Insectes insignifiants, invariables compagnons de nos étés ou impitoyables bêtes de guerre ? Parmi les 12 000 espèces de fourmis recensées dans le monde, une petite vingtaine intéressent tout particulièrement les scientifiques : ils les appellent les envahissantes. Elles sont si intrigantes que l’écologue et chercheur au CNRS, Franck Courchamp, s’est associé à un dessinateur, Mathieu Ughetti, pour leur consacrer une bande dessinée : “La guerre des fourmis” (Équateurs Sciences). Mais pourquoi donc une telle fascination ? La réponse dans cet entretien.
Pourquoi ce titre : “La guerre des fourmis” ?
L’objectif de cette bande dessinée était de mettre en scène les différents types d’expériences que nous avons menées en laboratoire. Ces dernières étaient essentiellement basées sur les fourmis de type “envahissantes”, or l’une de leurs caractéristiques est l’agressivité. Nous avons par exemple effectué plusieurs expérimentations afin de comprendre quelles espèces de fourmis pourraient supplanter les autres en cas d’invasion. Et lorsque nous les avons mises en contact les unes avec les autres, les fourmis se sont menées de véritables guerres.
Qu’est-ce qu’une espèce envahissante ?
C’est une espèce qui a été mise par l’homme dans un écosystème auquel elle n’appartient pas et où elle n’a pas évolué. La plupart du temps, elle ne s’adapte pas et disparaît, mais ce n’est pas toujours le cas. Certaines espèces réussissent en effet à s’établir, se disperser, et même s’étendre. S’en suivent alors des dégâts économiques, sanitaires ou écologiques.
Vous expliquez que les scientifiques ont identifié 19 de ces espèces, quelles sont celles que nous devons craindre en France ?
La fourmi d’Argentine a déjà envahi le sud de la France ainsi que la lazius neglectus, qui est aussi connue pour être la fourmi des jardins.
Nous notons également que sur ces 19 espèces envahissantes, 10 pourraient potentiellement envahir le territoire, car les conditions, suite au changement climatique, deviennent de plus en plus favorables à leur multiplication.
Est-il possible d’en venir à bout ?
Oui, mais c’est très cher et logistiquement difficile. Il faut pouvoir repérer et éliminer la ou les reines. Or, les espèces envahissantes s’étendent trop rapidement. Il est donc préférable de les empêcher d’arriver grâce à une biosécurité, plutôt que d’essayer de les stopper dans leur prolifération.
À quelles mesures préventives pensez-vous ?
Il est par exemple judicieux de surveiller les conteneurs provenant d’endroits où ces espèces habitent afin de les intercepter dès leur arrivée sur le territoire. C’est une technique souvent utilisée par les douanes américaines, australiennes et néo-zélandaises. On peut également surveiller les alentours des ports et aéroports pour s’assurer qu’il n’y a pas de colonies qui s’établissent.
Vous mentionnez plusieurs études sur les lourds impacts financiers de ces espèces. Pourtant, peu d’actions semblent avoir été engagées pour y faire face ?
Les deux raisons majeurs sont tout d’abord le nombre trop important d’espèces, car contrairement au défi de la déforestation ou du réchauffement climatique, il n’y a pas ici d’ennemi facile à déceler. Je pense également que lorsque l’on aime la biodiversité, c’est contre-intuitif de lutter contre une espèce au nom de sa protection.
Est-ce d’ailleurs cela qui vous a poussé à réaliser cette bande dessinée ?
Plusieurs articles sont parus dans la presse concernant nos études et expériences en laboratoire. Dû au format, ces derniers étaient relativement courts et j’étais frustré de ne pas pouvoir raconter l’histoire dans son ensemble. Je suis donc allé à la recherche d’un type de contenu assez agréable pour parler sans restriction de nos études scientifiques et la bande dessinée s’est révélée idéale.
Propos recueillis par Myriam Azoul
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