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Jean Jouzel : « on passe vraiment dans un autre monde : les extrêmes climatiques vont devenir plus extrêmes avec le réchauffement »

jean jouzel

Le climatologue Jean Jouzel, © ALAIN JOCARD / AFP

Le climatologue Jean Jouzel, ancien vice-président du groupe scientifique du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), répond à nos questions sur le lien entre la vague actuelle de chaleur et le réchauffement climatique.

La canicule actuelle est-elle le fait du changement climatique ?

Elle s’inscrit dans un contexte de réchauffement climatique. La hausse des températures moyennes est de 2 dixièmes de degré par décennie, les records de températures sont assez régulièrement battus. Plus la température moyenne est élevée, plus il y a des risques importants de canicule. Le réchauffement climatique moyen est bien imputable aux activités humaines, nous n’attribuons cependant pas une canicule aux activités humaines. Il est scientifiquement plus pertinent d’avoir une approche en termes de probabilités de survenue d’un événement. Les scientifiques du World Weather Attribution ont montré que la canicule de juillet en Scandinavie avait 2 fois plus de probabilité de survenir dans le contexte actuel de changement climatique qu’auparavant.

Est-il possible de voir dans cet épisode de fortes chaleurs les prémisses des étés à venir pour le reste du siècle ?

Oui, les scientifiques l’avaient déjà anticipé il y a une trentaine d’années dans leurs modèles d’évolution du climat : à un climat plus chaud se superpose des extrêmes climatiques plus marqués. Cela s’est déjà observé et s’observera dans l’avenir. L’été 2003 a été le plus chaud observé en 150 ans en Europe de l’Ouest. Il était 3 degrés plus chaud qu’un été moyen du XXe siècle. Si la lutte contre le changement climatique se montre inefficace, un été comme celui de 2003 deviendra la norme dans la seconde partie du siècle. Après 2060, les épisodes caniculaires pourraient être jusqu’à 7 ou 8 degrés plus élevés qu’un été normal du XXe siècle. On passe vraiment dans un autre monde : les extrêmes climatiques vont devenir plus extrêmes avec le réchauffement.

Pensez-vous que cette vague de chaleur puisse pousser nos sociétés à agir plus rapidement et efficacement contre le réchauffement du climat ?

C’est un espoir. Les gens sont sensibles aux canicules parce que ce n’est pas très agréable et difficile à supporter. De manière générale, les décideurs et l’opinion restent avant tout sensibles aux extrêmes climatiques et à leurs conséquences (sècheresses, inondations, vagues de chaleur…), qui sont la partie visible et spectaculaire, plutôt qu’à la hausse des températures moyennes. Les feux de forêts en Suède, sur le pourtour méditerranéen et en Californie et les risques de décès prématurés supplémentaires figurent parmi les 2 effets les plus marqués de cette vague de chaleur. Près de 3000 décès sont attribués aux événements climatiques en Europe. Un changement climatique non maitrisé, c’est-à-dire de 4 à 5 degrés, pourrait multiplier ce nombre par 50 et provoquer 150 000 décès pour l’essentiel dus aux vagues de chaleur.

D’ailleurs, est-il encore possible d’agir ? Pour quels résultats ?

L’Accord de Paris se donne pour objectif de maintenir le climat sous les 2 degrés voire 1,5 degré par rapport à l’ère préindustrielle. Demeure l’accord le plus sérieux et ambitieux. Cela correspond à 1 degré par rapport au climat des 5 dernières années. Y parvenir, laisserait une capacité d’adaptation, et ce malgré l’augmentation du niveau des mers.

Comment faire ?

Il faudrait que le pic des émissions de gaz à effet de serre survienne en 2020. Puis diviser par 3 les émissions entre 2020 et 2050 pour finalement atteindre la neutralité carbone dans la deuxième partie du siècle. Aller vers une société sobre en carbone implique un changement complet de mode développement. Et, donc d’agir sur l’énergie et l’alimentation. Aujourd’hui, la difficulté majeure est que les engagements de l’Accord de Paris sont insuffisants pour y arriver. Pour atteindre l’objectif de Paris, il faut relever l’ambition de l’accord de Paris sans quoi le réchauffement sera de 3,5 degrés. Ce qui est mieux que l’inaction, mais moins bien que les 2 degrés visés initialement.

Enfin, cette vague de chaleur met en lumière les enjeux de l’adaptation de nos sociétés, mais comment parvenir à s’adapter aux fortes chaleurs en évitant le piège des solutions, comme la climatisation à outrance, énergivores et donc néfaste pour le climat ?

Ce n’est pas si simple car, il faut, d’un côté, réduire les émissions de CO2 et, de l’autre, conduire une politique d’adaptation. Nous vivons ce que la communauté scientifique avait anticipé il y a 30 ans. Nous savons déjà ce à quoi ressemblera le climat de 2050, cela doit être pris au sérieux.
L’adaptation aux vagues de chaleur passe par la climatisation qui est difficile à éviter dans certains cas : pour les personnes âgées et dans les endroits très chaud. L’adaptation passe aussi par beaucoup de prévention. La France est mieux préparée suite au précédent de la canicule de l’été 2003. La prévention ne rend pas les vagues de chaleur plus supportables, mais elle évite des drames en terme sanitaires de perte de vies humaines.

Quelles mesures prendre alors pour les villes ?

Les villes doivent se développer intelligemment pour prévenir le phénomène des ilots urbains de chaleur qui se traduit par des écarts de plusieurs degrés entre le centre et ses bandeaux. Le développement de la nature en ville peut aider à faire face à la chaleur en apportant de l’ombre grâce aux arbres. Il faut aussi verdir la ville et installer des points d’eau pour se rafraichir… Donc, il s’agit de facilite la vie des personnes qui n’ont pas d’autres choix que d’y vivre. Certains pensent aux toits blancs pour renvoyer une partie de la chaleur, mais je pense que c’est plus limité que le verdissement des villes qui sera aussi une solution collectivement douce.

Propos recueillis par Julien Leprovost

[Sur le même sujet, lire aussi notre interview avec le climatologue Hervé le Treut : « la difficulté est de passer d’une phase d’alerte à l’action »]

5 commentaires

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  • Paradoxalement c’est Claude Allègre notre célèbre climatosceptique qui a perçu le premier le risque du réchauffement climatique et qui n’a eu qu’un tort : Celui de se rétracter. On le sait maintenant grâce au recul en observant ce qui se passe sur notre planète.
    Faire en sorte que le pic des émissions de gaz à effet de serre survienne en 2020 comme le propose son détracteur de l’époque Jean Jouzel, c’est-à-dire dans deux ans sera très difficile à obtenir voire impossible. Nous avons malheureusement attendu trop longtemps avant d’agir pour obtenir ce résultat. Il faut du temps pour faire les choses.

    On sait maintenant que pour assurer plus efficacement le confort thermique dans l’habitat, un poste particulièrement lourd en termes de consommation de combustibles fossiles (Pour ne pas dire le poste le plus lourd devant l’agriculture, l’industrie, le transport aérien et l’alimentation), la thermodynamique et l’hydrogène vont venir au secours du bâtiment, le mot bâtiment étant pris ici au sens le plus large en incorporant la voiture familiale logée dans le sous-sol ou dans le jardin.
    Paris ne s’étant pas fait en un jour, il est probable que les systèmes de génération thermiques vont en effet évoluer dans un premier temps vers des systèmes hybrides. Mais pour obtenir ce résultat, il va falloir prendre conscience que l’orientation technique prise actuellement en ce qui concerne la thermodynamique en échangeant sur l’air aggrave pour finir le réchauffement climatique dans les villes en été. Il va falloir aussi prendre conscience que les températures source-froide/source-chaude du dispositif thermodynamique ont une influence importante sur les performances ce qui devrait être une condition supplémentaire pour assurer les échanges thermiques sur l’eau préférentiellement à l’air lorsque cela est possible.
    Il va probablement être nécessaire en raison de l’urgence de concentrer préférentiellement l’action vers le bâtiment existant. Là où se trouve le plus gros potentiel d’économie en énergie non renouvelable. L’énergie grise qui va être nécessaire pour mettre en place les infrastructures composées principalement de tuyauteries, d’échangeurs à plaques et de groupe motopompes n’est certes pas négligeable mais sera nettement moindre que celle qui serait nécessaire si l’on décidait de tout démolir pour reconstruire en respectant les nouvelles normes. Notre intérêt est de concentrer notre action vers la rénovation thermique du bâtiment existant. Le résultat que l’on peut en attendre en termes de réduction de gaz à effet de serre sera plus rapidement significatif. Cela dit la période transitoire nécessaire à la mise en place des infrastructures va nécessairement prendre plus de 2 ans. Par contre le résultat que l’on peut attendre de cette orientation ne sera pas négligeable et rejoins l’idée de Nicolas Hulot qui estime que l’on va devoir changer d’échelle. Diviser sensiblement par 2,5 la consommation d’énergie finale, combustibles fossiles et électricité confondus par rapport aux chaînes énergétiques actuelles c’est véritablement changer d’échelle. De ce fait diviser par 3 et en trente ans (La durée de vie moyenne d’une chaufferie) les émissions de gaz à effet de serre, soit à l’horizon 2050 ne semble pas inenvisageable. Ceci dit si nous voulons respecter ce scénario, il va falloir agir rapidement et mettre en place les infrastructures en organisant leur financement.
    Évoluer vers une société sobre en carbone implique la modification des chaines énergétiques utilisée actuellement pour assurer le confort thermique dans l’habitat. Quant à vivre dans un monde totalement décarboné, nous allons devoir pour ce faire abandonner totalement la combustion, même celle de l’hydrogène mélangée au gaz en hiver. Ceci en associant la pile à combustible à la « Solar Water Economy de l’enthalpie » et en mettant la rivière et nos nappes captives profondes à contribution. Il nous faudra aussi réfléchir à l’alimentation, à la possible nécessité de verdir les villes en profitant du réseau d’alimentation en eau non potable réalisé au titre des infrastructures. Ceci dans la mesure où l’intérêt économique de l’Europe est principalement de respecter les objectifs des accords de Paris sur le climat.

    Jean Grossmann auteur du livre « La Solar Water Economy avec la rivière »

    • jipebe29

    Toutes les prophéties des climato-alarmistes,Jean Jouzel, Al Gore, Hervé, Le Treut et autres se sont avérées fausses, tout comme celles du Club de Rome. Tout ce qu’ils prophétisent ne vaut pas un clou et je m’étonne qu’ils aient encore l’oreille des médias….

    • Claude Renaud

    C’est vrai, ils se sont tous trompés, dans le sens où personne n’avait prévu que ça irait aussi vite.
    L’érosion grignote nos côtes, les orages sont de plus en plus violents et font d’énormes dégâts, les incendies éclatent partout sur la Planète, le taux de CO2 dans l’atmosphère n’a jamais été aussi élevé,
    les glaciers fondent à vitesse grand V, la hausse du niveau des océans s’accélère, il fait de plus en plus chaud…etc. Mais, jipebe29 ne voit rien !!!!

    • Le BRGM ne voit rien non plus . Le cout des travaux de rénovation thermique sont stupidement majorés dans 16000 communes supplémentaires depuis 2010 (nouveau zonage sismique) par la reglementation sismique. Nous nous protégeons d’un risque POTENTIEL au lieu de nous protéger et de diminuer notre vulerabilité face à un risque REEL

      NATURE COMPAREE DES 2 RISQUES

      Les risques climatiques sont : Les risques sismiques sont :

      Croissants de façon scientifiquement certaine (GIEC)
      Sans croissance scientifiquement annoncée

      Mesurés pour l’avenir par les scientifiques (degré de température,
      force et fréquence des tempêtes)
      Incertains quant à leur magnitude

      Récurrents chaque année à l’échelle
      des 10 dernières années
      Sur les 30 dernières années 5 sinistres sismiques ont endommagé
      cumulativement environ 4000 bâtiments en France.

      Réductibles par des mesures contre le réchauffement climatique
      Totalement irréductibles

      N’épargnent aucune partie du territoire (celles auprès des rives
      de rivières de lacs et des cotes maritimes sont les plus riches)

      Avant le 1° Mai 2011 5000 Communes étaient vulnérables.
      Maintenant 21000 communes (sur 35000) soit 320% de + !!!

      • Michel CERF

      il ne veut rien voir , ça l’arrange …..

2024 en France ou le visage humide du changement climatique

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