Florence Robert, bergère et auteure : le pastoralisme, une pratique agricole pour le monde d’après ?

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Florence Robert, la bergère des collines Photo : DR

Florence Robert se définit elle-même comme « bergère des collines », titre de son dernier ouvrage. Installée dans l’Aude, elle explique dans cette tribune le rôle clef du pastoralisme dans le maintien des territoires et des paysages et en quoi cette pratique, loin d’être désuète a un rôle à jouer dans la transition écologique. Et ce malgré les difficultés que le pastoralisme rencontre actuellement.

Le pastoralisme, concept un peu romantique associé aux images de bergers et de montagne, consiste d’abord à valoriser des espaces naturels avec des troupeaux. Vieux de 10.000 ans, il est encore pratiqué par 26 millions de personnes dans le monde, particulièrement dans les zones les plus hostiles : la montagne, les zones arides, la toundra glaciale, la savane. Il assure la viande, le lait et un revenu aux éleveurs qui le pratiquent.

En Europe, le pastoralisme est encore bien présent dans les zones de montagne et sur le pourtour méditerranéen. On lui attribue de nombreuses vertus en plus de sa fonction agricole première qui est de produire des aliments : débroussaillage naturel contre l’incendie, entretien des paysages, rôle positif sur la biodiversité. Malgré cela, il reste une pratique difficile à plus d’un titre.

Une astreinte forte

Les contraintes liées au gardiennage et à l’entretien des clôtures entraînent un coût de main d’oeuvre élevé et représentent une astreinte de moins en moins compatible avec nos exigences de confort et de temps libéré. Être berger, chevrier ou vacher, est un choix de vie total, éloigné du confort. Prendre des vacances reste difficile par exemple.

Le changement climatique

Il oblige les éleveurs à s’adapter à des printemps plus précoces, à des étés plus secs. La préoccupation constante de trouver suffisamment à manger pour les bêtes vire parfois au casse-tête.

Une viande de qualité, difficile à valoriser

Le prix de la viande n’augmente pas en proportion des charges. Le prix de l’agneau, par exemple, est le même en monnaie constante qu’au début des années 80. La circulation de la viande est mondialisée, ce qui entraîne des références de prix de plus en plus basses. Dans les systèmes pastoraux, les jeunes animaux, peu ou pas complémentés en fourrages et en céréales, grandissent souvent plus lentement que les animaux laissés en bergerie et gavés d’aliment recomposé. Le consommateur est habitué à une viande jeune, tendre et charnue. Cependant, doit-on considérer comme normal qu’un agneau pèse 36 kg à l’âge de 3 mois ? Ou qu’un veau grossisse de 1,4 kg par jour ? Il faut pour cela s’interroger sur le coût caché de ce taux de croissance astronomique : utilisation des terres céréalières pour l’élevage, coût carbone de cette production, pollution de l’eau et des sols si ce n’est pas Bio. Le broutard, animal qui a grandi plus longtemps près de sa mère et n’a mangé que de l’herbe, atteindra ce même poids en deux à cinq mois de plus. Sa viande, un peu moins tendre peut-être, n’en sera pas moins bonne et sera produite de façon bien plus soutenable. Malheureusement, la viande de broutard n’entre pas dans les schémas proposés par la plupart des coopératives. L’agneau, par exemple, doit avoir moins de cinq mois pour être bien payé à l’éleveur. Ce moindre coût d’achat se compense en augmentant la taille du troupeau, quand c’est possible, au détriment d’autres paramètres bien souvent.

Une forte dépendance vis à vis de la PAC

Les primes agricoles, régionales, nationales et européennes, soutiennent les éleveurs mais reconnaissent avec difficulté les ressources pastorales, associées à des herbes pauvres et de la broussaille. Elles pourraient être remises en cause avec la prochaine PAC (Politique Agricole Commune) et une vigilance de la profession, qui se passerait bien de cette épée de Damoclès récurrente, est essentielle pour maintenir les avancées obtenues jusqu’alors.

La pression exercée par les grands carnivores, une contrainte de plus

La plupart des troupeaux pastoraux montent en estive l’été. Là, les grands carnivores, principalement les loups, sévissent depuis des années. Qui du loup ou de la brebis à raison de vivre en montagne ? Les troupeaux accusés de détruire la biodiversité des pelouses d’altitude ? Les loups qui se trompent de proies et s’en prennent aux ongulés domestiques plus faciles à attraper ? Les parties en présence se déchirent. Pour certains éleveurs, les loups sont une vraie menace pour leur activité. Pour d’autres, ils ajoutent une contrainte de plus à leur métier déjà difficile et prenant. La plupart d’entre-eux en France souhaitent la disparition des grands carnivores. Mais, en voulant à tout prix les détruire, ne vont-ils pas à l’encontre de ce qui fait l’intérêt même du pastoralisme ? C’est à dire une interpénétration puissante entre le sauvage et le domestique ? Il est probable que la zone de contact entre pro et anti, entre loups et brebis, reste une ligne de front, comme elle l’a toujours été.

Les nouveaux bergers et les nouvelles pratiques

En réponse à ces difficultés, de nouveaux bergers s’installent ça et là et défendent ce mode production plus naturel. En vendant en direct aux consommateurs, ils valorisent bien leur viande. Même si cela engendre un surcroît de travail, la logique du circuit court prévaut dans une recherche de cohérence globale. D’autres se lancent dans la transformation laitière ou dans la production de laine et d’articles tricotés. D’autres complètent leurs revenus avec des prestation d’éco-pâturage. Tout cela suppose d’apprendre d’autres métiers et de dégager du temps, mais permet de sécuriser des revenus plutôt limités.

Le pastoralisme, un cas particulier dans les modes d’élevage

Le pastoralisme, en proposant une nourriture « sauvage » aux animaux, leur assure un meilleur bien-être que celui des animaux élevés en bâtiment : ils peuvent choisir les plantes qui leur conviennent, utiliser leur masse musculaire, donner libre cours à leurs comportements naturels. Il n’est pas rare de les voir se soigner en mangeant telle ou telle plante en fonction des pathologies ou besoins ressentis. Le gardiennage par un berger et ses chiens offre moins de liberté qu’un pâturage en parc, mais il offre une plus grande variété de plantes. Et ne nous y trompons pas, un troupeau gardé a aussi son mot à dire dans le choix du pâturage du jour. Tous ces animaux en liberté doivent adhérer a minima à la proposition du berger, sans quoi, confiance envolée, ils deviennent impossibles à garder. Cette relation particulière faite d’écoute et de contre-propositions rend ce métier tout à fait passionnant et singulier. Issu d’une longue tradition, capable de répondre aux défis du moment, il peut être considéré comme indispensable et doit être défendu comme tel.

Conclusion

Parmi les formes de production de viande qui correspondraient à ce « monde d’après », le pastoralisme présente de nombreux atouts, particulièrement s’il est mené en Bio : bien-être animal, faible utilisation des terres céréalières, faible coût carbone, faible pollution, biodiversité favorisée sous certaines conditions, lutte contre l’incendie, préservation des paysages. Pratique exigeante en technicité et en main d’oeuvre, le pastoralisme apparaît pourtant comme un atout majeur pour nos campagnes désertées, en moyenne et haute montagne et sur le pourtour méditerranéen. Les éleveurs pastoraux, champions de l’adaptation, réactualisent déjà leurs pratiques, en trouvant des façons de rendre plus vivables les nombreuses pressions qui s’exercent sur eux : partage du travail, éco-pâturage, vente directe, diversification, recours à des races rustiques plus résistantes… Le rôle de la PAC est central dans le maintien du pastoralisme, par la reconnaissance de l’action et de la valorisation des « mauvaises terres et des broussailles» par les troupeaux. Les consommateurs ont un rôle à jouer en soutenant ce mode d’élevage par leurs achats. Ainsi, bien loin de la carte postale, ils reconnaissent au pastoralisme sa pertinence face aux enjeux actuels. En un mot : sa modernité.

Le pastoralisme, une pratique agricole pour le monde d’après ?
par Florence Robert, bergère et auteure de Bergère des collines
Texte courtoisie de l’auteur

3 commentaires

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    • Pluton

    N’oublions pas qu’il est anormal de manger des produits « prémâchés ». Manger une viande ferme, du pain un peu plus dur etc… force à un travail de mastication particulièrement bénéfique pour les dents.

    • Méryl Pinque

    N’oublions pas qu’il est anormal de manger des produits d’origine animale. Renoncer à la chair des animaux, à leurs sécrétions corporelles… force à un travail éthique particulièrement bénéfique pour les animaux, la nature et, accessoirement, pour notre « humanité ».

    • Michel CERF

    N’oublions pas non plus que le loup est à sa place dans les montagnes depuis la nuit des temps avant que l’élevage colonise ces lieux sauvages .

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