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De l’empreinte écologique à l’empreinte égotique, entretien avec le philosophe Patrick Viveret

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Le philosophe Patrick Viveret © BERTRAND GUAY / AFP)

Notre ego est-il la cause de nos maux et de ceux de la planète ? Lors d’échanges durant une formation sur le biomimétisme organisée par l’Institut des Futurs Souhaitables, le philosophe Patrick Viveret avait lié l’empreinte écologique avec ce qu’il appelle l’empreinte « égotique » ou « égologique ». Intrigué par cette idée qui lie l’ego à une partie de la crise écologique, nous l’avons questionné pour explorer ensemble ce concept .

Vous associez l’empreinte écologique, qui mesure l’impact de la consommation humaine sur la planète, à l’empreinte égotique, qu’est-ce que cette dernière ?

L’empreinte égotique ou égologique traduit la forme disproportionnée que prend le besoin de reconnaissance. Le fait de mettre du sens dans nos actions et nos vies et d’être reconnu par nos semblables figure parmi les besoins humains fondamentaux. Mais, l’empreinte égotique ou égologique traduit une démesure dans l’expression de ce besoin qui s’opère au détriment du besoin de reconnaissance d’autrui. Comme cette négation de l’autre peut être source de mépris ou d’humiliation, on entre dans un cercle vicieux : certains individus ne se sentent pas assez reconnus, ils vont-eux-mêmes déclencher des attitudes négatives, parfois jusqu’à de la vengeance, en réaction à leur frustration. Et, de tels comportements vont alimenter les effets pervers de l’empreinte écologique.

Et, plus concrètement, de quelle manière notre ego, ou notre individualisme, a un impact sur l’environnement ?

L’empreinte égologique n’est pas nécessairement de même nature que l’empreinte écologique. Alors que cette dernière pose la question de notre rapport à la nature et au vivant, la première reflète surtout un autre problème fondamental chez l’être humain de son rapport à lui-même. Et par extension, celle des risques que l’Humanité fait courir à elle-même. Ces risques se retrouvent dans notre gestion des biens communs comme l’environnement, le climat, l’air ou encore l’eau.

De surcroît, ce besoin de reconnaissance va se cristalliser en partie au travers de modes de consommation qui sont concomitants de la reconnaissance. Elle va s’exprimer avec des biens matériels, de l’immobilier, une consommation de loisirs qui auront des répercussions sur l’empreinte écologique globale.

D’où vient la notion d’empreinte égotique ?

J’aime bien jouer sur les mots. J’ai surtout été frappé de voir que le besoin de reconnaissance peut prendre des formes maladives et dangereuses voire pathogènes. J’ai ainsi formulé cette intuition, mais d’autres ont sans doute eu la même idée. Je n’ai pas la prétention de l’avoir inventée. Avec cette intuition, avant même de l’associer à l’écologie, je voulais constater les effets sociaux politiques et psychologiques délétères du besoin disproportionné de reconnaissance de l’ego. Les êtres humains sont en guerre avec la nature parce qu’ils sont aussi en guerre avec eux-mêmes. La démesure par rapport à la nature et sa destruction sont en lien direct avec le mal-être chez l’humain. Cette démesure est associée à une certaine vision de la puissance et de la domination.

Les altermondialistes et certains écologistes pointent l’homogénéisation des cultures du fait de la mondialisation et de la consommation de masse. Quel rôle ont joué les médias, notamment via la publicité et la fiction, dans la diffusion des valeurs individualistes, de l’égocentrisme et des modes de surconsommation ?

Ce sont des formidables caisses de résonance pour le mal-être des individus. Nous retombons sur les passions tristes, un sujet déjà abordé au XVIIe siècle par le philosophe Spinoza. Le besoin fondamental de se sentir pleinement vivant prend deux formes. L’une se montre positive, c’est la joie d’être. L’autre forme apparaît plus négative, il s’agit de l’avoir. L’énergie que je n’ai pas intérieurement, je la trouve extérieurement au travers de la gloire, de l’argent ou du pouvoir. Ces derniers me procurent une excitation qui me donne l’impression d’être vivant.

Leur différence réside dans la durée. La joie d’être s’avère durable et s’accompagne de sérénité tandis que l’avoir repose sur l’excitation éphémère. Or, l’excitation engendre de la frustration et de la dépression dont on ne ressort que grâce à une excitation de niveau supérieur. Dès lors, on se retrouve confronté à un phénomène de type addictif basé sur l’argent, sur le pouvoir et sur la gloire. Ils s’associent dans des rapports systémiques. Ainsi, les riches se veulent avoir une influence politique, par exemple Donald Trump, et les médias veulent se rapprocher du pouvoir politique, le tout entretenant chez les individus un rapport très fort à leur ego. Et, avec l’idée que la consommation reflète les personnalités l’empreinte égotique se trouve démultipliée.

Et si, à l’ère des réseaux sociaux, l’empreinte égotique pouvait jouer un rôle dans la transition écologique ? De plus en plus de personnes profitent de ces espaces pour promouvoir des modes de vie plus durables et ainsi créer de nouvelles normes : cela ne rend-il pas désirables de nouveaux modes de vie ?

Les réseaux sociaux représentent aussi une nouvelle caisse de résonnance pour l’empreinte égotique. Est-ce que cela peut avoir un effet positif sur le plan écologique en diffusant et en faisant reconnaître des comportements plus durables ? On pourrait l’affirmer partiellement. Surtout s’ils montrent des comportements positifs et vertueux dans un monde en perte de repère et dans laquelle la corruption semble régner en maître. Prenons Greta Thunberg, la militante suédoise du climat, qui s’est faite en partie connaître grâce à la diffusion et la reprise de ses messages sur les réseaux sociaux. Dans ce cas-là, il peut y avoir une face positive de cette empreinte égotique. Mais cette face peut elle-même être fragile avec les effets contreproductifs liés aux phénomènes de personnalisation. Les polémiques à propos de cette jeune collégienne le montrent aussi.

Ainsi, le caractère démesuré pris par cette empreinte égologique est un enjeu majeur de civilisation à résoudre en lien avec la question écologique. Résoudre l’enjeu écologique ne suffit pas à régler l’enjeu anthropologique. L’enjeu écologique est devenu largement partagé, même si on peut douter de la sincérité de la référence à l’écologie chez certains. Par contre, les acteurs politiques historiques du combat écologique n’ont pas été capables de traiter la question égotique, il suffit de regarder en France les partis écologistes et leurs leaders. Ils ont gagné la bataille culturelle sur l’environnement, mais ils ont échoué sur les questions d’ego.

Propos recueillis par Julien Leprovost

[Sur le même sujet, lire aussi notre entretien avec Gilles Vernet ; « le vrai enjeu est de savoir si la technologie nous rend dépendant à l’immédiateté »]

2 commentaires

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    • sophie

    Aux passions tristes évoquées répond la sobriété heureuse.
    Quand on a compris et mis en pratique cela, la vie est déjà un peu plus légère et notre empreinte sur la Planète, sur le Vivant également.

  • La notion d’égotique est une excellente trouvaille. Il est bien de rappeler que la résistance que l’économie et la politique oppose à l’ècologie, a un fond psychologique. C’est la psychologie de C.G. Jung qui nous renseigne sur la confrontation entre l’Ego et le Soi au sein de la psyché humaine. Pour surmonter ce problème l’écologie doit réussir à introduire une nouvelle façon de voir les choses, c’est à dire, un nouveau paradigme fondamentalement différent. En complément à l’excellent exposé qui précède, j’invite les lecteurs à prendre connaissance de mon article „From Reason to Consciousness” sur mon site http://www.reason-to-consciousness.ch (section anglaise). Je serais heureux d’en discuter avec eux.