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Essor de l’élevage intensif en Asie : comment contenir la cocotte-minute pour virus

elevage intensif asie

Un travailleur dans un élevage de poulets au Vietnam © HOANG DINH NAM / AFP

Alors que les productions de volaille et de porcs devraient augmenter respectivement de 85% et 31% d’ici 2050 dans le monde, une région est particulièrement observée : l’Asie du sud-est, où l’élevage intensif se développe à toute vitesse. Des réseaux internationaux de chercheurs tentent d’accompagner cette transition vers des modes de production industriels sécurisés, dont les enjeux sanitaires sont vertigineux, comme en attestent les épidémies et pandémies de ces dernières années (H1N1, Nipah, Covid…). Deux scientifiques du Cirad (le Centre de coopération internationale pour la recherche en agronomie et le développement), impliqué dans ces réseaux, nous expliquent, en deux entretiens, à quoi ressemble réellement l’élevage en Asie du sud-est et pourquoi et comment l’encadrer.

Alexis Delabouglise est socio-économiste de la santé animale. Il est l’auteur d’une thèse sur les enjeux territoriaux de la surveillance de la santé animale.

Marisa Peyre est épidémiologiste. Elle a participé à la rédaction d’un guide des bonnes pratiques dans les partenariats vétérinaires public/ privé.

La plupart des consommateurs n’ont qu’une idée approximative du fonctionnement d’un élevage, certains ont même en tête uniquement l’image d’Epinal de la cour de ferme. A quoi ressemblent en réalité les différents types d’élevages, particulièrement dans la région que vous étudiez, l’Asie du sud-est ?

Alexis Delabouglise : Il y a là-bas de nombreuses petites fermes avec quelques dizaines d’animaux mais la tendance est à l’augmentation des très gros cheptels. On parle d’élevage de basse-cour lorsqu’il y a moins de 100 animaux. La grande majorité de ces élevages sont extensifs : les animaux ont accès à l’extérieur. Au niveau mondial, on dit que l’élevage semi-intensif, lui, compte des centaines, des milliers ou des dizaines de milliers de têtes, et les exploitations intensives peuvent aller jusqu’à 200 000 animaux. Il faut imaginer des bâtiments avec des « bandes », c’est comme cela qu’on les appelle, de 5 000 têtes, sur 5 étages, soit 25 000 animaux par bâtiment pour des exploitations d’une dizaine de bâtiments.

Marisa Peyre : Au Vietnam, on compte 8 millions de ménages ruraux : ils tiennent 60% des exploitations, dites de « basse-cour ». Moins de la moitié des élevages sont donc industriels, mais ils concentrent 85% de la production d’œufs et de viande. Au Laos et au Cambodge, 90% des fermes sont des basses-cours, mais la Thaïlande est à l’opposé : 90% des exploitations sont très grosses. La réalité est donc très différente d’un pays à l’autre.

Qu’est-ce que la taille change en termes de transmission virale ?

Alexis Delabouglise : Pour les biologistes, les basses-cours sont des « culs-de-sac épidémiologique », car des virus s’y développent, et c’est normal, mais de manière circonscrite. D’une part, ils circulent peu car les animaux sont vendus localement, dans un rayon très proche du lieu d’origine. D’autre part, ces élevages correspondent à des contextes épidémiologiques plus naturels : il y a coévolution des virus et de leurs hôtes. C’est-à-dire que les agents pathogènes existants ou nouveaux évoluent au milieu de poulets, canards ou cochons issus des races variées et locales, génétiquement moins productives mais plus résistantes. Lorsque les virus se propagent dans des populations peu denses et génétiquement variées, la sélection naturelle tend à privilégier les virus moins virulents. Et comme les bêtes sont moins nombreuses et différentes génétiquement, les virus de répandent moins et moins vite.  En cas de maladie, il y a toujours des survivants, qui sont utilisés comme reproducteurs pour repeupler les élevages, permettant un renforcement progressif de la résistance des populations aux infections .(NDLR : voir cet article du CNRS qui explique en outre que la plupart des virus ne sont pas pathogènes)

Cette variété et ces défenses immunitaires n’existent pas dans les gros élevages?

Alexis Delabouglise: Non. En élevage intensif, les races locales disparaissent. La génétique est déterminée par des programmes de reproduction qui ne tiennent pas compte de la fragilité des animaux face aux maladies infectieuses mais cherchent à obtenir des bêtes les plus grosses possible, le plus vite possible. En outre, la circulation des virus leur permet de muter, avec le risque à chaque mutation qu’ils deviennent plus virulents ou compatibles avec d’autres espèces, dont la nôtre. On sélectionne donc seulement deux ou trois souches. Le problème, c’est qu’en Asie, la pression pathogène est forte. Les virus se répandent comme un feu de paille au sein de ces troupeaux très denses et très uniformes : les animaux ont tous les mêmes défenses, et elles sont faibles ! Dans le monde, il n’existe que 3 ou 4 producteurs de génétique qui alimentent tous les élevages industriels avec seulement quelques souches, qu’on parle des poulets ou des cochons. Les races locales, elles, sont répertoriées et conservées dans des fermes de préservation de la génétique.

En Asie, il y a également le problème des animaux vendus vivants, qu’on imagine provenant plutôt de petites fermes ?

Marisa Peyre : Mais non : tous les élevages en vendent ! En effet les consommateurs, en Asie, n’achètent pas de viande surgelée, et la demande d’animaux vivants est forte. On parle beaucoup des basses-cours et de l’élevage semi-intensif car, depuis 20 ans, les études n’ont été diligentées que dans ces secteurs-là : l’élevage industriel était considéré comme trop difficile à pénétrer.

Alexis Delabouglise : Le problème, c’est que le modèle d’élevage en Asie se calque sur celui qui existe en Occident. Or, l’environnement est différent : il y a là-bas beaucoup d’interactions entre des productions très différentes, une proximité avec des zones sauvages liée à la déforestation, et des pratiques sanitaires moins strictes. Par exemple, en Europe, personne en-dehors du personnel habilité ne peut entrer dans un élevage de volailles. Personne. Les stratégies pour limiter l’introduction d’éléments pathogènes sont extrêmement rigoureuses. En Asie, il existe autant de niveaux de biosécurité que de types d’élevages et les mesures de protection ne sont pas systématiquement appliquées.

Marisa Peyre : Mais pour nous, chercheurs, c’est une chance : nous avons besoin de communiquer avec les éleveurs pour faire évoluer les pratiques, les aider à adapter leur propre contexte et renforcer la sécurité sanitaire en Asie. L’enjeu est devenu mondial aujourd’hui.

Propos recueillis par Sophie Noucher

Voir l’exposé très clair du professeur Jean-François Guégan sur les liens entre  « Crise environnementale et pandémie », dans son audition au Sénat :

Cinq données-clé de la vidéo:

  • Alors qu’on parlait auparavant de « cycle selvatique » des maladies (propre à la forêt), on constate aujourd’hui le rapprochement entre zones sauvages, zones d’agriculture ou d’élevage et populations humaines et l’on parle de « cycle enzootique » (propre à une région).
  • Du néolithique jusqu’au XXe siècle, 62% des infections nouvelles touchant les humains étaient d’origine animale. Depuis 30 à 40 ans, le rapprochement humains/ zones sauvages a fait passer cette proportion à 75%.
  • En cause : la chasse, la déforestation, les pratiques d’agriculture et d’élevage, la pauvreté et la vulnérabilité d’une grande partie de la population.
  • Une solution : déterminer des zones « sanctuaires » de diversité biologique.
  • Le problème n’est plus seulement d’ordre médical : il requiert l’apport de la sociologie, de l’anthropologie et de la démographie. La recherche doit être transverse et étudier en amont les émergences. Or, telle une « caserne de pompiers», elle se penche sur les virus lorsqu’ils apparaissent.

 

2 commentaires

Ecrire un commentaire

    • Méryl Pinque

    Et bien entendu, jamais un mot sur le véganisme, moins encore sur sa nécessité éthique et environnementale.
    CONSTERNANT.

    • Claude Courty

    La solution à ce problème, comme à bien d’autres, est d’ordre avant tout démographiques.
    Plus les hommes seront nombreux, plus il leur faudra de nourriture, quelles que soient leurs régimes alimentaires et les manières de se les satisfaire.
    La transition démographique est telle qu’après que la population humaine mondiale ait augmentée, en moyenne, d’environ 10 500 individus quotidiennement depuis le début de notre ère, ce chiffre sera, selon hypothèses haute ou basse des projections de l’ONU, de l’ordre de 125 000 à plus de 300 000 dans moins d’un siècle, après 250 000 en l’an 2 030.
    Le nombre de Terriens s’élevera à plus de 11 milliards au début du prochain siècle
    Une seule issue raisonnable, s’il en est encore temps : la dénatalité humaine.
    Voir à ce sujet : « Pyramidologie sociale ».