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Que se passe-t-il quand les huîtres avalent des microplastiques ?

huitres plastique

L'île aux Oiseaux au coeur du bassin d'Arcachon, Gironde, Nouvelle Aquitaine © Yann Arthus-Bertrand
Shutterstock

Arnaud Huvet, Ifremer

Nous avons tous déjà vu ces images de tortues et mammifères piégés dans de gros déchets plastiques. On estime que chaque année, plus de 100 000 mammifères marins meurent par piégeage ou obstruction des voies respiratoires ou digestives par ces détritus.

Mais il ne s’agit que de la partie visible de l’iceberg, plus de 90 % des déchets plastiques dénombrés en mer étant des microplastiques inférieurs à 5 mm. Pour la plupart invisibles, ils sont pourtant bien à l’œuvre !

Comparés aux macroplastiques, ces microplastiques sont plus nombreux. Puisqu’ils sont de petite taille et ont un comportement dans l’eau de mer proche de celui du plancton, ils peuvent être facilement ingérés, soit directement par les animaux, soit par la consommation de proies contaminées. On retrouve désormais des microplastiques chez une grande majorité d’espèces marines, quelle que soit leur position dans la chaîne alimentaire.

Microplastiques (particules, fibres, filaments, films) collectés en rade de Brest.
Sébastien Hervé/UBO

Du plastique partout

Une fois ingérés, ces microplastiques peuvent obstruer le système digestif ou simplement y transiter.

Quant aux plus petites particules plastiques – appelées nanoplastiques et non quantifiées en mer à l’heure actuelle du fait de difficultés méthodologiques majeures –, leur taille nanométrique va leur permettre de passer au travers des membranes digestives et de migrer dans le système circulatoire, voire dans d’autres organes. On en a ainsi observé dans le cerveau de petits poissons de laboratoire.

Un simple transit de microplastiques dans le tube digestif, de quelques heures à quelques jours, peut induire de grandes modifications sur la biologie de l’animal qui les a ingérés.

C’est ce nous avons voulu tester sur une espèce emblématique de nos côtes et de nos assiettes : l’huître creuse Crassostrea gigas.

Nous avons ainsi montré que l’exposition d’huîtres à des microparticules de polystyrène de 2 et 6 µm (taille proche des microalgues consommées par les huîtres), pendant deux mois dans des aquariums de laboratoire, affectaient leur reproduction : moins d’ovocytes produits (réduction de 40 %) et des spermatozoïdes nettement moins mobiles (réduction de 20 %) – un indicateur de leur qualité comme chez l’homme.

Les huîtres ont été exposées à des microbilles de polystyrène pendant deux mois à la station expérimentale d’Ifremer à Argenton (Finistère).
Rossana Sussarellu/Ifremer

La reproduction des huîtres perturbée

L’huître est une machine à produire des gamètes, sa gonade pouvant atteindre 70 % de sa masse de chair. C’est sa stratégie pour assurer la survie de l’espèce car, sur des millions de descendants produits à chaque génération, seule une très faible proportion survit.

Mais qui dit forte production de gamètes dit besoin de beaucoup d’énergie. Et cette énergie vient de son l’alimentation.

Présence de microbilles de polystyrène fluorescentes (de taille 2, 6 et 20µm) dans le tube digestif d’une huître après une exposition expérimentale.
Ifremer

Au cours de nos expériences, nous avons observé la présence de microplastiques dans le tube digestif des huîtres exposées et une perturbation de leur digestion. S’en suit une limitation de l’entrée d’énergie que nous relions à la diminution du nombre de gamètes produits.

Mais qu’en est-il de la baisse de qualité de ces gamètes ?

À leur conception, les plastiques sont formulés à partir d’un ensemble d’additifs/plastifiants, qui peuvent être relargués dans le tube digestif.

Dans notre expérience, c’est vraisemblablement une perturbation chimique de type endocrinienne qui aurait réduit la qualité des gamètes produits, comme le suggèrent le fonctionnement moléculaire des gamètes femelles et la modélisation des flux d’énergie dans les huîtres exposées.

Une fois collectés, les gamètes, ovocytes et spermatozoïdes, ont été mis ensemble dans de grandes éprouvettes remplies d’eau de mer pour réaliser une fécondation au laboratoire.

Les résultats montrent que la fécondité était en forte baisse, avec 40 % de moins de jeunes larves produites issus des parents exposés aux microplastiques (par comparaison aux parents non exposés). Sachant que les 60 % des larves obtenues à partir des parents exposés étaient de moins bonne qualité : un retard de croissance qui a provoqué un décalage de six jours de la métamorphose des larves en juvéniles. C’est-à-dire six jours de vulnérabilité larvaire en plus dans le milieu naturel, juste avant cette étape cruciale durant laquelle les jeunes huîtres se fixent à leur rocher pour la vie.

Sonner l’alerte

Pour comprendre l’effet de pollutions sur un organisme et en suggérer les répercussions dans la nature, il est important d’analyser l’ensemble du cycle de vie de l’animal.

L’huître émet ses gamètes dans l’eau de mer où a lieu la fécondation. Les gamètes, une fois émis, doivent se retrouver – challenge terriblement difficile – pour féconder et donner naissance à des petits qui vont devoir affronter les aléas de leur environnement, dont les pollutions d’origine humaine.

Nous avons donc exposé les gamètes, les embryons et les larves d’huîtres à des micro et nanobilles de polystyrène. Contrairement aux microbilles testées de 2 micromètres, sans effet dans nos conditions d’expérience, les nanobilles de 50 nanomètres ont fortement perturbé les gamètes et les embryons ; leur petite taille leur permettant d’interagir avec les membranes biologiques.

Des nanoplastiques ont été observés par microscopie électronique collés à la surface des spermatozoïdes, ce qui empêcherait leur mobilité nécessaire pour féconder l’ovocyte.

Des embryons d’huîtres exposés pendant leurs premières heures de vie à ces mêmes nanobilles (dose : 0,1 µg par mL) avaient une coquille altérée et une croissance réduite de 10 %, comme le montre le montage photo ci-dessous.

Larves d’huître (obtenues 24 heures après fécondation) observées en microscopie électronique à balayage. À gauche : la coquille normale d’une larve d’huître non exposée ; à droite : des aspérités et des trous à la surface de la coquille d’une larve d’huître après exposition embryonnaire (1h30) à des nanobilles de polystyrène de 50 nm.
Kevin Tallec/Ifremer

À doses 10 à 100 fois plus fortes, le développement des embryons et des larves est très affecté avec de nombreuses malformations, allant jusqu’à des arrêts complets de développement.

Mais rassurons-nous, l’huître n’est pas en péril. Les concentrations testées dans ces travaux sont supérieures à celles relevées sur nos côtes bretonnes. Mais ce travail fait office d’alerte : si rien ne change, la quantité de déchets plastiques en mer augmentera d’un facteur 10 en seulement 10 ans.

Pour comprendre les conséquences de ces déchets sur la vie marine, il ne suffit pas de comprendre l’effet sur chaque espèce séparément. Par exemple, l’alimentation des huîtres n’est pas épargnée puisque le cycle de vie de petites algues (des diatomées dans nos expériences), consommées par filtration par les huîtres, est apparu stressé et perturbé dans leur phase de croissance après exposition à des nanoplastiques en laboratoire.

Ce n’est donc pas seulement sur l’huître qu’il faut étudier les effets, mais sur l’ensemble de sa proche biodiversité, à micro-échelle. À ce jour, très peu d’études ont initié de telles recherches. Parmi elles, on peut citer les travaux de scientifiques britanniques : ils ont montré, en laboratoire, qu’un récif naturel façonné par l’huître plate, Ostrea edulis, était modifié une fois exposé à des microplastiques.

Il est donc important d’approcher la diversité de l’écosystème tout en considérant aussi celle des déchets plastiques : leur forte variabilité de taille, forme, aspérité ainsi que le type de polymères et additifs les constituant influencent leur devenir en mer et leur toxicité sur les organismes marins.

Mieux comprendre toutes ces interactions et leurs conséquences constitue l’un des objectifs des travaux du groupement de recherche « Polymères et océans » qui fédère aujourd’hui les communautés scientifiques françaises travaillant sur les déchets plastiques en milieu aquatique.


Ika Paul-Pont, Kevin Tallec, Rossana Sussarellu et Carmen González-Fernández ont participé à l’élaboration de cet article.

Arnaud Huvet, Chercheur en biologie marine, Ifremer

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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