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Biodiversité et confinement : dans le monde animale, d’autres épidémies que la nôtre

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Sénégal © Yann Arthus-Bertrand

Les mesures prises afin de lutter contre cette épidémie lui donnent un caractère inédit. C’est un fait : jamais une opération de lutte d’une telle envergure n’avait été mise en œuvre pour contrer un pathogène. Un confinement de la population quasi global; générant ses crises, des plus tragiques puisque ce virus a engorgé çà et là les centres hospitaliers  et les services funéraires, aux plus grotesques, telle la pénurie de papier hygiénique des deux premières semaines. Mais des mesures ayant permis d’éviter une crise beaucoup plus profonde puisque la grande majorité des malades a pu accéder aux soins dans notre pays.

Cette épidémie nous replace aussi brutalement dans la grande communauté du vivant. Un virus peut mettre quasiment à l’arrêt les activités économiques. Un agent infectieux somme toute banal, comme il en existe très probablement des millions d’autres peut profondément affecter son hôte. Cette prise de conscience s’accompagne d’une augmentation exponentielle d’explications dans les médias sur la nature des virus, les relations hôtes-parasites et la dynamique des contagions. Ainsi, avons-nous tous entendu parler de ce R0,  dont le calcul est complexe mais dont l’utilisation pour estimer la part de la population immunisée nécessaire à l’arrêt de l’épidémie. Nous en savons également beaucoup plus sur les virus, ces entités énigmatiques possédant certaines propriétés du vivant; mais privées d’autonomie par leur absence totale de métabolisme propre comme on peut le découvrir au gré de cette excellente bande dessinée créée au fil du confinement.

Ce dont on a moins entendu parler, c’est le fait que les épidémies frappent aussi les animaux qui nous entourent, et de manière très récurrente. On ne les appelle pas épidémies puisque la racine grecque de ce terme implique qu’il concerne le peuple ‘démos’, mais plutôt épizooties pour faire référence aux animaux ‘zoos’ ou épiphyties lorsque les hôtes appartiennent au règne végétal ‘phytos’. Lorsque le pathogène concerne à la fois des animaux et des hommes, on parle de zoonose. A ce jour, on ne connaît pas de cas concernant à la fois les plantes et les animaux. Comme dans le cas des pathologies humaines, les agents infectieux sont variés. On y trouve des virus bien sûr, mais aussi des prions, ‘simples’ protéines rendues tristement célèbres lors de la zoonose de la vache folle dans les années 90, des mycoses, des bactéries, sans noyaux donc, des protozoaires et même quelques algues. Pour illustrer cette diversité et sa proximité au sein des animaux qui vivent dans notre région, quelques exemples récents, tous survenus au cours de ce siècle et chacun racontant une histoire différente.

Les funestes tribulations du nez blanc.

En 2007, de l’autre côté de l’Atlantique, une mortalité massive de chauves-souris en hibernation en cavité est constatée. Toutes présentent le même symptôme : une moisissure blanche sur la face, les oreilles et les membranes des ailes. En examinant des photos prises en février 2006 par des chiroptérologues amateurs dans une grotte située à 150 km au nord de New York, on constate ce même phénomène sur des chauves-souris hivernantes. C’est là le premier cas signalé de ce qu’il convient désormais d’appeler le Syndrome du Nez Blanc ou White-Nose Syndrom (WNS) en anglais. Depuis cet hiver là, plusieurs millions d’individus de plusieurs espèces de chauves-souris ont disparu en Amérique du Nord. Le caractère létal est impressionnant, puisqu’il dépasse dans bien des cas 9 individus sur 10. Et le pathogène est en voie de conquérir l’ensemble du continent avec une progression semblant presque s’accélérer ces trois dernières années. Douze espèces de Murins et la Sérotine brune sont impactées, c’est à dire plus d’une espèce d’Amérique du nord sur quatre. D’autres sont porteuses sans pour autant en pâtir.

Pourquoi évoquer cette épidémie se déroulant loin de chez nous ? Parce qu’en 2012, deux Grands Murins sont photographiés atteints de la même mycose dans le sud de la Seine-et-Marne lors d’une prospection hivernale. A l’époque, la présence de ce pathogène tout nouvellement décrit est déjà connue dans le Lot et en Dordogne depuis 2008. Depuis cette époque, une équipe de scientifiques a fait d’important travaux sur la diversité génétique du pathogène, ceci afin de déterminer les noyaux les plus anciens de populations et l’origine présumée du foyer infectieux nord-américain. Les résultats sont publiés en 2017. Ils attestent la présence de deux anciennes populations du pathogène dans l’ancien monde et le caractère récent du foyer de l’état de New York. Leurs résultats suggèrent que la transmission provient d’Europe, zone dans laquelle la mycose est endémique et n’entraîne pas de mortalité de masse chez les chauves-souris. En 2018,comme pour bien entériner cette hypothèse, une équipe américaine séquence le pathogène sur un Murin de Beschtein conservé au Muséum national d’Histoire naturelle de Washington et collecté le 9 mai 1918 en forêt de Russy au sud de Blois.
Que nous évoque cette épizootie décimant les chauves-souris nord-américaine ? Une histoire déjà connue, comme une répétition des dramatiques épidémies de rougeole (virus), coqueluche (bactérie), typhus (plusieurs bactéries) et surtout variole (virus) ayant frappé les amérindiens dont l’immunité était nulle pour ces maladies alors que dans leur région d’origine, l’ancien monde, les populations humaines, ayant coévolué avec ces pathogènes,  étant bien moins impactées. Un effet de la circulation des pathogènes dramatiques dont on peut craindre une augmentation en rapport avec des déplacements de biens et de personnes. Un article publié en mars dernier met en évidence des traits génétiques chez les rares survivants de petites chauves-souris brunes  (Myotis lucifugus) à cette épidémie. Un signe positif ? Impossible de le dire à ce stade, mais sans aucun doute le résultat des interactions entre un hôte et son pathogène.

Les oiseaux du jardin

L’extension du programme Oiseaux des Jardins propre à cette période permet d’en savoir beaucoup plus sur la dynamique des populations et les stratégies écologiques des espèces les plus communes. Trois parmi celles-ci, la Mésange bleue, le Verdier d’Europe et le Merle noir sont victimes d’épidémies variées décimant les populations aux grès de leurs progressions respectives. Toutes trois ont des agents infectieux de nature très différente. La mésange bleue est victime d’une bactérie, le Verdier d’un parasite flagellé et le Merle noir d’un Virus.

La Mésange bleue

Découverte à l’occasion de la première hécatombe constatée de mésanges en 1996, la bactérie Sutonella ornithocola est connue pour frapper quelques espèces de Paridés, c’est à dire la famille des mésanges, et la Mésange à longue queue dont la taxonomie nous dit depuis qu’elle ne fait plus partie de ce groupe. Bien qu’on en sache encore peu sur ce pathogène inducteur de problèmes respiratoires, il semble bien qu’il soit endémique chez les populations de mésanges outre-manche. Depuis sa découverte, des cas ont été signalés en Finlande au printemps 2017, un an plus tard dans l’ouest de l’Allemagne. Ce printemps, trois ans plus tard, l’épidémie est impressionnante. A la date du 7 mai, plus de 18000 morts suspectes de Mésanges bleues ont été enregistrées dans ce pays et il est estimé plus de 32000 cas. D’autres cas ont été noté au Bénélux mais aucun à ce jour en France. Les mésanges sont aisément détectées car affaiblies et indifférentes à l’homme. Une recherche d’une des signatures génétiques identifiées de la bactérie doit être néanmoins effectuée pour confirmer la cause de l’affection puisqu’une simple collision dans une vitre peut conduire aux mêmes symptômes. Dans le cas d’une telle découverte, l’individu doit être transmis au réseau SAGIR en respectant les consignes de cet organisme.
A ce jour, on signalera qu’aucun signe ne permet de suggérer une zoonose, c’est-à-dire une transmission à l’homme. La brutalité de l’épisode de ce printemps en Allemagne conduit l’Union pour la Conservation de la Nature et de la Biodiversité, vénérable association âgée de plus de cent vingt ans à appliquer des mesures assez semblables à celles qui nous concernent dans le cas du Covid-19, à savoir de ne pas favoriser le rapprochement des individus en arrêtant d’alimenter mangeoires et abreuvoirs pour éviter les rassemblements de mésanges.

Le Verdier d’Europe

La plupart des pathogènes connus du monde sauvage le sont parce que parmi leurs hôtes on trouve des animaux domestiques ou des plantes cultivées. Si la bactérie à l’origine de la mortalité de mésanges bleues n’a été décrite qu’en 2005, c’est précisément parce qu’elle ne frappe que les espèces d’oiseaux domestiquées. Ce n’est pas le cas de Trichomonas gallinae, un flagellé, c’est-à-dire un organisme unicellulaire doté d’un noyau, à la différence des bactéries, et dans le cas de Trichomonas, de plusieurs flagelles. Il est décrit par Sebastiano Rivolta en 1878. Âgé de 46 ans, il décrit des protozoaires formant des encroûtements caséeux sur la muqueuse buccale de colombidés domestiques.

Un parasite à large spectre chez les oiseaux puisque, si ses hôtes privilégiés se trouvent au sein des colombidés, il frappe aussi les rapaces diurnes, les perroquets et les perruches, appelés psittacidés, et les phasianidés parmi lesquels les poules et les dindons domestiques. Quatre groupes d’espèces élevées et choyées par l’homme. Pour se nourrir concernant les phasianidés et les colombidés mais pas seulement dans le cas de ces derniers, puisque leur propension à retrouver leur lieu d’élevage, leur capacité à faire des figures en vol ou à présenter des plumages pour le moins étonnants nous amène à leur consacrer un intérêt tout autre que culinaire. Ainsi, comme dans le cas des rapaces ou des perroquets et perruches, c’est tout simplement pour notre bon plaisir, trouvé dans l’admiration des oiseaux eux-mêmes, que les parasitologues et vétérinaires se sont penchés sur les pathologies les frappant. Par exemple,on sait que chez les pigeons adultes, le parasite n’a qu’un effet bénin diminuant éventuellement ses capacités de vol, tandis qu’il conduit fréquemment à la mort ou du moins au dépérissement chez les jeunes. La transmission se fait lors du nourrissage des jeunes par cette particularité propre aux pigeons et à quelques autres groupes, à savoir la production par les adultes d’un liquide riche en protéines au sein du jabot qu’on appelle ‘lait de pigeon’ à très juste titre : sa synthèse est induite par la prolactine dont le nom est on ne peut plus explicite.

On sait aussi que c’est par la prédation que la contamination par la Trichomonase aviaire atteint les rapaces, tandis qu’on suspecte le partage des points d’eau pour la transmission aux volailles, le parasite étant anaérobie, c’est-à-dire qu’il ne survit pas en présence de dioxygène gazeux.

On lui soupçonne un passé très lointain, puisque en 2009, une équipe de paléonthologues américains et australiens publient les résultats d’examens de mâchoires de Tyrannosauroïdés.
Le rapport avec le Verdier de nos jardins ? La soudaine et brutale épidémie ayant frappé ces derniers au Royaume-Uni à partir de 2005, avec pour conséquence dès cette année l’effondrement d’un cinquième à un tiers des effectifs selon les régions deux ans plus tard. A noter que plus de 500 verdiers morts ont été examinés de 2001 à 2004 sans qu’aucun cas de trichomonase ne soit mis en évidence. Il s’agit bien là d’une émergence, à l’instar de celle nous concernant. Depuis 2005, l’épidémie a frappé la Scandinavie, l’Allemagne et l’Europe centrale. En France, la maladie est signalée dès 2007, probablement à la faveur de déplacements migratoires, mais la première épidémie survient dans le Boulonnais en 2017 . La recherche progresse et fait le constat de la forte prévalence de Trichomonas gallinae au sein des populations d’oiseaux, quels que soient leurs groupes, sans pour autant entrainer de mortalités massives. Mais les analyses génétiques du parasite permettent aussi de mettre en évidence la grande diversité génétique de ce dernier et la particularité de la variété frappant les fringilles.

Le Merle noir

Ça a pu vous arriver au cours de ces quatre dernières années en Île-de-France. Aux beaux jours, vous découvrez un Merle noir semblant assis dans l’herbe, les ailes un peu pendantes et les yeux mi-clos. Il parait méditer, indifférent, il vit ses derniers instants. En cause ? Un peu la même histoire que chez le Verdier : un pathogène connu de longue date qui, à la faveur de déplacements et/ou de mutations, déclenche une épidémie. Mais ici il s’agit d’un virus, découvert il y a plus de soixante ans en Afrique du Sud le long du fleuve Usutu, plutôt connu sous le nom de Maputo, chez un moustique du genre Culex, proche cousin de Culex pipiens, le plus commun des moustiques sous nos latitudes. Un virus membre d’une grande famille, les flavivirus, nommés ainsi car le premier décrit de cette famille est celui de la Fièvre Jaune (flavus en latin). Leurs vecteurs, lorsqu’ils sont connus, sont dans l’écrasante majorité des cas des moustiques, moins fréquemment des tiques et dont les hôtes se trouvent au sein des animaux, mammifères, oiseaux, reptiles mais aussi autres invertébrés.

Dans le cas d’Usutu, puisque c’est ainsi que ce virus frappant le Merle noir a été nommé, le vecteur est bien Culex pipiens chez nous, comme c’est confirmé par une étude menée en Italie . Sa prévalence au sein des oiseaux, les hôtes au sein desquels les virus se multiplient avant d’être diffusés par les moustiques, est large mais d’autres animaux parmi lesquels les chevaux, les rongeurs, les chauves-souris et même l’homme peuvent à leurs  l’homme peuvent à leurs dépens héberger ce parasite.

Parmi tous ces hôtes à plumes, seul le Merle noir montre une mortalité élevée, et dans une bien moindre mesure, les rapaces nocturnes. C’est en 2001 à Vienne, en Autriche que l’épidémie mortelle se fait remarquer chez cet oiseau. Par la suite, on découvrira qu’un épisode similaire avait eu lieu en Italie en 1996 sans que l’origine de la mortalité ne soit identifiée. Depuis, le virus poursuit sa tournée européenne avec l’Europe centrale entre 2003 et 2006, la Suisse et l’Espagne à partir de cette dernière année, l’Allemagne à partir de 2013 et la Belgique à partir de l’année suivante. En France, les mortalités de merles sont notées massivement à partir de l’été 2015. Depuis, l’épidémie se reproduit chaque année à cette saison, plus ou moins notable selon les régions. Dans notre région, 2018 semble avoir été une année dure pour les merles franciliens.

La proche parenté de ce virus avec le Virus du Nil Occidental, plus connu sous son nom anglais de West-Nile Virus (WNV), le place sous les radars de la recherche en parasitologie, puisque si ce dernier a aussi pour hôte les oiseaux, il peut aussi infecter l’homme et avoir des conséquences graves, comme ça a été constaté lors de l’épidémie circulant depuis 2004 aux Etats-Unis. Ainsi la diversité génétique des sources de Virus Usutu trouvées en Europe amène à penser que, si une nouvelle souche frappe l’Europe continentale, une forme plus proche de la souche ancestrale africaine est présente dans les péninsules aussi bien ibérique qu’ italienne, suggérant là une présence plus ancienne tandis qu’une forme émergente toucherait le reste du continent européen.
A ce jour, il ne semble y avoir d’impact sur les populations de Merle noir telle que celle notable chez le Verdier d’Europe en Angleterre, ou en tous cas, pas d’impact de nature à entrainer le déclin l’espèce. Bien sûr, les tendances estimées grâce aux suivis d’espèces ne présument en rien des facteurs de croissance ou de déclin.

En conclusion

Les épidémies sont fréquentes dans le vivant et probablement presqu’aussi vieilles que la vie elle-même. Il n’y a ici que quelques exemples divers quant à la nature des agents pathogènes alors que les cas se bousculent dans la faune et la flore. Celle que nous vivons nous ramène à notre condition animale. Mais d’autres ne concernant pas l’homme et très destructrices se profilent, comme par exemple cette mycose frappant les salamandres et autres urodèles au Bénélux. Introduite vraisemblablement à la faveur d’importations d’amphibiens asiatiques comme animal de compagnie (!), ce champignon a conduit les populations de Salamandres tachetées aux portes de l’extinction. C’est l’histoire du syndrome du Nez Blanc qui se répète.  A cela s’ajoute des émergences comme on le suspecte dans le cas des mésanges ou du Verdier.

Les épizooties et les zoonoses semblent être de plus en plus fréquentes, favorisées directement ou indirectement par les activités humaines. C’est à surveiller de près, ne serait-ce que pour comprendre les mécanismes et dynamiques à l’œuvre. Après tout, en tant que mammifère vivant cet épisode sans précédent du Covid-19, toute information concernant les épidémies du règne animal et les modes d’actions des pathogènes qu’ils frappent animaux ou plantes nous regarde et nous concerne. Et comme le met en évidence cette épidémie, pas seulement sous les aspects médicaux ou préventifs, mais aussi sous un angle beaucoup plus ouvert, celui de l’écologie.

Biodiversité et confinement : d’autres épidémies que la nôtre
par  Grégoire Loïs, naturaliste à l’Agence régionale de la biodiversité d’Île-de-France

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