Plus d’une année après son arrivé au pouvoir, les prises de parole et les décisions de Jair Bolsonnaro, le président brésilien, ne cessent de susciter les interrogations et l’indignation. La journaliste brésilienne Giane Gatti a décidé d’écrire pour dresser le premier bilan de sa politique écologique, ainsi qu’un panorama de la situation du pays face à la menace du covid-19, qui lui inspirent de grandes inquiétudes. Second article de sa série Vu du Brésil après celui sur la gestion de la pandémie de coronavirus déjà publié sur notre site.
Je m’appelle Giane Gatti. Je suis journaliste. J’habite à Rio de Janeiro, je tiens un blog et j’écris sur le développement durable. Je veux partager avec vous mon appréhension sur les mesures liées à l’environnement depuis l’arrivée du gouvernement de Jair Bolsonaro, il y a presque 16 mois. Et, bien sûr, je ne laisserai pas de côté la pandémie du covid-19 qui est une conséquence (du moins, c’est ce que nous savons jusqu’à présent) de la recherche d’une croissance exponentielle et de notre mode de vie : urbanisation accélérée et augmentation de la population mondiale, destruction de la biodiversité et commerce des animaux sauvages dans des pays comme la Chine, le Vietnam et la Thaïlande.
Le Brésil n’a pas de politique de lutte contre la déforestation et le changement climatique
Une chose est vraie à propos de Bolsonaro. Il ne nous surprend pas dans ses actions (non) environnementales, car dès sa campagne électorale, il a bien précisé ce qu’il avait l’intention de faire. La rhétorique et la pratique sont égales. Le Brésil n’a pas de politique de lutte contre la déforestation et le changement climatique et vide de leur substance d’importantes agences environnementales, en plus de mettre fin aux commissions environnementales.
Le gouvernement a évincé les représentants de la societé civile des deux importantes associations et d´un forum des ONG et des mouvements sociaux pour l’environnement du conseil délibératif du Fonds national de l’environnement (FNMA).
Fonds Amazonie, une annulation incompréhensible et injsutifiée
Le ministre de l’Environnement, Ricardo Salles, a suspendu le Fonds Amazonien. Ce dernier reçoit des dons volontaires de pays, principalement de Norvège et d’Allemagne, et des entreprises pour financer des actions de prévention, de suivi et de lutte contre la déforestation.
Selon le journaliste et professeur de géopolitique environnementale, André Trigueiro, il n’y a aucune explication plausible à la suspension, car aucune plainte, irrégularité ou problème n’a été détecté. « Le contrat, signé il y a 10 ans, est passé par trois gouvernements et a déjà transféré plus de R$ 3 milliards. 60% de ces ressources vont aux États et municipalités, en plus des projets en partenariat avec le governement federal. Il y a 103 projets de génération de revenus dans les forêts afin que les communautés puissent survivre sans détruire leur milieu ». Trigueiro s’interroge également sur la politique publique actuelle du gouvernement visant à maintenir ces communautés d´une manière digne ou à contenir la déforestation, car elle n’a pas encore été révélée.
Inpe: une fierté nationale malmenée
Après avoir accusé l’Institut National de Recherche Spatiale (Inpe), responsable des systèmes de surveillance en Amazonie, de mentir sur les données, Bolsonaro a licencié son directeur Ricardo Galvão.
Cet institut, creé en 1960, a contribué à la mise en forme de méthodologies qui ont aidé des dizaines de pays à surveiller le déboisement. De nombreux articles scientifiques publiés dans des revues internationales de renom ont été signés par des techniciens de l’institution.
“Pour des raisons idéologiques, Bolsonaro sacrifie le messager de l’information en n’affrontant pas les causes de la déforestation avec le courage et la compétence nécessaires », souligne André Trigueiro.
Remercié en août, Ricardo Galvão a été reconnu, en décembre 2019, comme l´un des dix scientifiques qui s’est distingué tout au long de l’année par la revue Nature.
Il faut ajouter à ce la, en octobre 2019, une marée noire d´origine inconnue qui a atteint plus de dix état et 400 lieux dans le pays. Le gouvernement a mis du temps à mettre en place un plan d’urgence. Deux conseils qui devaient faire partie de ce plan ont été supprimés par Bolsonaro en avril 2019.
Sans offrir aucune explication à l’augmentation de 30 % de la déforestation en Amazonie au cours de sa première année au pouvoir, le gouvernement Bolsonaro a transformé la COP en un chantage
COP25, une participation brésilienne “honteuse”
La participation du Brésil à la COP25 à Madri, Conférence annuel des Nations Unies sur le changement climatique, a été jugée “honteuse”. Selon le leader de l’opposition au Sénat, Randolfe Rodrigues, le ministre Ricardo Salles, a tenté en vain “d’extorquer les pays riches. Sans offrir aucune explication à l’augmentation de 30 % de la déforestation en Amazonie au cours de sa première année au pouvoir, le gouvernement Bolsonaro a transformé la COP en un chantage”.
Nous avons un ministre qui a renoncé à y aller accompagné d’experts scientifiques et de conseillers rôdés au complexe monde des négociations environnementales.
Pour compenser nos émissions à la COP, un déjeuner végétarien
En plus, pendant l´événement, le Brésil a remporté le prix “Fossil of the year” – décerné au pays qui a le plus entravé les négociations. Un honneur sans précédent! Mais nous avons été également reconnus deux fois “Fossil of the day”.
Enfin, le ministre de l’environnement Salles a profité de l’évènement pour publier sur Twitter : « … la viande brésilienne, la plus durable au monde ». Ensuite, de rentrer de Madri, il réitère les provocations en écrivant comme sous-titre d´une photo d´un grand morceau de viande sur le grill: « Pour compenser nos émissions à la COP, un déjeuner végétarien« . C´est scandaleux!
« Ceux qui déboisent la forêt ne font pas du teletravail », les effets de la pandémie de covid-19 sur l’Amazonie
La « déforestation de l’Amazonie augmente rapidement : + 51 % au premier trimestre (par rapport à la même période l’an passé), car les criminels profitant du coronavirus. Le gouvernement fédéral n’applique pas de mesures répressives, et la criminalité est libre en Amazonie. Même dans les zones indigènes, la pandémie touche les Indiens vulnérables », explique Paulo Artaxo, membre du Giec, docteur physicien et spécialiste du changement climatique et de l’environnement en Amazonie. Ainsi que l’indique le système d’alerte à la déforestation (SAD) de l’Imazon, la déforestation de l’Amazonie en mars a presque quadruplé par rapport au même mois l’année dernière.
La « déforestation de l’Amazonie augmente rapidement : + 51 % au premier trimestre (par rapport à la même période l’an passé), car les criminels profitant du coronavirus.
« Ceux qui déboisent la forêt ne font pas du télétravail« , avertit Paulo Moutinho, scientifique principal à l’Institut de recherche environnementale amazonienne (Ipam). Selon lui, la crainte d’une vague d’infections a conduit le gouvernement fédéral à retirer les agents de l’agence de protection de l’environnement (Ibama) du terrain. Conséquence, la nature a horreur du vie, les usurpeurs des terres, les spéculateurs fonciers et les déboiseurs profiteraient de l’espace laissé vacant par les autorités.
La pandémie dans les communautés indigènes suscite de vives inquiétudes, car le virus serait transporté par les orpailleurs, mineurs et les bûcherons illégaux. Le ministère de l’environnement a démis de ses fonctions le directeur du Ibama, Olivaldi Azevedo, quelques jours après qu’un reportage télévisé ait montré une méga-opération de l’agence visant à expulser les mineurs des terres indigènes et à empêcher la propagation du coronavirus. Ce licenciement, selon le ministère, visait à « améliorer » la lutte contre la déforestation.
Le nombre de cas d’indigènes infectés a presque triplé en cinq jours. Le 17 avril, il y avait 26 contaminés et trois décès confirmés dans trois groupes ethniques différents (kokama, tikuna et ianomami). Il y a encore 23 cas suspects en attente de confirmation.
Giane Gatti
2 commentaires
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Carlos Netto
Regarder de près la réalité brésilienne. Le Brésil mérite l’attention pour ses impacts mondiaux sur l’environnement. Le timing est critique.
Michel CERF
C’est vrai et la situation ne fait qu’empirer .