».

Ensemble, ils étudient la nature des sols, leurs propriétés… « Nous passons 2/3 de notre temps sur le terrain » précise Lydia Bourguignon. « Nous réalisons des prélèvements et à partir de là, nous pouvons dire si la terre a besoin d’être revitalisée, si elle est adaptée à la culture choisie ou si elle a besoin de fertilisants pour aider la croissance de cette culture. La plupart du temps aucune fertilisation n’est nécessaire, il faut simplement soigner et entretenir la terre. » D’après les Bourguignon, c’est d’ailleurs cette démarche, qui vise à «rendre les agriculteurs les plus autonomes possible » qui inquiète. « Si les agriculteurs utilisent moins de fertilisants, par exemple, certaines multinationales vont perdre beaucoup d’argent, or on connaît l’influence de ces multinationales sur les politiques menées en agriculture…. »

Ils cherchent à préserver les sols, et en particulier l’humus superficiel le plus riche en êtres vivants, et prônent le semis direct sur des terres régulièrement mise au repos et laissées couvertes par des prairies naturelles. Ils remettent en cause le labour profond et l’idée reçue que cette pratique aère la terre. « Ce sont les petits invertébrés et les micro-organismes du sols qui, en circulant et en respirant, aèrent le sols » expliquent-ils. « Il a été très difficile pour nombre d’agriculteurs d’accepter qu’une pratique qu’on leur transmettait depuis des siècles n’était pas bonne. Ils avaient le sentiment que si ils ne labouraient pas, ils ne travaillaient pas. » souligne Lydia Bourguignon.

Depuis une dizaine d’années, de nombreuses études ont été entreprises sur ces sujets, en particulier au sein du laboratoire de l’INRA de Dijon où travaillait Claude Bourguignon. Elles confirment par exemple que « le labour classique baisse la diversité des champignons dans le sol et augmente celle de bactéries opportunistes qui sont là pour épuiser le système et peuvent potentiellement être pathogènes», comme le reconnaît Lionel Ranjard, directeur scientifique au sein de l’unité de recherche Agroécologique de l’INRA de Dijon.

«Pendant longtemps, les instituts techniques, tel que l’INRA, n’ont pas ou mal occupés la place », admet Lionel Ranjard. « Mais désormais, avec le développement des outils d’analyse moléculaire, nous pouvons réaliser des diagnostics très fiables de l’état des sols et ainsi orienter les agriculteurs ». C’est cette fiabilité qui manque aux analyses de Claude Bourguignon, toujours selon le chercheur. Il poursuit :  «Claude Bourguignon s’est un peu trop éloigné de la recherche et son discours stigmatise les agriculteurs » mais « il a tellement parlé de ces problèmes, qu’il a stimulé le monde agricole à s’intéresser à la question de la biologie du sol».

Aujourd’hui encore, la famille Bourguignon travaille pour rendre les agriculteurs plus autonomes dans la gestion de leurs terres et se félicite des avancés et du chemin parcouru dans ce domaine. « Mais lorsque nous voyons la puissance des états et des lobbyistes ou des désastres comme ceux provoqués par la Politique Agricole Commune (PAC), nous ne pouvons nous empêcher de garder un certain regard pessimiste. Mais ce sont peut être aussi ces obstacles qui nous poussent à avancer ».

Julie Renoux

18 commentaires

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    • F

    Bravo Monsieur,
    Bravo à toutes celles et ceux qui ont autant de dévouement vis à vis de l’ensemble des populations et de la Terre qui nous fait vivre.
    Même les plus sots devront bien un jour se rendre à l’évidence.
    L’argent ne fait pas tout, même s’il dirige le Monde.
    En tant que simples apiculteurs, nous sommes fiers de sensibiliser les gens au travers souvent de vos propres témoignages et de ceux de bien d’autres personnes sensées qui peuplent cette Terre.
    Alors un grand MERCI à vous et BRAVO.
    Ne soyez pas pessimiste, vous avez au moins le courage d’apporter chaque jour une pierre à un nouvel édifice.
    Comme tant d’autres le font et après eux, d’autres encore !

    • Oskar Lafontaine

    Tout à fait d’accord avec ces considérations dont, pour mon humble part, j’avais eu connaissance, par quelques rares articles de revues de vulgarisation scientifique il y a longtemps.
    Le pire qui soit ainsi arrivé à nos sols, c’est encore le remembrement agricole du début des années 1950 puis 1960. Les énarques, ces calamités nationales de première grandeur, en sont les principaux responsables. L’arrachage des haies surtout fut une catastrophe, tout est parti de là, l’érosion des sols, le recours obligé aux engrais et aux insecticides découle de l’abattage des haies décidé par des technocrates en chambre, Technocrates qui ne voyaient que pmécanisation à outrance, et ce qui en découle. Le bocage vendéen a été massacré et c’était pourtant une richesse exceptionnelle créée au cours des siècles, ce dont certains, enfin prennent conscience, mais bien tard.

      • Francis

      Le remembrement n’est pas un problème quand les sols sont protégés par des cultures intermédiaires et un taux d’humus élevé.L’ennemi est d’abord le labour d’hiver.Les parcellaires ont été dessinés il y a deux siècles en dépit du bon sens,c’était très difficile de laisser un maillage régulier de haies quand elles vont dans tout les sens.

    • pongui

    Grand merci pour votre courage. Vos travaux méritent d’etre vulgarises dans les pays (Congo Brazzaville) comme les nôtres ou l’agriculture intensive est peu développée. Bravo encore pour vos travaux sur l’ecologie des sols.
    Brice Pongui.

  • Bravo, je pense que le sol est aussi essentiel que l’air que l’on respire mais les hommes (surtout des pays industrialisés) ont cette faculté de croire qu’ils ne dépendent pas de cette infime couche superficielle et qu’ils vivront toujours sur la planète quoiqu’ils fassent. :((

    En ce qui me concerne, je me sens avoir pour mission de défendre les agents biologiques, ceux qui ne se voient même pas…

    Légumes Project

    • Rigolle Benoît

    Merci aux journalistes pour ce type d’article. Pas facile d’avancer à contre courant quand on est agriculteur. Merci aussi à des personnes comme les Bourguignon et d’autres agronomes comme Konrad Schreiber pour nous guider vers ù meilleur agriculture.

    • toto

    Un article réellement consternant. .

    et Lydia?

    Quels  » scientifiques »

    pffff..

      • Francis

      Même si il est vrai que Claude Bourguignon est quelque fois outrancier,c’est lui qui a raison,pas la science officielle.Il suffit d’observer les champs en cette fin d’hiver: battance,flaques d’eau qui ne s’infiltre pas,absence de terricules de vers de terre,les derniers semis de blé non levés.Les techniciens et les ingénieurs de l’agronomie officielle ne savent pas ce que sont la vie et la mort des sols et évidemment le complexe coopérativo-industriel ne fait rien pour arranger les choses!

  • Entrepreneur environnemental et consultant, je me consacre à l’agriculture durable depuis une cinquantaine d’années dans plusieurs pays. J’ai souvent eu l’occasion de lire, écouter et collaborer avec Claude Bourguignon. Il fait partie de mes principaux « guides ». Mille fois merci Claude pour tes contributions si essentielles ! Et ma reconnaissance aussi à quelques journalistes et éditeurs qui ne manquent pas de courage pour publier de tels documents fondamentaux. Bernard K. Martin, Ste-Croix (Suisse).

  • Bonjour les Terrien-nes !

    Maltraiter la terre, c’est faire la guerre aux Vivants que nous sommes !!! Résistons et combattons afin
    que la Vie triomphe ! Vivre avec la Nature et non « contre nature » est un signe de bonne santé mentale et physique..alors il est temps de soigner les agriculteurs et les terres nourricières de France et de Navarre avec la nature…A bon entendeur…salut !

  • […] je suis satisfait. Je ne m’attendais pas du tout à ce que les choses prennent cette envergure. Claude Bourguignon, défenseur de nos sols – Magazine GoodPlanet Info. Claude et Lydia Bourguignon, © Société Européenne de Production Seul contre tous, ou presque, […]

  • bravo a ceux qui sont d’accord avec mr & me Bourguignon
    et a vous tous qui ont pris parti avec ce couple qui peut sauver la terre si maltraitée
    faut surtout avoir l’oeil sur les fraudeurs qu’il faut épingler sans faute

  • Bonjour et merci pour ce partage qui vient résonner en écho à la dernière chronique JARDIN 4D :
    http://jardin4d.com/jardin4d-onu-2015-age-de-terre-nouvelle-ere
    La tâche est immense !
    Amicalement

    • chapolin

    En fin de compte, pourquoi y-a-t-il des lobbies ? Parce qu’en haut de l’échelle on a envie de rouler dans les plus grosses voitures possibles, d’épater la galerie le plus possible, c’est le modèle qui a cours tout au long de la pyramide jusqu’en bas de l’échelle. Tout le monde s’y accorde, comme un orchestre autour du diapason. Finalement ce sont des sentiments « puérils » qui mettent à mal le monde et semblent le dominer … Vous pouvez être une sale ordure mais ce qui compte c’est que l’on vous aime pour votre apparence et dans leur monde de richesses matérielles, leur tour de verre, ces gens là se bercent par des illusions de bonheur, ils se sentent aimés et enviés de tout le monde lorsqu’il se déplacent dans leurs grosses voitures, on les aime, ils se sentent bien mais mieux encore, on les envie, alors ils ‘sont’ le bien … Pourtant dans la réalité, le monde devrait les détester, les huer.
    Cet article montre bien à quel point la raison et la prudence ne sont pas ce qui dirige le monde, même scientifique et à quel point nous sommes rigide, pas souple, il faut des catastrophes et des menaces terribles pour que nous réagissions. Parce qu’en fin de compte c’est quand même une évidence qu’il faut étudier les sols et en prendre soins.

    Il faut cultiver les populations le plus possible, parce que plus elles seront cultivées par la raison et moins elles accepteront facilement l’évidente stupidité… Après tout, le premier soucis d’une dictature brutale n’est-il pas de brûler les livres ?

    • Troismas

    Totale admiration pour ce couple. Je suis un particulier et je fonctionne au BRF depuis plusieurs années. Plus de traitements contre les maladies, plus d’engrais, sinon un peu de mon compost, plus de désherbant, plus d’arrosage, plus besoin de retourner la terre. Le plaisir du jardinage sans les corvées. Mes fruitiers sont très productifs. Comment peut-on encore jardiner sans BRF, c’est de l’or pour le jardin. J’encourage tous les particuliers à en faire autant. En plus mon fournisseur ne demandent pas mieux que de m’en apporter car il n’a plus à payer pour l’apporter a la déchetterie.

      • Nono44

      Slt Troisma, pourrais tu me dire a qui tu t’es adressé pour ton brf? Bravo aux Bourguignon pour leurs lumières.

    • MAG29

    Bravo!!! Nous savons que le chemin est encore long. Parions sur notre meilleur  » ami « : le manque de moyens pour acheter ces poisons pour la terre, pour ceux qui les mettent en oeuvre, pour la population qui les ingère… Quel comble!!! La sonnette d’alarme tinte depuis des décennies et ces ministres de l’agriculture, de la santé, de l’écologie… restent sourds, aveugles, impuissants… pieds, poings et conscience couchés par la puissance de lobby. Lobby qui les tiennent par des promesses de miettes  » millions « , qui financent la course à l’Elysée. Il revient aux peuples du monde de changer la donne. Merci Lydia, merci Claude ! Vous avez allumé la mèche, aucune force ne pourra arrêter la RAISON!