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Le numérique : comprendre son impact sur le climat, repenser son usage

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Maxime Efoui-Hess. Il travaille sur l'impact du numérique sur le climat © The Shift Project

Ordinateurs, téléphones portables, tablettes, liseuses, serveurs… Nous les utilisons tous les jours et de manière toujours plus intensive. Mais quel est leur impact sur le climat ? Selon le think tank français The Shift Project, le numérique serait responsable de 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Ainsi, 55 % de ces rejets proviennent de la consommation énergétique des appareils, contre 45 % pour la production des équipements. Mais de quoi parle-t-on exactement et comment limiter l’impact écologique du numérique ? Entretien avec Maxime Efoui-Hess, chef de projet sur les question numériques et auteur des rapports Pour une sobriété numérique et Climat : l’insoutenable usage de la vidéo en ligne de The Shift Project,

L’impact du numérique sur le climat

Vous évaluez l’impact du numérique à 4 % des émissions de gaz à effet de serre, est-ce une estimation fiable ? Une fourchette haute ou basse ?

Ce chiffre s’avère valable en ordre de grandeur. Il s‘agit une estimation moyenne obtenue à parti des données que nous avons compilées. Elle est cohérente avec les autres publications sur le sujet. C’est aussi une évaluation valable pour 2019.

Quelles sont les tendances ?

A l’échelle mondiale, les émissions du numérique augmentent de 8 % par an, alors qu’il faudrait réduire les rejets mondiaux de CO2 de 5 % par an pour se conformer à l’objectif de limiter le réchauffement à 2 degrés. C’est l’ambition fixée par l’Accord de Paris sur le climat. Or, la consommation de vidéo en ligne augmente d’année en année, et représente aujourd’hui 60 % de la consommation énergétique du Net.

Prenez-vous en compte la consommation numérique des pays non occidentaux ?

Ce chiffre de 4 % est mondial. Nous prenons en compte la production et l’utilisation des terminaux numériques, des infrastructures et des centres de données dans le monde entier.

Maxime Efoui-Hess : « Le numérique est l’outil phare censé nous aider à résoudre les problèmes du XXIe siècle, y compris le défi climatique. Il est donc malin de réfléchir aux contraintes énergétiques en les appliquant au numérique. Il faut l’adapter pour le rendre compatible avec les contraintes énergétiques et climatiques »

Pourquoi The shift Project évalue l’impact du numérique sur le climat ?

Le numérique est l’outil phare censé nous aider à résoudre les problèmes du XXIe siècle, y compris le défi climatique. Il est donc malin de réfléchir aux contraintes énergétiques en les appliquant au numérique. Il faut l’adapter pour le rendre compatible avec les contraintes énergétiques et climatiques. Ce questionnement constitue une problématique à part entière dans la transition de l’économie vers un modèle bas carbone. The Shift Project tente d’éclaircir le sujet en posant la question suivante : est-ce que les technologies numériques sont un atout ou un inconvénient dans cette transition ? Le numérique est un secteur dynamique, qui change vite et dont l’image est associée à l’innovation. Il ne devrait donc pas avoir besoin d’un appel académique pour réfléchir à ses propres problèmes et réagir en conséquence.

Quelles ont été les réactions à la suite de votre évaluation sur l’impact du numérique ?

Le constat semble partagé. Les gens se montrent curieux et demandeurs de solutions.

Est-ce que le grand public a conscience de l’impact du numérique sur le climat ?

Ce sujet émerge et se répand peu à peu. Toutefois, la compréhension de cet impact demeure limitée car la mythologie du numérique s’est construite autour de la notion de virtualité. Dès lors, il reste difficile de prendre conscience de ce que ces technologies impliquent pour l’environnement même si le sujet monte en puissance.

Au final, la dématérialisation, est-ce une bonne chose ?

Nous n’avons pas fait d’analyse de cycle de vie comparative entre un contenu numérique et son équivalent physique. Un film en ligne demandera des ressources énergétiques et une infrastructure, tandis qu’un DVD nécessitera des ressources pour être produits et acheminé. Le sujet s’avère complexe et dépend de l’usage. La dématérialisation prend du sens selon le contexte. Par exemple, pour un document lu sur papier ou sur écran, les variables importantes sont la fréquence de lecture et le temps passé.

Donc, par exemple, pour lire cet entretien ?

Pour lire un article, si on passe plus de 2 minutes de lecture par page, il vaut mieux imprimer le document en recto verso noir et blanc, selon une étude comparative de cycle de vie conduite par l’ADEME.

Des pistes pour réduire notre impact numérique

Que peuvent faire les usagers du numérique pour réduire leur impact ?

Les actions individuelles n’inverseront pas la tendance vers une plus grande consommation de données. Elles sont cependant nécessaires parce qu’elles questionnent notre système d’usage. En comprenant pourquoi nous regardons une vidéo, car nous appuyons sur play, ou car l’autoplay de Netflix ou YouTube nous en fait regarder trois d’affilées sans que notre cerveau fasse la distinction. Désactiver l’autoplay permet de maîtriser sa consommation et le temps passé devant l’écran.

Avant, il fallait interagir avec la plateforme pour regarder du contenu, le rechercher, cliquer sur lancer la vidéo puis en choisir une autre. Maintenant, il faut interagir avec pour arrêter de visionner du contenu.

Le design des plateformes est conçu pour nous faire consommer du contenu. Notre cerveau est flemmard, il va donc interagir avec la plateforme à partir du moment où il saturera.

D’autres suggestions ?

Il est également possible de jouer sur la résolution de la vidéo. Réduire la résolution par défaut pour voir si le confort visuel diminue. Dès que possible, privilégier le wifi qui consomme 5 à 25 fois moins d’énergie que le réseau 4G. Et pourquoi, tout simplement, ne pas se contenter d’activer les données mobiles lorsqu’on en a besoin ? Cela permet d’économiser de la batterie.

Dans l’ensemble le numérique pose des questions de gouvernance, qui concernent les individus, les entreprises et les États

Mais, sommes-nous prêts à être moins connecté ?

Nous ne proposons pas d’être déconnecté, mais plutôt de réfléchir à nos usages. Aujourd’hui, on en a marre des sur-sollicitions à cause de certains effets de seuil. Les problématiques du numérique préoccupent l’ensemble de la société et ne concernent pas que l’énergie. La réflexion est déjà amorcée. Dans l’ensemble le numérique pose des questions de gouvernance, qui concernent les individus, les entreprises et les États, sur la 5G, l’hébergement et l’usage des données, le besoin de déconnexion ou de connexion.

La plupart des acteurs du numérique misent sur toujours plus de contenus demandeurs en données comme la vidéo en haute-définition, le jeu vidéo, le streaming ou encore la réalité virtuelle. Comment plaider pour la sobriété numérique ?

Le problème récurrent du numérique est qu’on a des idées, on les fait, on se lance tête baissée avant de faire le bilan. Nos projections montrent que le développement actuel du numérique ne s’avère pas résilient en raison de la contrainte énergie-climat. Cela devrait conduire les acteurs à remettre en question les modèles économiques actuels du secteur pour leur bien à plus longue échéance afin de concilier leurs activités et le climat. De plus, la hausse des volumes de données ne fait pas l’unanimité chez ceux qui s’occupent des infrastructures et des réseaux en raison du surplus de ressources requis pour faire fonctionner l’ensemble.

À l’avenir, en plus de la vidéo et du divertissement, quelles autres utilisations d’Internet peuvent peser sur le bilan énergétique et climatique du numérique ?

On nous promet leur arrivée prochaine : le big data, IA (intelligence artificielle) et l’Internet des objets. Ils composeront le cryptique qui risque de consommer beaucoup de puissance de calcul et de données. Ces technologies se retrouveront par exemple dans les véhicules autonomes et pour tout un tas d’applications comme la télémédecine. Cela ouvre plein de perspectives, mais soyons sûrs et certains que dans chaque cas cela vaille le coup (en y réfléchissant avant plutôt que de foncer) de les mettre en place d’un point de vue du bilan énergétique et de l’utilité sociale.

Est-ce que les low-tech peuvent aider à réduire l’empreinte numérique ?

Oui, à condition que la low tech consiste à faire le maximum avec le moins possible. La low tech serait de faire un numérique épuré et donc de revenir à un des objectifs initiaux de la mythologie Internet en faisant des codes purs et légers, des designs épurés.

Propos recueillis par Julien Leprovost

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