Profitant de l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs en France, la coopérative RailCoop se lance avec pour première ambition la réouverture de la ligne directe reliant Lyon à Bordeaux pour le mois de juin 2022. Elle vient de notifier son projet à l’Autorité de Régulation des Transports (ART). « Grâce à l’engouement citoyen des particuliers et des collectivités, nous espérons parvenir à remettre des trains là où, depuis des années, on nous dit que ce n’est pas possible ou que c’est trop cher. Nous croyons que le train a de beaux jours devant lui », clame Alexandra Debaisieux, Directrice générale déléguée de RailCoop.
Depuis 2014, impossible d’emprunter le même train pour se déplacer entre Bordeaux et Lyon. La fin du trajet direct entre ces deux grandes villes a, en conséquence, réduit la desserte des autres villes présentes sur la ligne tout en renchérissant le trajet. Actuellement, aller de Bordeaux à Lyon par le train nécessite au moins un changement, le plus souvent à Paris et donc de prendre un TGV. Face au constat du désintérêt de la SNCF pour cette liaison, RailCoop se propose de la faire revivre. L’entreprise envisage de mettre en circulation 3 départs par jour dans chaque sens sur cette ligne qui desservira Bordeaux, Libourne, Périgueux, Limoges, Saint-Sulpice-Laurière, Guéret, Montluçon, Gannat, Saint-Germain-des-Fossés, Roanne et Lyon, le tout en un peu moins de 7 heures. L’entreprise prévoit de mettre en service un train de nuit. Aujourd’hui, il faut 5h22 pour relier Bordeaux à Lyon en passant par Paris, RailCoop prévoit un trajet sans changement de 6h47.
L’autre particularité de RailCoop se trouve, comme son nom l’indique, dans son statut de coopérative. Elle s’est montée en SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif) sous forme de Société Anonyme à capital variable. « Les coopératives peuvent apporter des réponses citoyennes à de nombreux enjeux économiques et écologiques », affirme Alexandra Debaisieux. Issue de l’économie sociale et solidaire, inspirée de ce qui existe déjà pour l’énergie comme Enercoop, la structure propose à ses adhérents de devenir sociétaires. Ils peuvent ainsi prendre part à la vie de l’entreprise tout en participant à la constitution de son capital social. Chaque sociétaire, dont les futurs salariés, possède ainsi une voix lors des Assemblés Générales. Alexandra Debaisieux ajoute : « Le modèle coopératif nous permet d’aller sur des liaisons ferroviaires rentables, mais qui ne le sont pas suffisamment pour les opérateurs classiques. Le statut de SCIC nous contraint à une obligation d’équilibre économique et à reverser au moins 57,5 % du bénéfice dans l’objet social de l’entreprise plutôt que de verser des dividendes. Cela renforce donc l’entreprise et le ferroviaire. Notre philosophie est de créer de la richesse collective. Enfin, nous veillons à plafonner les rémunérations avec une échelle de salaire allant de 1 à 7 ». RailCoop compte actuellement deux salariés, mais veut ainsi créer une centaine d’emplois d’ici 2022.
Aujourd’hui, RailCoop compte près de 750 sociétaires, son objectif est d’en fédérer davantage pour parvenir à lever 1,5 million d’euros qui formeront son capital de départ. L’étape suivante sera d’obtenir les certificats de sécurité et les autorisations requises pour faire rouler des convois. Puis d’acquérir des sillons, c’est-à-dire des créneaux horaires auxquels l’entreprise pourra faire rouler ses trains auprès de SNCF Réseau, avant d’enfin se lancer dès 2021 dans le fret sur une autre ligne, puis en 2022 dans le transport de passagers. Pour ce faire, RailCoop veut louer 6 trains, car impossible pour la jeune structure d’acheter pour près de 60 millions d’euros de matériel roulant. La voie ferrée, qui est encore empruntée par des trains régionaux, n’est pas électrifiée tout du long. « Nos rames fonctionneront grâce à un générateur diesel. Il pourra, dès que la technologie le permettra, être converti pour fonctionner à l’hydrogène », affirme Alexandra Debaisieux.
RailCoop désire proposer des tarifs abordables, les billets pourront être achetés en gare ou à bord ainsi que sur des plateformes de vente de billet, dont celle de la SNCF. « Le billet sans option entre Lyon et Bordeaux coûtera 38 euros. Nous nous sommes alignés sur le prix du covoiturage », résume Alexandra Debaisieux. « Nous allons co-construire avec les sociétaires la politique tarifaire pour savoir s’il y aura des cartes ou des abonnements. Nous proposerons en plus des services tarifés comme l’accès sur nos trains à un wagon fourgon de 19 mètres cubes qui permettra d’emporter de bagages volumineux comme les instruments de musique, les paires de ski ou encore les vélos ».
RailCoop espère ainsi séduire et transporter 690 000 passagers par an tout en reconnectant les villes intermédiaires puisque, selon ses projections 85 % d’entre eux feront du cabotage. Le projet suscite un certain enthousiasme : depuis l’annonce publique au début du mois de juin, la coopérative a doublé son nombre de sociétaires. Elle répond à une demande, malgré une réduction de kilomètres de voies en service (voir cet article de Libération à ce sujet), surtout qu’en France 9 personnes sur 10 vivent à moins de 10 kilomètres d’une gare.
Stéphane Amant, responsable du pôle Mobilité chez Carbone 4, un cabinet de conseil dans la transition énergétique, accueille favorablement cette expérience inédite mais émet des réverses : « je suis curieux de voir le succès que RailCoop rencontrera. C’est un formidable pari dans le contexte français de la mobilité où les liaisons Est-Ouest sont compliquées, j’espère donc que leur offre sera complémentaire à ce que la SNCF propose et qu’ils ont bien travaillé la qualité de service. » Il s’arrête sur le succès actuel de la route pour les voyageurs : « l’enjeu dans ces zones-là sera de regagner des parts de marché sur la route. Or, les gens disent aimer le train, mais il existe souvent un prétexte pour ne pas le prendre car plus long ou moins pratique que la voiture. Le train a disparu de certaines régions et beaucoup de Français conservent des réflexes pro-voiture ».
Anne-Marie Ghémard, représentante de la Fédération Nationale des Associations d’Usagers des Transports (FNAUT) Auvergne-Rhône-Alpes : « le train a été délaissé dans les régions en France. Nous manquons de trains. Nous soutenons activement les initiatives comme celle-là ». La FNAUT est en faveur de la concurrence régulée sur le transport ferrée car cette dernière permet de compléter l’offre de trains : « L’intérêt de ce que propose RailCoop réside dans la desserte des gares entre Bordeaux et Lyon, beaucoup de gens feront du cabotage. Le train se montre plus confortable que le bus pour voyager, vous pouvez lire ou travailler, vous déplacer dedans. Et il se montre moins polluant que le bus. Si le train survit à toutes les attaques qu’il subit, alors c’est l’avenir ».
Julien Leprovost
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Le site de RailCoop
3 commentaires
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Michel CERF
Très bien , à condition que les trains ne soient pas constamment bloqués par les cheminots !…
danielle pavlovic
je trouve cette idée très intéressante de redonner de la valeur au train, et en proposant un tracé autre que par Paris.
comment peux t-on devenir sociétaire, j’aimerais recevoir des informations à ce sujet.
Pradel
C’est génial bravo