Depuis le début de la grève contre la réforme des retraites, les perturbations dans les transports en commun et la très forte congestion routière qu’ils ont entraînées en région parisienne ont encouragé une partie des usagers à enfourcher un vélo. Le trafic cycliste a ainsi été multiplié par deux à trois à Paris, et les trajets en Vélib et autres véhicules en free-floating ont doublé. Le nombre de kilomètres parcourus avec l’application d’itinéraires Géovélo a quant à lui été multiplié par quatre.
Le phénomène ne passe pas inaperçu dans les rues et donne lieu à des scènes peu communes en France : des files quasiment continues de vélos et de trottinettes électriques sur certaines pistes cyclables aux heures de pointe, deux fois plus de vélos que de voitures défilant sur le boulevard Voltaire, parfois une vingtaine de cyclistes qui attendent aux feux de circulation…
Au-delà des effets de court terme de cette grève sur la pratique du vélo, l’accélération actuelle aura des effets durables à Paris et en Île-de-France, mais aussi ailleurs en France.
Des changements d’habitude durables
Si une partie des nouveaux usagers du vélo reprennent leurs anciennes habitudes une fois la grève terminée, l’impact durable le plus évident sera lié aux usagers qui continueront le vélo après la grève.
Car nombre d’entre eux ont investi dans de nouveaux équipements, qu’ils souhaiteront rentabiliser. Depuis un mois, les ventes de vélos ont en effet explosé, comme en témoignent les ruptures de stocks de nombreux modèles de vélos de villes ou à assistance électrique dans les Décathlon ou enseignes spécialisées. Les demandes de location longue durée du système Véligo bénéficient elles aussi de la grève. Certains usagers remettent quant à eux en état du vieux matériel, avec une hausse des demandes de réparations (jusqu’à une multiplication par dix dans certains ateliers vélos).
Les nouveaux usagers découvriront pour certains les nombreux avantages individuels que présente le vélo : une vitesse qui permet de traverser Paris en 40 minutes, des trajets porte-à-porte, un temps de transport largement prévisible, et un très faible coût d’usage… sans parler des énormes bénéfices sur la santé de cette activité physique régulière, qualifiée de « remède miracle » par un ancien médecin-chef d’Angleterre, et encore trop sous-estimée par nos politiques de santé.
Vitesse moyenne des modes de placements dans quelques grandes villes européennes. Le vélo à assistance électrique, un nouveau mode métropolitain ? Enquête européenne, 2015, Ghislain Delabie, CC BY-NC-ND
L’analyse des pratiques modales révèle enfin le poids des habitudes dans les comportements de mobilité. Notre routine nous encourage à utiliser un ou deux modes sans re-questionner à chaque déplacement quel est le plus pertinent. Les pratiques évoluent ainsi en testant d’autres modes, en bousculant certaines habitudes ou lors de changements dans nos vies, comme un déménagement. D’un jour à l’autre, la grève aura contraint de nombreux usagers à tester le vélo, et son installation dans la durée permet d’ancrer dans le temps ces nouvelles habitudes.
L’expérience inédite d’une ville plus cyclable
La grève donne à voir une ville organisée pour le vélo, ce qui a également un impact sur les autres usagers. Le nombre important de vélos force les piétons à faire attention en traversant une piste cyclable, et les automobilistes à vérifier leurs angles morts. Le fort trafic rend d’autant plus difficile et inacceptable le stationnement des voitures sur les pistes réservées aux vélos ou leur utilisation par les deux-roues motorisés. Ces comportements dangereux déclinent à mesure qu’augmente le nombre de cyclistes, participant au phénomène de « sécurité par le nombre ».
L’expérience actuelle illustre aussi toute la pertinence d’aménagements efficaces, en particulier de larges pistes cyclables sécurisées et séparées du trafic motorisé, sans lesquelles l’engouement actuel n’aurait sûrement pas été si fort. Elle met aussi en lumière les limites des infrastructures actuelles pour absorber un fort surplus de trafic – que ce soit le manque ou la mauvaise qualité des pistes cyclables dans certaines rues ou quartiers, leur manque de continuité dans les villes et entre les villes de la région, ou encore les stationnements vélos trop peu nombreux.
L’expérience révèle ainsi un élément peu connu du grand public. Si 30 % des Français pratiquent déjà le vélo régulièrement ou occasionnellement, 53 % se disent prêts à s’y mettre à condition que des infrastructures sécurisées soient aménagées. De très nombreux usagers se mettent donc au vélo chaque fois qu’une ville ou un pays développe un système vélo efficace, qui associe les infrastructures, les services cyclistes, des mesures fiscales et de communication.
On remarquera d’ailleurs que les conditions météorologiques difficiles durant la grève n’ont pas suffi à freiner un grande nombre de nouveaux usagers.
La pratique encore balbutiante de certains d’entre eux met en évidence la nécessité d’accompagner le développement du vélo d’une meilleure information voire de formations via les vélo-écoles, afin d’apprendre les règles de sécurité basiques, à s’insérer dans la circulation, se doter d’un matériel fiable, s’équiper d’antivols solides ou encore s’assurer d’être visibles la nuit.
Un moment opportun pour le vélo
On pourrait croire que le phénomène observé en région parisienne n’aura que des implications locales. Mais l’histoire des transports a révélé que Paris est souvent le point de départ d’une diffusion plus large : le rayonnement de la capitale, la concentration du pouvoir et de l’attention des médias sur Paris, dans des proportions parfois regrettables, aura probablement un effet d’entraînement du succès actuel du vélo dans le reste de la France. Ainsi le renouveau de cette pratique en France, qui a d’abord repris dans le centre des grandes villes, va s’étendre progressivement au reste du territoire.
Un an après la présentation du Plan Vélo national et avec une mobilisation croissante en faveur du vélo, la grève agit comme un accélérateur de la visibilité du vélo trois mois avant l’échéance des élections municipales. Alors que les listes s’apprêtent à présenter leurs programmes, le sujet des transports sera scruté avec attention, tant il occupe une place grandissante dans l’actualité et les modes de vie, et fait partie des domaines dans lesquels les mairies disposent de marges de manœuvre importantes.
Si par le passé les politiques municipales des transports se sont trop souvent limitées au seul développement des transports en commun, la hiérarchie des priorités devrait être reconsidérée : développer d’abord un urbanisme et un aménagement du territoire favorisant la proximité et la réduction des distances, privilégier autant que possible les déplacements à pied et à vélo, développer les transports en commun, et enfin reconsidérer la place accordée à la voiture.
Si celle-ci doit diminuer en ville, il est indispensable que des alternatives efficaces soient développées. Tandis que 83 % des Français souhaitent que l’on accorde une place plus importante au vélo en ville, un plan ambitieux en la matière devient incontournable pour une politique de mobilités durables.
Des mobilités plus résilientes
Outre les avantages individuels liés à la pratique du vélo, celui-ci bénéficie de nombreux atouts pour les villes et pour la société. Peu coûteux pour la collectivité, il lui fait économiser des dépenses de santé, occupe peu d’espace en ville, et n’émet aucun polluant. Il est sobre en matériaux, silencieux, et son utilisation encourage à favoriser les commerces de proximité et nous offre un autre regard sur la ville.
Sa forte diffusion rendra nos mobilités bien plus résilientes aux éventuelles crises ou chocs futurs : après la grève, d’autres événements exigeront de nous une capacité d’adaptation… une éventuelle nouvelle hausse des prix du pétrole, une crise économique, ou encore des événements climatiques affectant des infrastructures.
Ces avantages donnent au vélo une image largement favorable au sein de la société, et en font un symbole de sobriété dans la transition écologique et solidaire à venir. En témoignent les plaquettes de communication sur le développement durable, souvent illustrées par le vélo.
La grève pourrait bien être le déclencheur d’une forte progression dans l’usage du vélo en France, une tendance dont on ne peut que se réjouir. Dans les prochaines semaines, l’évolution du trafic à vélo viendra peut-être confirmer cette hypothèse. Et il y a fort à parier que le déploiement de politiques cyclables ambitieuses sur l’ensemble du territoire fasse partie des enjeux importants des élections municipales.
© The Conversation
Aurélien Bigo, Doctorant sur la transition énergétique dans les transports, École polytechnique
2 commentaires
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Michel CERF
Place au vélo dans les villes et ailleurs , c’est la bonne solution et que les voyageurs face la grève des trains !
janine
2fois : vive la grève!!!!!!