Le think-tank The Shift Project (présidé par Jean-Marc Jancovici) a présenté, lors d’une conférence de presse ce mardi 26 mai, sa vision de l’avenir du secteur aérien en France. Rendre cette activité comptable avec les ambitions de l’Accord de Paris sur le climat passe par une nécessaire diminution des émissions de gaz à effet de serre du secteur aérien grâce aux progrès techniques et à des changements de pratiques pour assurer des vols plus sobres énergétiquement.
L’impact de l’aviation sur le climat
Ce secteur représente actuellement au moins 2 % des émissions mondiales de CO2. Si l’impact du forçage radiatif (effet réchauffant des trainées de condensation d’avions) est pris en compte, cette part monte à 6 %. La croissance du secteur est évaluée, mondialement, à plus de 10% par an. Le tourisme soutient une grande partie de l’augmentation du trafic aérien puisque les trois quarts des passagers qui prennent l’avion partent ou reviennent de vacances.
Un transport aérien neutre en carbone, c’est possible
Le think-tank a organisé sa réflexion autour des objectifs de réduction nécessaires pour que le secteur se situe sur une trajectoire de neutralité carbone. Cet objectif de neutralité se traduit par une nécessité de réduire de 5% les émissions de gaz à effet de serre de l’aviation par an par rapport à 2018, alors que la France doit réduire ses émissions à un rythme de 4% pour contenir le réchauffement à + 2 degrés à horizon 2100. Pour le secteur aérien en France, qui représente 22,7 millions (M) de Tonnes (T) de CO2 en 2018 (+3,8% par rapport à 2017), cela représente une baisse, au minimum, de 4,2 M T CO2 entre 2020 et 2025.
Pour parvenir à cet objectif, the Shift Project propose deux leviers : l’un technique, l’autre plus comportemental basé sur la sobriété.
Des mesures en faveur du progrès technique des avions, pour environ un potentiel de réduction 1,1 M T CO2 d’ici à 2025, soit 25% de l’effort.
Parmi les mesures ayant le plus fort potentiel de réduction, notons la transformation des opérations au sol, avec le roulage des avions assuré par des tracteurs électriques (0,7 M T CO2).
Des mesures de sobriété, pour réduire la croissance du secteur et petit à petit, organiser sa décroissance, pour 75% de l’effort, avec un potentiel de réduction de 4,4 M T CO2 sur 5 ans.
C’est dans ce lot de propositions que le projet du Shift est le plus intéressant. En effet, l’organisation précise que le secteur ne pourra pas organiser une réduction en valeur absolue de son bilan carbone en France, sans que la sobriété ne soit mise sur la table. Les mesures sont les suivantes :
– Interdire les vols d’aviation d’affaires, qui émettent 20 fois plus de CO2 que les classes économiques, avec un potentiel de réduction de 0,4M T CO2.
– Restreindre les avantages liés aux programmes de fidélité. 5% du trafic aérien provient de ces programmes, dont 50% du trafic est opportuniste. Cela a un potentiel de réduction de 0,4 M T CO2.
– Supprimer les liaisons aériennes pour lesquelles une alternative au train est possible en moins de 4h30, pour les trajets avec ou sans correspondance. Cela représente une réduction possible de 0,9 M T. La conséquence serait très visible, puisqu’il ne resterait, en France, plus que la liaison Paris – Nice… En France, un trajet en train émet 40 fois moins de CO2 qu’un trajet en avion.
– Imposer la décroissance de la consommation moyenne annuelle de carburant. Cela peut impliquer par exemple, la diminution des classes luxueuses, la densification des classes économiques, une augmentation des taux de remplissage. Cette mesure a un potentiel de réduction de 2,7 M T CO2.
Pour assurer le succès de cette transition, il faut considérer à la fois la préservation des compétences de l’industrie aéronautique française, ainsi que la préservation des emplois du secteur aérien. Dans le premier cas, il est proposé un puissant programme de Recherche et Développement sur l’avion du futur, dont une sortie d’usine pourrait être 2030. L’objectif étant de produire un avion ayant une meilleure efficacité énergétique, de l’ordre de 25%, par rapport au meilleur standard du marché en 2020. Dans le second cas, il est préconisé un basculement d’une partie des salariés d’Air France sur le développement de lignes à grande vitesse de petite capacité, pour répondre au manque d’infrastructures sur les axes transversaux.
La limite de ce travail est qu’il s’arrête au domaine de responsabilité du think-tank : il doit encore être passée à la moulinette opérationnelle et convaincre le monde politique (gouvernement et Parlement). Car ce changement viendra surtout des réglementations et de l’Etat, moins du marché lui-même, qui pourrait y perdre à court terme. La prise de conscience du politique pour organiser la décroissance du trafic n’est pas encore à la hauteur, et ne fait, pour l’instant, pas l’objet d’une politique dédiée. Malgré certains signes d’évolution encourageants en France (engagement d’Air France de diminuer de 40% ses émissions de CO2 en France), un travail intense de lobbying (qui devrait prochainement débuter par le Shift Project) et une traduction opérationnelle doivent être entamés pour placer le secteur aérien sur la voie d’une réduction de son empreinte carbone en France.
Matthieu Jousset
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