La réparation connait un retour en grâce en France, pourtant la réalité de ce secteur aux multiples visages est bien plus complexe. Marie Hervier, experte sur la question de la réparation à l’ADEME où elle travaille au Service Produits et Efficacité Matière – Direction Economie Circulaire et Déchets explique les difficultés rencontrées par les Français pour recourir à la réparation. Cet entretien sera suivi d’un second sur l’économie du secteur de la réparation. Elle a répondu à nos questions par email.
Qu’est-ce qui incite les gens à réparer plutôt que de jeter ?
Les gens réparent les produits ayant une valeur économique, comme la voiture ou l’ordinateur, ou affective importante, comme les bijoux. Pour d’autres objets, la réparation est ancrée dans les habitudes, par exemple le vélo et les chaussures. A l’inverse, si remplacer coute moins cher que réparer ou si l’objet est jugé trop vieux, l’objet est changé.
A quel coût les gens sont-ils disposés à réparer leurs biens ?
Le choix de recourir à la réparation dépend notamment de son coût et, en particulier, de ce que ce coût représente par rapport au prix du produit neuf. Pour le cas de l’électroménager, les consommateurs favorisent la réparation lorsque celle-ci n’excède pas 30 % à 50 % du prix du produit neuf.
36 % des Français qui ont déjà fait réparer un objet chez un professionnel considèrent ainsi qu’il est plus intéressant de faire réparer un produit dans le cas d’une réparation dont le coût représente 10% à 25% du prix du neuf, et 31% si le coût de la réparation se situe entre 25% et 50% du prix de vente neuf. En revanche, au-delà de 50% du prix de vente neuf, la réparation ne paraît plus intéressante pour une écrasante majorité de Français (87%). 50% semble donc constituer le seuil au-delà duquel on hésite sérieusement à recourir à la réparation.
Qu’est ce qui freine le recours à la réparation ?
Globalement pour de nombreux produits, le prix d’entrée de gamme est de moins en moins cher. De plus, les consommateurs ont du mal à identifier les acteurs à solliciter en cas de panne.
L’absence d’un service de réparation reste un facteur important. Certains biens ne sont pas couverts par une offre de réparation suffisante ou accessible. Ou, pour certains objets, la demande n’est pas suffisante, c’est le cas pour les jouets, les vêtements et les meubles. Ils sont devenus des produits de consommation courante et relativement bon marché. Pour d’autres biens, comme l’électroménager, le nombre de réparateurs diminue. En conséquence, l’accès à un service de réparation de proximité semble de plus en plus difficile pour les consommateurs.
A cela s’ajoute l’évolution des habitudes des consommateurs. La baisse constante des prix et le goût du neuf les dissuadent de faire réparer certains produits comme les biens accessoires, de mode, ou l’électronique de divertissement.
Enfin, le développement de la vente à distance complique la réparation. De fait, la baisse des ventes par les commerces de proximité diminue l’offre de réparation par ces acteurs. Alors que les réparateurs comptent sur leurs activités de vente pour réaliser leurs marges, il leur est de plus en plus difficile de proposer des services de réparation à un prix attractif. En conséquence, l’accès au SAV se réduit, voire n’est à ce jour pas assuré. En effet, un grand nombre de plateformes de vente par Internet propose rarement un SAV et reste très évasif sur l’après-vente de manière générale.
Justement, les difficultés d’accès aux pièces détachées sont souvent pointées du doigt, qu’en est-il ?
L’accès aux pièces détachées et aux compétences nécessaires à la réparation des produits se révèle de plus en plus complexe. La grande diversité des articles vendus et le nombre important de fournisseurs ne facilitent pas la mise à disposition des pièces détachées et les documentations techniques des fabricants ne sont pas toujours accessibles. La miniaturisation (tablettes et smartphones) des composants complique la tâche.
Est-il possible d’en finir avec la société du jetable ? Comment ?
C’est envisageable mais cela passe par une prise de conscience à la fois des professionnels, qu’il s’agisse des fabricants ou des réparateurs, et des consommateurs. Pour y parvenir, il faut permettre aux réparateurs de vivre de leur activité en les aidant à se former et à disposer des pièces détachées et de la documentation technique nécessaire. La réparation doit aussi être promu en valorisant ces métiers auprès des jeunes et des apprentis (ex : portes ouvertes ; évènements destinés aux jeunes en partenariat avec les établissements scolaires ; etc.).
Les fabricants doivent aussi jouer le jeu en étant impliqués dans les circuits de réparation et en adoptant l’écoconception de leurs produits. A la suite de la publication de la loi consommation du 17 mars 2014, le fabricant ou l’importateur de biens doit informer le vendeur de la période pendant laquelle, ou de la date jusqu’à laquelle, les pièces détachées indispensables à l’utilisation des biens sont disponibles sur le marché. Dans cette même loi, la garantie légale de conformité est étendue de 6 mois à 2 ans.
Enfin, cela ne sera possible que si les consommateurs s’y mettent et sont convaincus. L’auto-réparation se développe et s’organise au travers des repairs-cafés (ateliers de réparation) notamment. Encadrés par des professionnels, ces ateliers visent à sensibiliser les consommateurs à la réparabilité des produits et aux savoir-faire des réparateurs. Il convient de continuer à les informer de la durabilité, de l’évolutivité et de la réparabilité des produits et de les inciter à se tourner vers d’autres manières de consommer qui privilégient plutôt l’usage que la possession.
Propos recueillis par Julien Leprovost
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